Le redécollage de l’aéroport de Saint-Etienne est-il encore possible dans un contexte de « plane bashing » ?

ENQUETE. Après sept ans d'activité extrêmement réduite, l'aéroport de Saint-Etienne Loire semble sur le point de redécoller. Les premiers frémissements sont perceptibles. Le syndicat mixte exploitant (et finançant) la structure, emmené par Saint-Etienne Métropole, poursuit le plan de développement mis sur pied en 2021. Mais est-ce vraiment raisonnable?
L'aéroport a accueilli moins de 5.000 passagers en 2023.
L'aéroport a accueilli moins de 5.000 passagers en 2023. (Crédits : Stéphanie Gallo Triouleyre)

Développer un aéroport en 2024, dans un contexte de « plane bashing » et de réchauffement climatique (avec une contribution de l'aviation estimée à 5%), est-ce vraiment raisonnable ? « Oui ! », dit et redit Saint-Etienne Métropole depuis 2019, date à laquelle la collectivité avait pris les manettes du syndicat mixte de l'aéroport de Saint-Etienne, situé sur la commune d'Andrézieux-Bouthéon, à 15 kilomètres de la préfecture ligérienne.

En 2019, le plan de vol annoncé par Gaël Perdriau (alors président de Saint-Etienne Métropole, désormais en retrait) était clair : il s'agissait de trouver une nouvelle vie à cette infrastructure qui tournait au ralenti depuis 2017 et l'arrêt des vols low-cost que ne souhaitaient plus subventionner les collectivités locales (170.000 passagers en 2016).

Cinq ans et plusieurs études prospectives plus tard, force est de constater que l'aéroport n'a pas encore redécollé. En 2023, 4.419 passagers sont passés sur le tarmac stéphanois (sur 23.000 mouvements, c'est-à-dire 11.500 atterrissages/décollages). Et même si une hausse de 30% est attendue pour 2024, grâce à la reprise de quelques vols commerciaux affrétés notamment par des agences de voyage locale et grâce à l'accueil des JO.

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Il faut dire que le Covid et le contexte économique n'ont pas aidé. De plus, la nouvelle équipe en charge de la gestion et de l'exploitation n'est réellement en place que depuis 2021. Elle est menée par la directrice, Stéphanie Manuguerra (détachée par Saint-Etienne Métropole) et par François Driol, le maire d'Andrézieux-Bouthéon, vice-président de SEM et président du conseil d'exploitation. Jusqu'à 2021, la gestion de la structure était déléguée à la CCI.

Pour autant, le sujet du redéveloppement de l'aéroport d'Andrézieux, qui avait pris des allures d'arlésienne ces dernières années, semble aujourd'hui beaucoup mieux orienté.

« L'infrastructure existe, il serait fou de la fermer »

Avec sa piste de 2,3 kilomètres de long, l'aéroport est capable d'accueillir des moyens courriers, c'est-à-dire des avions de 200 places environ type A320. Mais ce n'est là, ni la cible privilégiée, et encore moins unique, du conseil d'exploitation. Conseil chapeauté par le SMASEL (Syndicat mixte de l'aéroport de Saint-Etienne Loire), constitué de SEM (30,5%), du Département (43%), de la CCI Lyon Métropole Saint-Etienne Roanne (15%), de Loire Forez Agglomération (7%) et de la communauté de communes de Forez Est (4,5%). Ces collectivités cofinancent le budget de la structure, avec plus ou moins d'allant. Celui-ci s'est établi à 1,846 million d'euros en 2023.

« Si cet aéroport n'existait pas, il serait délirant aujourd'hui de le construire. Mais le fait est qu'il est là et qu'il serait désormais délirant de le fermer. Il rend un service important au territoire. L'année dernière, nous avons eu une trentaine de transports d'organes pour le CHU. Il est utile pour les rapatriements sanitaires, pour la protection contrer les feux de forêt puisque nous sommes un des 21 pélicandromes de France. La structure a été sollicitée à deux reprises en 2023 », commente François Driol.

L'élu métropolitain met par ailleurs en avant l'impact sur l'attractivité du territoire, un argument défendu bec et ongles par Gaël Perdriau depuis son arrivée à la tête de la collectivité. Sans aéroport, explique-t-il, Saint-Etienne serait beaucoup moins bien positionnée pour recevoir de grands événements sportifs comme elle a pu le faire ces dernières années (JO, Coupe du monde de rugby, etc). Une dizaine de vols seraient d'ores et déjà programmés dans le cadre des matchs de football qui vont se jouer à Saint-Etienne pour les JO 2024.

« Cet aéroport représente 0,1% du budget cumulé des collectivités présentes au SMASEL. Est-ce qu'on arrête ces missions de service public pour 0,1% ? Tous les financeurs de l'aéroport valident ces fondamentaux. L'objectif est de mettre en œuvre de la diversification afin que cette infrastructure puisse assurer ces missions importantes pour le territoire, tout en coutant le moins cher possible », poursuit François Driol.

