L'annonce de la dissolution de l'Assemblée Nationale les a pris de court, comme tous les Français. Mais après la surprise, c'est bien l'inquiétude ou la frustration qui dominent pour les agriculteurs auvergnats. Car, au-delà de cette situation politique atypique et chaotique, ils espèrent surtout que la nouvelle donne politique ne balayera pas tout le travail effectué ces derniers mois pour tenter de sortir de la crise. Des travaux législatifs étaient en cours au sujet du revenu des agriculteurs, de la souveraineté alimentaire, du renouvellement des générations... tout est pour le moment gelé.
« On ne souhaite pas repartir de zéro »
En premier lieu, la loi d'orientation agricole, pourtant adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale le 28 mai 2024. Et même si le nouveau gouvernement décidait de le remettre sur la table dans les prochaines semaines, le texte devrait de nouveau être examiné et approuvé par les deux chambres, Assemblée et Sénat. Avec quelles conséquences, alors que les équilibres parlementaires pourraient être bouleversés ?
« Nous n'avons aucune visibilité, nous sommes dans le flou. Sur le travail législatif, tout est mis sur pause. Mais on ne souhaite pas repartir de zéro, ce serait une perte de temps conséquente pour les agriculteurs », se désole Sabine Tholoniat, présidente de la FNSEA 63.
« Tous les acquis, que l'on avaient obtenus, ne le sont plus. Nous voulions une agriculture forte et nous sommes frustrés que cela s'arrête ou prenne du retard », indique, de son côté, Mathieu Izabel, secrétaire général des Jeunes Agriculteurs dans le Cantal. Dans son département, les agriculteurs se sont fortement mobilisés en début d'année pour manifester leur colère.
« Nous avons tenu un siège de douze jours en bloquant A75 au niveau de Saint-Flour. Au total, il y a eu entre 2.000 et 3.000 personnes, ce qui montre notre détermination », poursuit l'éleveur de 33 ans, installé depuis 2011.
« Pour 1.000 litres, il me faudrait 100 euros de plus »
Aujourd'hui, il se dit prêt à reprendre son bâton de pèlerin et à convaincre les futurs députés sur des mesures essentielles pour l'agriculture.
« Il nous faut absolument une loi d'orientation pour fixer le cap des dix prochaines années. Il faut donner du poids à notre secteur et aider les jeunes à s'installer », explique ce représentant syndical, qui insiste sur le fait que son organisation est apolitique.
L'inquiétude est forte sur le renouvellement des générations dans le Cantal. Département dans lequel l'agriculture est la première activité économique avec plus de 4.500 exploitations agricoles, principalement de l'élevage bovin. « Nous comptons trois départs pour deux installations dans le Cantal. Il faut aller plus loin pour faciliter les transmissions, c'est ce que permettait en partie la loi d'orientation. Surtout, il faut permettre que ces installations soient viables et vivables et cela ne peut passer que par une loi Egalim efficiente », souligne Mathieu Izabel.
Un rapport parlementaire pour une loi Egalim 4 devait justement être présenté mi-juin. Ce texte devait encadrer davantage les relations entre les producteurs, les transformateurs et les distributeurs. Tout cela est aussi remis en cause, au grand dam des agriculteurs.
« Que ce soit sur le lait et la viande, il faut respecter la loi et avoir une meilleure répartition de la marge. Ce n'est pas pleinement appliqué aujourd'hui. Il y a eu des efforts mais il faut aller plus loin. Dommage que ce soit stoppé », note Sabine Tholoniat qui précise que, dans son département du Puy-de-Dôme, les trois quarts des 6.000 agriculteurs sont des éleveurs.
« Il faut nous payer au coût de production. Mon lait AOP, je le vends 500 euros les 1.000 litres, il me faudrait 100 euros de plus », abonde Mathieu Izabel.
Pérennité de la mesure fiscale sur le cheptel bovin
Ces éleveurs ont aussi des craintes sur la pérennité des 150 millions d'euros de soutien fiscal et social, annoncés en début d'année pour le Premier Ministre, Gabriel Attal. Une réponse à la crise agricole qui faisait suite aux 150 euros de défiscalisation par vache, présentés par Bruno Le Maire au dernier Sommet de l'élevage, qui se déroulait dans le Puy-de-Dôme à Cournon d'Auvergne en octobre. Cela devait compenser la hausse de la valeur de leur cheptel liée à l'inflation qui alourdit leur imposition.
« Cette aide devait être pérenne et devait se retravailler. Mais nous avons peur que ce ne soit pas acté. Quand on connaît les difficultés budgétaires de l'Etat, nous craignons que ce soit tout simplement balayé », redoute la présidente de la FDSEA Puy-de-Dôme.
Inquiétudes autour des retenues d'eau
Au-delà de l'arrêt des travaux législatifs et des textes en cours... les agriculteurs ont déjà en tête les mesures ou positions que pourrait prendre la nouvelle majorité qui sortira des urnes le 7 juillet.
Du côté du Puy-de-Dôme, on craint notamment que le vaste projet de retenues d'eau, porté par 36 agriculteurs de la Plaine de Limagne pour irriguer leurs champs, soit retoqué ou bloqué si la gauche arrive au pouvoir. Alors que le gouvernement actuel est favorable à ces réservoirs et voulait simplifier leur installation, la secrétaire nationale des écologistes Marine Tondelier et la député LFI Clémence Guetté sont venues manifester mi-mai, dans le Puy-de-Dôme, au côté des opposants au projet.
L'élue insoumise a, d'ailleurs, porté un projet de loi de moratoire sur ces « méga-bassines », dénonçant « l'intention du gouvernement d'accompagner l'agro-business au détriment des petits agriculteurs ».
« Nous connaissons leur opposition à ce projet. Ce serait une catastrophe si ces retenues ne pouvaient pas se mettre en route. Les agriculteurs ont déjà investi dans des études et c'est le seul moyen d'être résilient face au dérèglement climatique », exhorte Sabine Tholoniat.
Quid de la main d'oeuvre étrangère ?
En Haute-Loire, ce sont les mesures restrictives en matière d'immigration, préconisées par le Rassemblement national (RN), qui inquiètent. Dans le département, le GIE des producteurs de fruits rouges des Monts du Velay sort, chaque année, 1.100 tonnes de fraises, framboises et autres baies.
« Aujourd'hui, la moitié de notre main d'oeuvre vient d'Ukraine ou de Pologne, car nous ne trouvons pas assez de saisonniers en France. Si nous n'avons plus cette main d'oeuvre étrangère, nous pouvons fermer boutique ou diviser par 10 notre production. Il nous faut entre 600 et 700 personnes pour ramasser nos fruits. Aujourd'hui, employer des travailleurs étrangers est déjà compliqué, il y a beaucoup de paperasse mais si on l'interdit, nous pourrions disparaître », indique Eric Pauchon, président de ce groupement d'intérêt économique qui compte 45 producteurs.
Tous ces professionnels attendent désormais le nouveau visage politique français, en espérant que leur mobilisation de janvier trouvera très prochainement des réponses, même en cas de nouvelle majorité.
Sujets les + commentés