Relance du secteur aéronautique : « le problème n’est pas le carnet de commandes » (David Perret, Eldec France)

LINVITE ECO. Alors que la reprise de l’activité de l’aéronautique se profile depuis le début de l’année, la filière régionale, qui occupe une place importante en vertu de la densité de son tissu d’équipementiers et de sous-traitants dans le Rhône et en Auvergne, repart elle aussi de plus belle. Mais entre hausse des prix des matériaux, de l’énergie, et difficultés à se fournir en composants comme à recruter, les volumes de production sont (délicatement) revenus aux indicateurs d’avant-crise, mais ne parviennent toujours pas à dépasser un plafond de verre qui s'installe.
(Crédits : DR)

Post-crise, un vent de reprise souffle sur l'aéronautique, même si la filière régionale demeure perturbée par la crise de l'énergie.

« Aujourd'hui, les commandes sont là, et il n'y a pas un secteur d'activité au monde qui ait plus de 10 ans de commandes fermes devant lui, comme on le voit avec Airbus. Le problème n'est donc pas le carnet de commandes, mais les problématiques autour de l'énergie et de la chaîne d'approvisionnement avec le conflit en Ukraine ou le situation en Asie des composants, et surtout, la pénurie de main d'œuvre », résume David Perret, Ceo d'Eldec France et membre du Cluster Aerospace Auvergne Rhône-Alpes.

Une filière qui pèse d'ailleurs tout particulièrement au sein du tissu de la région Auvergne Rhône-Alpes, première région industrielle française, où l'aéronautique dispose encore d'une place forte dans le Puy-de-Dôme (Issoire), mais aussi sur le bassin lyonnais, qui réunit le plus gros des 15.900 collaborateurs issus de la filière régionale.

 « Nous n'avons pas la chance d'avoir de grand donneur d'ordres présent dans la région mais nous disposons d'un large tissu de PME et ETI, de rang 1 et surtout de rang 2 et 3 », affiche David Perret. Sa propre société, Eldec France, est par exemple spécialisée dans les capteurs de détection de proximité et les jaugeurs de carburant pour l'aéronautique. Filiale du groupe américain Crane, elle travaille déjà pour de grands comptes comme Airbus, ATR, Airbus Hélicoptères, Leonardo Hélicoptères, Pilatus en Suisse, Bombardier...

Une pénurie de main d'œuvre « nouvelle »

Et à l'image d'autres secteurs industriels, l'aéronautique fait face à une pénurie de main d'œuvre et cela, sur l'ensemble de ses métiers : « cela va des métiers du bureau d'études en R&D, en passant par les opérateurs de production, la qualité, les fonctions support ou informatique », énumère David Perret.

Une situation qu'il associe volontiers à un autre facteur :

« C'est un phénomène assez nouveau car jusqu'ici, l'aéronautique était plutôt vue comme un technologie de pointe qui attirait. Mais depuis quelques années, avec le bashing qui est fait autour de l'aéronautique, c'est un peu plus compliqué. Et cela, alors que l'on enregistre encore des taux de chômage atteigant 6,5% en région et 7% au niveau national : on ne peut pas vraiment parler de plein emploi », affiche David Perret, qui évoque un besoin d'accompagnement autour de dispositifs de retour à l'emploi au sein de la filière.

La tension des composants toujours présente

Autre facteur de tension sur ce marché : la pénurie de composants électroniques, qui comme dans le milieu automobile, ralentit encore les chaînes de production. « Sur le plan des composants, on fait aujourd'hui face à des augmentations de prix mais aussi à des phénomènes d'obsolescence programmée où tous les mois, de nouveaux composants deviennent obsolètes et ne sont pas renouvelés. Or, trouver des solutions de remplacement peut coûter très cher », glisse David Perret.

Ainsi, malgré des contrats d'approvisionnements à long terme passés par des grands donneurs d'ordres comme Airbus pour tenter de sécuriser les approvisionnements de certains matériaux pour toute une filière, l'avionneur français a déjà été contraint de retarder son programme d'augmentation des capacités de production en raison d'un manque de moteurs notamment : « Quand il manque un seul composant des nomenclatures qui comprennent plusieurs millions nécessaires à la fabrication, aujourd'hui c'est un avion qui ne peut pas être livré », rappelle-t-il.

Résultat ? Pour l'heure, « on revient à peine aux niveaux de production d'avant-crise, mais les besoins sont aujourd'hui bien au-delà. La cadence de production mensuelle pour la famille A320 était par exemple de 54 avions par mois et Airbus pousse pour que l'on arrive à 75 par mois d'ici la mi-2025, mais ce objectif vient à nouveau d'être retardé de six mois car il existe de vrais manques ».

Une industrie prise entre bashing et décarbonation

A l'heure où la décarbonation de tous les modes de transport est sur toutes les lèvres, et en particulier de l'aviation (qui représente jusqu'à 14,9% des émissions des transports et 6,4% du total des émissions de COde la France, selon un rapport conjoint de la DGAC et du Ministère des Transports publié en 2020, ndlr), le patron des Aéroports de Paris (ADP) avait lui-même admis récemment la possibilité que le trafic puisse diminuer en l'attente de l'essor d'une industrie plus verte.

David Perret nuance :  « L'aviation permet d'assurer une liberté fondamentale qui est de voyager et dont on ne peut pas se passer. (...) Nous n'avons pas attendu qu'il y ait ce greenbashing dans la filière aéronautique pour agir : 80% des émissions de CO2 ont déjà été réduites, mais il reste 20% à adresser. Il existe un plan d'action très concret à mettre en place, notamment au niveau de la filière française, afin d'atteindre l'objectif de zéro net carbone à horizon 2050 ».

Avec, parmi les pistes étudiées aussi bien à l'échelle nationale que locale, des roadmaps technologiques qui incluent l'appel à des carburants dits plus durables, « qui sont aujourd'hui prêts à condition d'avoir du support », mais aussi « des modèles mixtes ou hybrides électriques et hydrogène sur un horizon plus lointain ».

Retrouvez l'intégralité de l'interview ici

Un décideur chaque semaine

Pour rappel, le groupe La Tribune et BFM Lyon s'unissent depuis la rentrée dernière pour vous proposer, à travers l'émission Lyon Business (tous les mardis à 17h45), l'interview d'un décideur de l'économie lyonnaise au cœur de l'actualité.

Une occasion de décrypter ensemble les enjeux des dossiers et tendances de l'économie locale, animée par Élodie Poyade pour BFM Lyon et Marie Lyan pour le bureau Auvergne Rhône-Alpes du journal La Tribune.

Une émission à retrouver en direct et en replay sur la chaîne BFM Lyon, disponible sur le canal 30 de la TNT et sur les chaines 479 (box SFR), 315 (Bouygues) et 915 (Free), ainsi que sur le bureau Auvergne Rhône-Alpes de La Tribune.

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