Une fois la reprise actée, "il faudra en profiter pour se désendetter" (Banque de France)

LA RENTRÉE DE... Christian Jacques Berret, directeur régional de la Banque de France AuRA. Santé des entreprises et de l’écosystème régional, évolution du taux d’endettement, ou encore stratégie de rebond... Le directeur régional de la Banque de France nous livre sa première analyse d’une rentrée délicate, où la région Auvergne Rhône-Alpes aurait cependant résisté un peu mieux que ses voisines. Il n’occulte néanmoins pas les transformations qui demeurent à venir, et lance un appel au désendettement « dès que possible » de l’Etat, mais aussi à l’investissement au sein des secteurs stratégiques.
Tout notre enjeu sera que les entreprises passent le moins de temps possible entre l’infirmerie de campagne et le retour vers une meilleure fortune, estime le directeur régional de la Banque de France, Christian Berret.
"Tout notre enjeu sera que les entreprises passent le moins de temps possible entre l’infirmerie de campagne et le retour vers une meilleure fortune", estime le directeur régional de la Banque de France, Christian Berret. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE AUVERGNE RHONE-ALPES - Quel est l'état des lieux d'une année 2020 inédite pour la Banque de France au niveau régional ?

CHRISTIAN JACQUES BERRET - "Notre région est celle qui dispose de la plus belle économie derrière l'Ile-de-France, ce qui se retrouve dans les chiffres issus du PGE :  sur un total de 127 milliards d'euros au niveau national, la région AuRA se situe loin devant avec près de 14 millions octroyés à près de 82.000 entreprises.

C'est bien plus que de grandes régions comme PACA, la Nouvelle Aquitaine, ou encore l'Occitanie, qui totalisent chacune 10 millions, 9 millions et 8,8 millions de prêts attribués.

L'ensemble des secteurs économiques sont d'ailleurs représentés, puisque nous avons-nous aussi du décolletage en Haute-Savoie, de la maroquinerie de luxe en Auvergne, de l'aéronautique un peu partout, de la santé et pharmacie à Lyon, etc.

Nous suivons donc de près les évolutions nationales, avec la petite particularité que notre secteur se trouve en général un peu plus dynamique. Le premier confinement a donc été assez dur, et la reprise très forte entre les deux confinements. A tel point que dans certains secteurs comme la montagne, le mois d'août dernier s'est révélé historique.

Ce qui nous donne, en fin d'année, une évolution globale de notre PIB de -7%, soit un score un peu meilleur que l'échelon national, qui se situe plutôt aux alentours de -8,3%."

Quel bilan peut-on tirer, avec un peu de recul, de ce second confinement sur l'économe auralpine ?

"En décembre, nous avons suivi la tendance nationale mais là où l'on constate des différences, c'est sur le plan de l'industrie. Car alors que 91% des entreprises industrielles indiquaient en fin d'année avoir repris une activité normale, elles étaient 95% dans notre région. De même que dans les services, ce score atteignait 88% en AuRA, contre 82% sur le plan national. Même chose dans le bâtiment, où nous sommes un point en dessus de la moyenne (98%).

On peut donc dire que cette fois encore, l'économie de notre région a un peu mieux résisté.

Bien entendu, il existe des disparités au sein du secteur des services, car là où le transport routier est passé de 60% d'activité au mois d'avril à 97% en fin d'année, l'emploi temporaire qui était tombé à 31% puis repassé à 90%, tandis que l'hôtellerie restauration était entre 0 et 3% en avril, et remonte péniblement à 30% en fin d'année..."

Est-ce que cela signifie pour autant que notre économie et nos entreprises sont aujourd'hui moins impactées ?

"Les liquidités, encore aujourd'hui présentes au sein de l'économie, nous ont permis pour l'instant d'éviter que la crise sanitaire ne se double d'une crise financière. La commande publique a repris, semble-t-il, de la vigueur, et les mesures d'aides massives ont été prises permettant à l'économie de repartir, même s'il peut toujours exister des trous dans la raquette. Ce choix s'est fait pour protéger l'économie, au prix de l'endettement.

