Conjoncture : « Il n’existe pour l’instant pas de scénario noir pour 2023 » (Banque de France AURA, Kathie Werquin-Wattebled)

INTERVIEW. Comme en fin d’année, la directrice régionale de la Banque de France Auvergne Rhône-Alpes reste prête à nuancer le tableau face à l’inquiétude qui grimpe début 2023 : selon elle, les perspectives économiques de l’année à venir sur la scène régionale sont toujours moins sombres qu’annoncées. Avec, au sein de son réseau, une tendance également à la stabilisation des équipes après une réorganisation liée à la digitalisation des moyens de paiement, et à un regroupement toujours envisagé entre les deux sites de Vic-le-Comte et Chamalières, situés tous deux dans la banlieue de Clermont-Ferrand, d’ici à 2026.
« Souvent, une crise traditionnelle est accompagnée d'une crise de confiance. Or, cette fois, ce n'est pas le cas : on le voit, les gens ont envie de consommer, les entreprises, qui sont également pressées par les enjeux de mix énergétique, ont également besoin d'investir », estime la directrice régionale de la Banque de France Auvergne Rhône-Alpes.
« Souvent, une crise traditionnelle est accompagnée d'une crise de confiance. Or, cette fois, ce n'est pas le cas : on le voit, les gens ont envie de consommer, les entreprises, qui sont également pressées par les enjeux de mix énergétique, ont également besoin d'investir », estime la directrice régionale de la Banque de France Auvergne Rhône-Alpes. (Crédits : DR/Banque de France)

La Tribune - Fin septembre, vous présentiez déjà des chiffres jugés un peu « contre-intuitifs » qui ne laissaient pas présager de grosses turbulences dans l'économie auralpine : avec une activité de l'industrie en très léger repli, des services en légère hausse et un secteur du bâtiment resté stable. Le tableau a-t-il évolué depuis ?

Kathie Werquin-Wattebled - Nous sommes toujours sur la même tendance, avec une croissance du PIB au niveau national qui a tout de même été de 2,6% en 2022.

Auvergne Rhône Alpes suit généralement le même schéma qu'au niveau national et c'est encore le cas aujourd'hui, avec une économie très diversifiée qui inclue à la fois de l'industrie, du tourisme, des services, de la montagne, des fleuves...

Contrairement à d'autres régions dans lesquelles j'ai eu l'occasion d'exercer, il n'existe pas de gros biais pouvant être apporté par la prédominance d'un secteur plus qu'un autre. La région AURA agit vraiment une petite France à son échelle.

Les craintes sont pourtant bel et bien là depuis plusieurs mois en raison de la crise de l'énergie et du poids de l'inflation : est-ce à dire qu'ils ne se traduisent toujours pas dans les chiffres à ce stade ?

Effectivement, ces deux éléments ne sont pas encore visibles car nous scrutons pour l'instant les données de fin décembre. Nous allons voir ce qui va ressortir des entreprises dans notre baromètre de la mi-janvier où nous les interrogeons, à la fois sur leur regard concernant l'année à venir et leur business plan, mais il n'existe pour l'instant pas de signaux visibles ni de scenario noir pour 2023.

Même si évidemment, il existe tellement d'inquiétudes sur l'aspect énergétique que nous avons-nous-mêmes réalisé des prévisions quasi « plates », de +0,3% en 2023. Car on se dit tout de même que toute cette inquiétude et problématique sur le choc énergétique va bien finir par avoir des effets, en plus de la remontée des taux déjà engagée.

Cela vous étonne ?

A ce stade, la demande reste très tonique alors que souvent, une crise traditionnelle est accompagnée d'une crise de confiance. Or, cette fois, ce n'est pas le cas : on le voit, les gens ont envie de consommer, les entreprises, qui sont également pressées par les enjeux de mix énergétique, ont également besoin d'investir.

Nous avons croisé encore récemment des banquiers qui nous expliquent que la demande en termes de financements reste très tonique. Il existe encore une différence entre le climat anxiogène que l'on observe et la vraie vie.

Durant la crise Covid, on a observé une stratégie du « quoi qu'il en coûte » : ce n'est plus vraiment le cas aujourd'hui face à la crise énergétique ?

Le plan de relance qui a été mis en place a été marqué par des aides assez conséquentes, qui ont clairement dopé certains investissements. Cela a été l'occasion ou jamais, pour les entreprises, de profiter du côté incitatif des aides pour investir.

Aujourd'hui, nous ne sommes cependant plus dans cet état d'esprit mais dans des aides d'urgence.

Mais cela tient également principalement à la performance du taux de chômage, qui reste plutôt très bon en ce début d'année. Car il ne faut pas oublier que les bonnes nouvelles sur le front de l'emploi traduisent derrière des revenus, qui génèrent eux-mêmes de la consommation.

Est-ce à dire que nous sommes toujours dans une forme d'effet de rattrapage, après les deux années de pandémie ?

On peut dire en tous les cas que nous sommes sur un niveau assez haut de consommation, qui ressemble plutôt à une forme de retour à la normale. Je ne sais pas si nous sommes devenus finalement un peu plus résilients avec le Covid, puis l'arrivée de la guerre en Ukraine, mais la demande est restée présente.