La directrice de l'aéroport, Stéphanie Manuguerra complète : « Le monde de l'aéronautique évolue, la filière est en train de faire sa mue. Elle avance sur l'électrique, l'hydrogène, elle est actuellement dans une phase de transition. Ne jetons pas tout aujourd'hui alors que dans quelques années, l'équation carbone de l'aérien n'aura plus rien à voir ».

Vols commerciaux et activités bord de piste

La première des briques de diversification visée reste les vols commerciaux. Sans revenir à l'époque des charters hyper subventionnés avec leurs hordes de touristes en transit, l'ambition est bien de faire réapparaitre progressivement l'aéroport ligérien sur les radars des professionnels du tourisme. Avec deux voies annoncées de développement : les charters ponctuels et, pourquoi pas, des lignes régulières. Après une prospection lancée fin 2022, trois vols charters ont été affrétés par des agences de voyage dès 2023. Huit sont au plan de vol de 2024. Et 12 ont déjà été validés pour 2025.

Concernant les lignes régulières, l'aéroport a fait sa première participation au salon Connect en février dernier à Turin. Selon ses exploitants, il serait revenu avec trois compagnies potentiellement intéressées.

« Les discussions avancent bien. Et cela se ferait évidemment sans engagement de subventions. Le seul engagement qu'on prend, comme tous les autres aéroports, est d'accorder une aide au démarrage qui serait dégressive, avec une date de fin. Pour chaque vol qui se pose chez nous, c'est une redevance payée et donc une recette pour la structure. Et puis, c'est un service rendu aux Ligériens. Pouvoir partir en vacances, sans stress, sans devoir se rendre jusqu'à Lyon Saint-Exupery, c'est un avantage certain », précise François Driol.

Ce point des subventions sera particulièrement surveillé par Benoit Fabre, le président du Medef Loire :

« Il faut probablement conserver cet aéroport, il a un certain intérêt. Mais attention, il n'est pas question que les entreprises, via leurs impôts, viennent financer les vacances des touristes, même s'ils sont Ligériens », avertit le président du syndicat patronal. Et d'insister sur la nécessité, largement prioritaire à l'aéroport selon lui, de travailler sur une liaison ferroviaire Saint-Etienne-Saint-Exupery.

Autre voie de diversification que suit le conseil d'exploitation de l'aéroport : le développement des activités bord de piste, c'est-à-dire la mise à disposition de surfaces foncières pour des activités en lien avec l'aéronautique. Déjà, une école de pilotage d'hélicoptère et une autre de pilotage d'avion vont démarrer prochainement leur activité. Des discussions sont en cours pour l'implantation d'activités de maintenance d'aviation générale, dans le cadre d'une création d'entreprise. Le projet de la start-up Eenuee avec son avion électrique, est aussi attendu. Enfin, des échanges seraient en cours sur une possible implantation d'un restaurant dans l'enceinte de l'aérogare.

L'aviation d'affaires décolle

Autre axe de développement qui, après de multiples annonces sans effet, semble enfin se concrétiser : l'aviation d'affaires. Elle a concerné 1.800 passagers en 2023.

D'ici début juillet, un avion pouvant accueillir quatre passagers sera opéré par la petite compagnie savoyarde Avialpes. L'avion, qui doit être envisagé comme un avion taxi, a été acheté par un groupement d'industriels ligériens (dont le nom reste confidentiel) qui en a confié l'exploitation à ce prestataire. L'appareil sera réservable, à la demande, sur un modèle d'avion partagé.

 « Il est adapté à un usage français et pays limitrophes. Avec un tarif deux fois moins élevé qu'un jet privé, environ 2.500 euros (pour l'ensemble des passagers) pour un aller-retour à Cannes par exemple et une consommation de 15 litres aux 100 kilomètres. L'avion choisi est le plus économe de l'aviation d'affaires, il représente une consommation équivalente à une grosse berline, soit 4 litres aux 100 kilomètres par passager. A titre de comparaison, sur un gros avion de ligne, la consommation est de 3 litres aux 100 kilomètres/passager  », présente Emmanuel Rety, le gérant d'Avialpes, petite compagnie créée il y a douze ans.

Un autre groupement d'industriels (lui aussi confidentiel...) travaille aussi sur le sujet pour un autre avion adapté à des déplacements un peu plus lointains, au niveau européen. Depuis 6 mois, le système est déjà opérationnel via un avion mis à disposition par une compagnie aérienne (26 AR opérés, pour 197 passagers). L'étape suivante est celle de l'investissement dans leur avion propre.

Autant de perspectives qui ne sont absolument pas du gout, par exemple, de l'élu écologiste métropolitain Olivier Longeon ou de Pierrick Courbon (conseiller municipal PS à Saint-Etienne, conseiller départemental et candidat aux prochaines législatives). Qui dénoncent tous les deux depuis des années un acharnement financier sur un sujet qu'ils estiment inadapté aux enjeux actuels.