La France fait désormais face à deux sources de dettes : celle des entreprises, ainsi que celle des aides publiques.

Fin octobre dernier, les crédits aux entreprises étaient en hausse de 29% en AuRA, incluant bien sûr des dispositifs comme les PGE, dont 41% des montants ont été alloués aux PME et 45% aux TPE. En nombre, 89% des PGE sont à destination des TPE. Le crédit aux petites entreprises ne s'est donc pas tari, bien au contraire. De ce côté, nous sommes également proches des chiffres nationaux puisque les banques ont accordé en moyenne 94 à 90% des crédits de trésorerie demandés par les PME, et 84 à 86% de ceux demandés par les TPE."

Déjà avant la crise, la Banque de France s'inquiétait de l'endettement des entreprises françaises, plus fort que celui de ses voisins. Cette inquiétude est-elle renforcée par le contexte actuel ?

"Entre avril et septembre dernier, le taux d'endettement des entreprises a été augmenté, au niveau national, de 175 milliards d'euros, dont 120 milliards pour les seuls PGE. Et à côté de nous, des pays comme l'Allemagne en avaient accordé deux fois moins. Déjà avant cette crise, la Banque centrale française avait tiré la sonnette d'alarme en 2019 face à une croissance qu'elle jugeait importante des crédits aux entreprises en France. Nous avons même mis en place un coussin contracyclique, qui avait pour effet de freiner un peu les crédits accordés aux entreprises. Dispositif que nous avons bien entendu levé durant cette crise.

Mais notre seconde inquiétude va à l'égard de la dette publique : car en dehors de ce que l'on va désormais appeler « la dette Covid », qui était totalement justifiée, et à laquelle tous les pays européens ont fait appel et qui se résorbera dans la durée, la différence pour la France est qu'elle disposait déjà d'une dette atteignant 100% de son PIB.

Cette dette-là est bien à nous, et nous n'avons pas, contrairement à nos voisins, profité de nos années fastes pour nous désendetter. Même si nous avons transféré une partie de cette dette vers les collectivités, nous avons continué à accumuler de la dette."

Le principal risque est-il que la signature de la France devienne, à terme, dépréciée sur les marchés internationaux et donc, que notre dette coûte à l'avenir plus cher comme certains experts l'évoquent ?

"Si cette dette continue d'augmenter et que nous ne faisons rien, c'est un risque.

Nous avons la capacité d'absorber cette crise, même si celle-ci a un coût, mais nous devons en profiter pour corriger le tir dès que renouerons avec la croissance, après avoir investi dans les secteurs qui vont se développer, une fois que les entreprises seront consolidées à l'issue de cette crise.

Nous espérons renouer avec une amélioration à la mi-2022, et il faudra en profiter pour commencer à se désendetter."

L'endettement actuel des entreprises françaises s'explique-t-il en partie par un recours encore insuffisant à d'autres formes d'investissements, comme le capital risque ?

"Même si cela a tendance à évoluer avec le temps, l'économie française est encore très intermédiée et fait encore beaucoup appel aux prêts bancaires, mais cela est aussi une traduction du fait que notre marché bancaire est historiquement avantageux pour les entreprises, puisque nous présentons l'un des meilleurs taux d'Europe en matière d'emprunt.

banque de france façade (libre de droit)

Notre système bancaire français est aussi l'une de ceux qui a le mieux résisté lors de la dernière crise financière de 2008, et nous avons depuis veillé à ce qu'elle double quasiment ses fonds propres depuis, ce qui nous assure de disposer d'un système bancaire solide.

Mais aujourd'hui, c'est le haut de bilan des entreprises qu'il faut consolider, en faisant en effet appel à de l'investissement sur du long terme comme le capital investissement. Nous savons que pour cantonner cette dette Covid, nous n'aurons pas d'autre choix."