Je reste persuadée que tout tourne autour des chiffres du chômage également : je suis moi-même issue d'une génération où les jeunes avaient peur de ne pas trouver un emploi, les préoccupations des familles étaient tournées autour de la question de trouver un bon job... Aujourd'hui, je crois que l'on communique tellement sur le boom des recrutements que l'on craint aussi moins le chômage.

Vous restez donc finalement assez confiante sur les perspectives 2023, y compris pour le secteur industriel, dont AURA reste la première région française ?

Nous avons reçu beaucoup d'alertes sur l'état des risques réels ou à venir pour l'industrie de la part des syndicats, mais les chiffres que nous avons compilés en fin d'année ne démontrent pas de fléchissement fort. Les délais de livraison des produits manufacturés sont longs, on voit qu'ils ont encore du mal à suivre la demande. Mais des alertes émanent notamment de certains secteurs comme le décolletage, etc.

Ce qui est particulier dans cette crise par rapport à celle du Covid, c'est que tout le monde n'est pas concerné en même temps : aujourd'hui, toutes les entreprises d'un même secteur ne sont pas dans la même situation.

Certaines rencontrent par exemple en difficultés en fonction de leur mix énergétique, mais aussi des contrats qu'elles ont négocié et qui les protègent parfois jusque dans le courant 2023, tandis que d'autres avaient réussi à négocier une à deux années supplémentaires.

On avait notamment nourri de fortes craintes par exemple pour le secteur de la montagne, mais là encore, le portrait est moins catastrophique que prévu pour l'instant, malgré le spectre également de la durabilité du modèle qui commence également à être questionné en parallèle ?

Oui, les réservations se retrouvent à un niveau plus élevé que par le passé, avec probablement un effet d'anticipation plus fort, compte-tenu également de la peur que les prix n'augmentent en raison de l'inflation... Mais le résultat, c'est que les réservations ont été au rendez-vous et que les entreprises se sont finalement relevées.

La neige demeure un moteur extrèmement fort pour des départements comme les deux Savoie et en partie l'Isère. Mais j'observe aussi que cela fait déjà une bonne dizaine d'années que le secteur de la montagne est déjà particulièrement attentif aux enjeux de transition et au sujet du réchauffement climatique.

C'est la raison pour laquelle ils ont investi depuis longtemps sur des sujets de neige de culture, de retenues collinaires, etc. Il y a dix ans, on me disait également qu'un skieur sur deux ne venait plus forcément pour le ski, mais aussi pour profiter du spa, de la montagne, de l'air pur. Ce sont donc en réalité des discours qui ne sont pas nouveaux.

L'an dernier, plusieurs professionnels du chiffre nourrissaient des inquiétudes sur le remboursement des PGE et le spectre d'un mur de dettes à venir ? Finalement, presque deux ans plus tard, toujours rien : est-ce à dire que ces craintes sont aujourd'hui levées ?

Nous avions distribué au niveau national jusqu'à 140 milliards d'euros de PGE, et il en reste aujourd'hui près de 100 milliards, car 40 ont déjà été remboursés. Le reste étant étalé sur un total de six ans maximum.

Aujourd'hui, on a des entreprises qui n'arrivent pas à rembourser et qui arrivent au tribunal de commerce pour un règlement judiciaire ou une médiation de crédit afin de restructurer leur dette sur 10 ans maximum. Mais là encore, le taux de défaut observés sur les entreprises reste plus faibles qu'avant la crise sanitaire : avec 40.000 dépôts de bilan à l'échelle nationale en 2022, nous n'avons toujours pas retrouvé une situation dite « normale ».

Je ne dis donc pas que ce « mur de la dette » n'est pas une réalité pour certaines entreprises, notamment celles qui pouvaient déjà connaître une situation financière tendue.

On observe cependant actuellement un certain nombre de dossiers sociaux, notamment dans le secteur de la distribution, y compris à l'échelle régionale comme Camaïeu, Go Sport, Place du marché... N'est-ce pas un élément de vigilance ? Comment l'explique-t-on ?

Nous ne pouvons pas nous exprimer sur des dossiers individuels, mais ce que l'on peut dire, c'est ce sont des dossiers que nous n'avions pas vu durant les deux années de la crise sanitaire.

Les difficultés de la grande distribution ne sont d'ailleurs pas nouvelles : on a déjà vu de grandes chaines de textile carburer à tout crin, se développer, et ensuite déposer le bilan ou être rachetées... Le mouvement était déjà engagé et la vie reprend finalement son cours.

Il y a des entreprises et des grandes marques dans ce domaine qui fonctionnent bien, peu importe le segment (bas prix, moyen ou haut de gamme), et d'autres qui sont plus en difficulté.

Du côté des particuliers, quel tableau également sur les inscriptions aux fichiers de la Banque de France avec l'inflation qui s'installe ?

Sur 2022, nous avons observé également une baisse du nombre de dépôts de dossiers de surendettement de -9 à 10%, et on s'attendait à un regain en septembre, qui n'a pas encore eu lieu. Mais il faut savoir que dans ce domaine aussi, le nombre de dossiers a été divisé par deux par rapport à 2014 en valeur absolue.

