Aciérie circulaire Ugi’ring : « Etre classé Seveso garantit que le site sera davantage surveillé » (Frédéric Perret)

INTERVIEW - Après des mois de combat qui étaient montés jusqu'au sommet de l'Etat, l'industriel Ferroglobe aux manettes du site de production de silicium et d'alliages Ferropem avait accepté de céder son site de La Léchère (Savoie) à un industriel local, Ugitech, filiale du groupe Swiss Steel. Car dans sa besace, l'un des plus gros employeur du bassin local (1.300 salariés à Ugine) souhaitait à la fois sécuriser ses propres approvisionnements en métaux critiques et développer un nouveau modèle d'aciérie circulaire. Mais le lancement de l'enquête publique et le classement Seveso du projet a déclenché une tempête du côté des riverains, qu'Ugitech tente désormais d'apaiser. Frédéric Perret, président d'Ugi'ring et directeur du développement d'Ugitech répond aux questions de La Tribune.
« Je sais que cela peut être difficile à entendre pour les riverains, mais le fait d'être un site Seveso garantit que le site sera davantage surveillé par les services de l'Etat », rappel Frédéric Perret, qui précise qu'Urig'ring devrait permettre à l'aciériste Ugitech de remplacer jusqu'à 90% des métaux critiques actuellement utilisés par un approvisionnement circulaire.
« Je sais que cela peut être difficile à entendre pour les riverains, mais le fait d'être un site Seveso garantit que le site sera davantage surveillé par les services de l'Etat », rappel Frédéric Perret, qui précise qu'Urig'ring devrait permettre à l'aciériste Ugitech de remplacer jusqu'à 90% des métaux critiques actuellement utilisés par un approvisionnement circulaire. (Crédits : DR)

La Tribune - L'enquête publique qui évalue la demande d'autorisation pour le projet Ugi'ring a débuté début février et vient d'être prolongée de deux semaines, au 31 mars : une telle démarche était rendue obligatoire dans le cadre de votre activité ?

Frédéric Perret, président d'Ugi'ring et directeur du développement d'Ugitech - Aujourd'hui, cette démarche est nécessaire dans le cadre d'un dossier d'installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE), une catégorie qui englobe le projet Ugi'ring, et de la servitude d'utilité publique qui a également été demandée.

Lire aussi Aux pieds des stations de ski, le projet Ugi'ring de recyclage de piles alcalines cristallise les inquiétudes

Il s'agit d'un processus très normé, qui peut durer au minimum quatre semaines et aller jusqu'à huit semaines, comme cela va finalement être le cas. Dans ce cadre, nous avons fait une première réunion publique le 12 février dernier, à laquelle ont participé 150 riverains, puis une seconde rencontre en visio le 11 mars dernier, avec un collectif de riverains opposé au projet.

La Tribune - De nombreuses inquiétudes ont été soulevées par riverains. L'enquête publique avait elle-même déjà reçu plus de 400 contributions la semaine dernière : vous vous attendiez à autant de réactions ?

Frédéric Perret - C'est très difficile à dire : car d'un côté, qu'un projet qui emploie certains termes comme « Seveso seuil haut » puisse interpeller et poser des questions, c'est tout à fait normal. Il faut aussi que l'exploitant puisse communiquer sur son projet et répondre aux questions, et l'enquête publique est précisément le lieu pour le faire.

Nous avions d'ailleurs annoncé depuis le départ que nous souhaitions un débat le plus transparent possible. Nous avons reçu à ce jour pas moins de 2.100 questions, que nous allons toutes traiter et qui recevront une réponse la plus circonstanciée possible.

La Tribune - Le fait que certaines informations soient classées « confidentielles » ou « communicables uniquement sur demande » nourrit cependant des craintes sur place ?

Frédéric Perret - Il faut commencer par rappeler que dans le cadre du projet Ugi'ring, nous avons certains brevets qui sont liés au process industriel et qui ne peuvent pas être communiqués. D'autre part, lorsqu'on a un site Seveso, certaines informations sur les matières entrantes et coproduits peuvent être communiquées, et d'autres, concernant par exemple des localisations précises, ne le sont pas pour des raisons de sécurité.