Ces perspectives ne plaisent pas, non plus, à l'association Forez Agir, association créée il y a un an et revendiquant une centaine de membres. Son objet : la réflexion citoyenne et le débat sur les sujets d'aménagement du territoire de la Plaine du Forez. Créée notamment par Jérôme Peyer, ex premier-adjoint du maire de Boisset-Saint-Priest, elle organise régulièrement des débats sur des sujets d'aménagement.

« On demande aux collectivités locales d'économiser de l'argent pour pouvoir continuer de financer des services publics essentiels, et on continue d'injecter des sommes folles dans cet équipement... Développer un aéroport aujourd'hui est complètement anachronique.  On nous parle de développement du tourisme. Est-ce aux contribuables de financer les vacances de certains ? On nous parle aussi de grands événements sportifs mais les JO, c'est une fois par siècle, et pour la coupe du monde de rugby récente, 14 équipes étaient arrivées en TGV après un atterrissage à Lyon ou Paris pour la plupart...Sur le sujet des transports sanitaires, jusqu'à l'année dernière, cela passait par l'aérodrome de Bron puis par un taxi, cela fonctionnait très bien », énumère Jérome Peyer.

Il pointe aussi l'impact de ce petit aéroport sur les communes avoisinantes, avec un couloir aérien bloquant le développement de nouvelles constructions en raison du plan d'exposition au bruit. C'est le cas, en particulier, pour la commune de Veauche dont, rappelle Jérôme Peyer, le nombre de logements sociaux ne satisfait pas aux critères fixés par la législation.

L'homme dit par ailleurs s'étonner qu'une collectivité publique ait pu recruter une personne « chargée de convaincre les entreprises de prendre l'avion plutôt que le TGV ». Un argument que balaie Stéphanie Manuguerra, la directrice de l'aéroport : « il ne s'agit pas de faire concurrence au train. Lorsque le déplacement en train fonctionne bien, personne ne prend l'avion. L'idée est d'apporter une solution aux déplacements difficiles en train ».

La tour de contrôle de la DGAC en sursis

Outre ces oppositions, l'aéroport de Saint-Etienne Loire se prépare à affronter d'autres turbulences : celles liées à la possible (probable) perte de sa tour de contrôle. La DGAC, la Direction Générale de l'Aviation Civile, s'est engagée dans une restructuration avec la fermeture annoncée d'un quart de ses tours de contrôle entre 2028 et 2035. Aucune liste n'a pour l'instant été communiquée mais la structure ligérienne anticipe déjà le choc.

« Nous partons du principe qu'elle sera supprimée à un moment ou à un autre, nous nous y préparons. La perte de cette tour de contrôle ne signifie pas que nous devrons fermer l'aéroport. Nous prendrons le relai.  Actuellement, cinq salariés de la DGAC sont affectés à notre aéroport. Ils travaillent du lundi au samedi de 8h à 20h/ 21h. En dehors de ces horaires, nous assurons nous-mêmes le contrôle aérien. Si la DGAC retire ses agents, nous aurons besoin de trois ou quatre agents formés », explique François Driol, le président du Conseil d'exploitation de l'aéroport.

Soit un surcoût financier de 350.000 euros par an, qui sera pris en charge (mais en partie seulement) par la taxe facturée aux compagnies qui feront atterrir des avions à Saint-Etienne. « Mais elles paient déjà une redevance au niveau national. Dans le cadre de cette réforme de la DGAC, il faudra régler ce problème d'une double redevance, les compagnies ne vont pas accepter de payer deux fois trop souvent », prévient Stéphanie Manuguerra. Le sujet est important, cette problématique pourrait devenir un frein aux projets de la nouvelle équipe de gouvernance de l'aéroport.

Dans la Région, les autres métropoles disposent d'aéroports d'une autre envergure. L'aéroport de Grenoble a accueilli 235.000 passagers en 2022, Clermont-Ferrand 188.000 et Lyon, dans une tout autre dimension 8,5 millions. Au niveau national, on compte 71 aéroports, dont 41, dits aéroports intermédiaires, ont accueilli entre 10.000 et 3 millions de passagers en 2019. Dans un rapport publié l'année dernière (dans lequel l'aéroport de Saint-Etienne n'était pas étudié car en deçà du seuil des 10.000 passagers pris en compte), la cour des comptes pointait un maillage dense du territoire et des fragilités structurelles des aéroports de taille intermédiaire associées à des financements publics importants.

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Commentaire 1
à écrit le 24/06/2024 à 21:36
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Ne pas oublier que cet aéroport a été géré par la CCI. Vous savez celle de St Etienne qui était au bord du gouffre avant d'être avalée par celle de Lyon. Belle exemple de gestion de cette chambre qui prétend conseiller les entreprises....

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