Les dettes issues des PGE viennent d'obtenir un nouveau report d'un an : étiez-vous favorable également à ce que ces remboursements soient plutôt lissés sur des durées plus longues, comme le demandent certains professionnels du recouvrement ?

"Pour le moment, la Banque centrale ne s'est pas prononcée à ce sujet, mais il est admis que la dette Covid devra très certainement être traitée de façon différente, et certainement, dans la durée."

Malgré le fait que l'Etat intervienne en contre-garantie d'une large proportion de ces PGE, existe-il des craintes sur la résistance de notre système bancaire face aux défauts de paiement qui pourraient être à venir -certaines études estiment jusqu'à 7% le risque défauts de paiements au sein des TPE par exemple - ?

"Nos banques sont heureusement fortes et auront encore des marges de manœuvre pour continuer de financer les entreprises jusqu'à la fin de cette crise. Je ne suis pas inquiet pour cela, même s'il est vrai que pour les années qui viennent, les banques vont probablement augmenter leur risque de crédit car certaines entreprises vont certainement faire face à des situations délicates. Même si pour l'heure, nous n'observons toujours pas de hausse significative à ce sujet.

Les chiffres des tribunaux de commerces sont toujours bien en dessous de ce à quoi l'on attendait, ce qui signifie que ces aides ont permis, à court terme, aux entreprises de passer le cap. Mais nous savons qu'il y aura des dégâts, c'est inévitable."

Quelle est la stratégie à suivre, à moyen terme selon vous, face à ces défaillances ?

"Il y aura probablement des défaillances, mais tout l'enjeu va être de recentrer les aides dans un second temps sur les secteurs d'avenir, afin de ne pas laisser en perfusion permanente des entreprises qui ne sont pas susceptibles de passer ce cap.

Dans un premier temps, on verra probablement une hausse du chômage, mais le pari est que les entreprises qui auront su passer ce cap ou qui en auront profité pour repenser leur avenir et se reconvertir seront demain plus fortes, et recommenceront à recruter, après avoir assaini en quelque sorte l'économie d'une partie des entreprises en difficultés.

C'est un phénomène que l'on connait d'ailleurs mieux aux Etats-Unis, et tout notre enjeu sera que les entreprises passent le moins de temps possible entre l'infirmerie de campagne et le retour vers une meilleure fortune. Pour cela, cela signifie qu'il nous faut miser sur le retour à la croissance, le désendettement, la création d'activité et l'investissement dans ce qui marche le plus tôt possible."

La France étudie encore la possibilité d'un 3e confinement, alors que des pays comme l'Espagne ont fait le pari inverse, en estimant qu'ils n'en auraient pas les moyens...

"Nous sommes en effet suspendus à la crise sanitaire. Nous avons mené une enquête auprès d'un large panel d'entreprises afin qu'elles nous disent ce qu'elles en pensent, et nous fassent part de leurs prévisions. Car les chefs d'entreprises sont eux-mêmes obligés de prévoir, et savent repérer les signaux faibles de l'économie, car il s'agit pour eux d'une question de survie. Et ce que nous voyons pour l'instant demeure une reprise partielle pour le mois de janvier.

Nous demeurons nous-mêmes prudents sur nos prévisions, c'est pourquoi nous tablons sur une progression de 5% sur les deux années à venir, car nous devons prendre en compte la durée de cette crise, qui retarde la reprise des entreprises.

Tant que nous n'avons pas une vaccination générale et efficace, nous ne pourrons pas sortir la tête de l'eau. Nous espérons donc une reprise courant 2021."

Mais quid d'une 3e confinement, qui est encore envisagé à ce stade, et de son impact sur l'économie contrairement à nos voisins espagnols ?

"L'Espagne n'a en effet pas fait ce choix-là, et la France s'en est jusqu'ici plutôt mieux sortie avec l'ensemble de ses mesures protectrices. C'était un pari économique et nos entreprises ont pour l'instant moins souffert.