La Tribune - Certains riverains trouvent notamment « indécent » d'installer ce type d'industrie si proche des habitations et de certaines infrastructures stratégiques (2x2 voies, TGV, habitations, écoles). Qu'est-ce qui vous a plus précisément conduit à sélectionner ce site ?

Frédéric Perret - Aujourd'hui, un industriel qui souhaite bâtir ce type d'activité doit étudier, d'une part, les capacités et les aspects techniques, et de l'autre, la question de l'alimentation en énergie. Avec, pour Ugi'ring, la volonté de transformer le modèle d'Ugitech en une aciérie circulaire, qui impliquait aussi une notion de proximité.

Lire aussi Usine Ferropem : trois dossiers de reprise toujours à l'étude, dont celui de l'aciériste Ugitech

Nous avions d'ailleurs étudié une implantation sur le site actuel d'Ugine, ainsi qu'un autre site possible au Cheylas. Mais ces deux options ont finalement été écartées, notamment pour des raisons de surface insuffisante, de foncier couvert, ou d'un manque de capacités énergétiques.

La Tribune - La proximité des habitations et des installations évoquées ne vous a pas découragé ?

Frédéric Perret - Pour une telle implantation, un industriel comme Ugitech doit déjà se conformer à un certain nombre de réglementations et démontrer que son process n'a pas d'impact sur l'environnement, sur les populations, sur les établissements recevant du public (ERP)... L'ensemble de ces paramètres ont été complètement intégrés dans nos études, et les conclusions démontrent que l'exploitation de nos process industriels n'engendre pas de risques pour les populations et l'environnement.

Je comprends que ce soit compliqué pour certaines personnes à entendre. Aujourd'hui, nous faisons face à une forte défiance envers ce que les autorités indépendantes ont modélisé, et ce que les autorités étatiques ont validé. Malgré les éléments techniques et technologiques amenés dans ce dossier, nous ne sommes pas encore parvenus à convaincre.

La Tribune - Une large partie des inquiétudes tournent autour de l'étiquette « Seveso seuil haut », identifiant les sites industriels à risques ?

Frédéric Perret - J'ai fait le choix d'aller vers les populations et de ne communiquer que lorsque nous avions entre les mains un projet bien ficelé, car je me disais qu'auquel cas, nous n'aurions pas pu répondre aux riverains, voire créer plus de panique... Mais peut-être aurions-nous pu avoir, en premier lieu, une communication sur les impacts du projet.

Lire aussi Avec France Relance, le savoyard Ugitech veut devenir la première aciérie circulaire

Il faut rappeler qu'à l'inverse du site de Pomblière, Ugi'ring n'engendre pas de zone de confinement : sa classification est uniquement due à la quantité de produits qui seront stockés. Et, à l'extrême, à un risque de pollutions persistantes en cas de dégagements de poussières et de co-produits.

Je sais que cela peut être difficile à entendre pour les riverains, mais le fait d'être classé Seveso garantit que le site sera davantage surveillé par les services de l'Etat.

La Tribune - Qu'en est-il plus précisément du risque d'accidents majeurs, et notamment d'explosion ?

Frédéric Perret - Un exploitant est tenu de réaliser une étude de danger sur l'ensemble de son activité et au regard des activités voisines qui pourraient créer un effet domino. Dans cette évaluation, menée avec les services de l'Etat, deux types de dangers sont ressortis : le premier, très connu des métiers de la sidérurgie, est le risque eau-métal liquide susceptible de provoquer une explosion. Le second, plus momentané, est lié à l'utilisation du gaz qui est envisagée dans un premier temps afin de faire monter en température certains éléments du process.

Aujourd'hui, la fréquence d'apparition du risque eau-métal liquide a été évaluée à une fois tous les 100.000 ans tandis que dans le cas du gaz, la conduite qui doit arriver sur site début 2026 permettrait d'abaisser le niveau de risque. Il ne resterait plus que quelques populations, situées en partie basse du site, qui pourraient connaître des effets de surpression inférieurs à 20 millibars, ce qui induirait des bris de vitres.