L'un des signaux que nous commençons à observer est notamment le nombre d'incidents de paiement et de remboursement de crédits, qui a légèrement augmenté et remonte à son niveau de 2019, mais il s'agit pour l'heure d'une forme de retour à la normale, lorsque les populations reconsomment.

Car si plusieurs mesures ont été prises avec la revalorisation du Smic et des minimas sociaux afin de préserver le pouvoir d'achat des ménages les plus fragiles, on pourrait se demander si l'on ne connaîtra pas un petit rebond avec l'inflation, notamment concernant les dossiers où les revenus sont les plus faibles. La situation est encore aujourd'hui délicate à prédire. Nous sommes donc partis au niveau régional sur des prévisions très conservatrices pour l'an prochain, avec une stabilisation des chiffres.

La réévaluation du taux d'usure sur le terrain de l'immobilier a également fait beaucoup de bruit au niveau national comme local : maintenant que celle-ci a été actée, quel tableau se profile également sur la scène régionale ?

Il est certain que l'on a vu se produire un effet d'aubaine, avec un marché immobilier qui s'est fortement tendu cet été, avec la perspective de remontées des taux. J'ai croisé des notaires qui n'arrivaient même plus à trouver de plage horaire pour signer les compromis, étant donné le niveau de la demande.

Nous allons là aussi revenir à un rythme plus faible, avec des niveaux de crédits accordés à l'échelle nationale qui avoisinaient les 16 milliards en octobre-novembre, contre plus de 20 milliards au printemps dernier.

Car avec la remontée des taux, on commence à repayer le prix réel de l'argent, qui comprend à la fois la gestion du risque mais aussi le temps. Cela remet en quelque sorte l'église au centre du village, même si cela aura aussi probablement pour effet par le fait de désolvabiliser les projets nourris par certains ménages.

Mais il faut rappeler que l'immobilier demeure toujours un placement et un financement sans risques.

Pour la Banque de France et son réseau, quelles perspectives également ?  Vous sortiez en 2021 d'un plan de restructuration de votre réseau qui avait touché 11 postes, pour faire face à la baisse des espèces en circulation au sein du pays ?

Les effectifs ont été recalibrés et stabilisés puisque nous disposons aujourd'hui de 14 implantations en AURA, avec près de 430 salariés. Nous avons complété l'essentiel de notre processus de dématérialisation, avec notamment un passage à la gestion électronique de nos documents comme la plupart des entreprises.

La Banque de France a d'ailleurs dû s'adapter à l'essor des moyens de paiements digitaux (sans contact notamment) depuis la crise Covid : pour autant, votre institution rappelle souvent qu'elle doit veiller à jouer un rôle d'accessibilité à tous, en continuant de garantir la place des paiements en espèces ?

C'est amusant car là aussi, avec la crise sanitaire, nous avons connu tout d'abord une forte hausse de l'utilisation des cartes bancaires, pour finalement atteindre une forme de plateau : même si la tendance ne va pas redescendre et revenir aux chiffres d'avant-crise, on voit que le paiement en espèces résiste relativement bien. D'autant plus qu'avec l'effet de l'inflation, l'utilisation de cash s'en retrouve proportionnellement boostée.

Ensuite, sur la question des moyens de paiement eux-mêmes, nous sommes complètement neutres : nous mettons en circulation les billets et pièces de monnaie, et nous gérons également les systèmes de paiement et leur compensation. A partir du moment où le moyen de paiement est fiable, nous sommes neutres.

On se rend compte cependant que le cash conserve cette vocation d'aider les populations en situation de fragilité à gérer un budget. Car on en parle peu, mais la question de l'illetronisme est toujours présente. C'est aussi un moyen, remis d'ailleurs à la mode par les jeunes, de mieux calculer leurs dépenses. Le cash n'est donc pas devenu complètement has been.

En février 2022, le site de fabrication des billets de la Banque de France (euros et devises) entièrement intégré, à Chamalières, a été victime d'un incendie. Quelles conséquences auront finalement eu cet épisode sur la production, ainsi que sur le projet toujours dans les cartons de regroupement de ce site, avec celui de Vic-le-Comte (qui avait lui-même été décalé à 2026 ?)

Cet incident n'aura finalement pas eu d'impact opérationnel sur le réseau. Quant à la fusion des deux sites, celle-ci se situe hors de mon propre champ d'action mais l'ambition est bel et bien d'avoir un site unique et ultra sécurisé, intégrant toute la chaîne de fabrication (papeterie-imprimerie).

Il s'agit d'un gros projet de refondation de plusieurs millions d'euros qui doit permettre d'investir pour l'avenir et d'intégrer des outils plus performants sur un site qui comptera environ 800 salariés, sans compter les sous-traitants, pour une mise en service de l'imprimerie prévue courant 2026.

A ce stade, toutes les premières concertations de premier niveau ont été faites, et nous allons ensuite entrer dans le détail du projet. Il n'y aura pas de sujet RH car les deux sites sont voisins d'une trentaine de kilomètres.

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