Personne n'a envie d'aborder un nouveau confinement, mais nous nous situons peut-être dans une situation moins mauvaise que nos voisins. Nous savons que des restrictions s'inscrivent de toute façon dans la durée, tant que nous n'aurons pas une vaccination efficace.

C'est pourquoi, dans nos calculs, nous avons été obligés d'anticiper plusieurs scénarios."

Pensez-vous que cette crise ouvre un nouveau modèle économique pour la montagne, comme certains le prétendent ?

"C'est plausible, de la même façon que les habitudes et les comportements des consommateurs changent. Les français ont été amenés, un peu contre leur gré, à redécouvrir leur pays et ses atouts, car nous ne sommes pas la première destination touristique au monde pour rien. Ils se sont aperçus de la diversité de la montagne en été, et je crois que beaucoup de choses vont changer à l'issue de cette crise dans nos façons de travailler, de nous distraire, et même d'investir ce que l'on fait.

Nous encourageons nous-même le développement de secteurs d'avenir comme la digitalisation, les changements climatiques... Nous sommes la première des banques centrales à avoir convaincu nos collègues de s'engager pour un verdissement du système financier en 2017, qui encourage les investissements dans les secteurs économes en énergie et décourage les autres. Il ne s'agit pas d'un fantasme, mais d'un enjeu financier important."

Le réseau de Banque de France vient d'annoncer lui-même une restructuration à l'échelle de l'Hexagone, pour faire face à la baisse des espèces en circulation au sein du pays : par quels impacts ce projet va se traduire en AuRA ?

"Dans notre région, ce sont uniquement 11 emplois qui vont être concernés, et cette question dépasse en réalité le réseau de la Banque de France lui-même puisqu'il faut suite à des moyens de paiements, qui évoluent.

La diminution des espèces est forte, car son grand concurrent est le paiement en carte et notamment sans contact, qui a grimpé en faveur de la crise, même s'il s'agit avant tout d'une tendance de fond.

Nous sommes passés à une ère de concurrence des moyens de paiement, et même si certains prédisent encore la disparition des espèces, nous serons là pour défendre la liberté de choix du citoyen sur son moyen de paiement. Nous conserverons un rôle afin que les espèces demeurent accessibles et que des formations soient offertes aux commerçants afin qu'ils continuent à les accepter. Car le paiement en espèces traduit aussi la notion d'accessibilité, nous sommes très regardant sur le fait que les régions les plus reculées aient accès à des distributeurs."

Comment cela va-t-il se traduire concrètement en matière de maillage et d'emplois ?

"On ne parle pas, à travers ce plan, de la fermeture de succursales. L'essentiel de notre maillage va demeurer inchangé, car nos agences physiques sont là pour remplir différentes missions essentielles, comme la gestion des impayés, des entreprises, le financement, etc.

Même si 23 caisses sont amenées à fermer sur le plan national, cela ne remet pas en cause notre maillage, d'une centaine d'implantations en France.

Il n'y aura pas de départs contraints, plusieurs solutions seront proposées aux salariés concernés, comme des départs anticipés à la retraite, des reclassements et promotions internes avec concours et formation, qui sont encore en cours de négociations. Les premières fermetures ne devraient pas avoir lieu avant mi 2022. En AuRA, la seule fermeture concernera la caisse de Saint-Etienne."

Face à la digitalisation, quel sera votre propre recours : pourriez-vous également vous réinventer face au paiement en ligne ?

"Cela faisait déjà quelques années que nous observions une diminution des espèces face à la montée du commerce en ligne.

Nous sommes d'ailleurs en train de créer une monnaie de banque centrale numérique (MNBC) afin de pouvoir garantir la sécurité des citoyens sur leurs moyens de paiements, et que la création de la monnaie ne soit pas laissée aux mains de puissances inconnues ou internationales.

Cela se traduira à la fois par une monnaie digitale entre banque centrales, qui devrait sortir d'ici quelques mois, ainsi que sur une monnaie destinée au public. Cela sera la même chose qu'une monnaie digitale, sauf qu'elle sera garantie et contrôlée."

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.