Il est important de souligner que toutes ces modélisations ont été faites dans le cadre de scénarios majorants, c'est-à-dire dans des cas où l'on n'aurait pas l'ensemble des barrières naturelles et artificielles prévues.

La Tribune - Concernant la question de la pollution de l'air, des riverains reprennent les éléments de l'enquête publique et redoutent des émissions de particules fines ainsi que l'insuffisance des filtres promis ?

Frédéric Perret - Aujourd'hui, les installations sont classées par rapport aux matières premières utilisées selon la directive IED (sur les émissions industrielles ndlr), qui précise qu'il est nécessaire de mettre en place « les meilleures techniques disponibles », qui sont à la fois déjà éprouvées et existantes. Celles-ci nous permettent d'épurer l'ensemble des polluants susceptibles d'être émis par les matières.

Je comprends que les populations fassent le parallèle avec l'exploitant précédent, mais les techniques que l'on va mettre en place sont totalement différentes et nous permettront de nous placer en-dessous des seuils déterminés et définis par les arrêtés préfectoraux.

La Tribune - Votre projet de recyclage des métaux critiques contenus dans les piles ne traitera pas le lithium : comment pourrez-vous vous assurer que, lors de la collecte, ces batteries ne viendront pas perturber et devenir un facteur de risque pour votre process ?

Frédéric Perret - Il s'agit en réalité d'une « fake news », car les deux éco-organismes chargés de la collecte des piles usagées et avec lesquels nous travaillerons, envoient leurs produits mélangés à des centres de tris, qui séparent déjà les piles au plomb, alcalines, salines, lithium... De notre côté, nous ne recevrons donc que des piles alcalines et salines, avec une efficacité de tri proche des 100 %. Bien entendu, en sus, nous réalisons des contrôles de manière aléatoire  lors de la réception des big bags.

Lire aussi Mine de lithium dans l'Allier : « Nous pourrions répondre à un tiers, voire à la moitié des besoins français » (Alan Parte, Imerys)

Nous ne visons pas les piles liées à l'électromobilité des voitures électriques, mais bien les matières qui nous permettent de remplacer et d'extraire les alliages dont nous avons besoin : c'est-à-dire le manganèse, le nickel, et le molybdène.

Le lithium ne nous intéresse pas, d'autres process de recyclage sont en train de se montrer à ce sujet dans le nord de la France. À terme, notre ambition de remplacer 90% des métaux critiques actuellement utilisés à Ugitech par un approvisionnement circulaire.

La Tribune - Votre projet comprend également l'arrivée d'un pipeline gazier, négocié conjointement avec l'industriel voisin, Tokaï Cobex (ex-Carbone Savoie) : il s'agit d'une partie déterminante pour le dossier Ugi'ring ?

Frédéric Perret - L'arrivée du gaz va nous permettre d'annihiler les risques de transport et de stockage du gaz sur le site. C'est un élément de sécurisation pour la population, et qui nous intéresse aussi car il pourrait être compatible dans un second temps, avec un approvisionnement en biogaz voire, à terme, en hydrogène.

Aujourd'hui, le montage du projet est encore en cours avec GRTGaz, il sera terminé au plus tard au mois de juillet. Nous pourrons ensuite monter une structure juridique avec Tokaï Cobex et l'Etat français.

La Tribune - L'un des éléments de combat pour la reprise du dossier Ferropem avait été le sauvetage des 256 emplois sur site : un peu plus de deux ans après la fermeture officielle, avez-vous une estimation de la part des ex-salariés encore à la recherche d'un emploi et qui pourraient venir alimenter vos 50 emplois à l'ouverture, puis 110 postes annoncés à terme ?

Frédéric Perret - Nous allons rechercher des savoir-faire et des savoir-être correspondant à notre cœur d'activité. Si les ex- salariés de Ferropem correspondent à ces critères, bien entendu que nous les accueillerons.

Lire aussi Ferropem : le PSE arrive à son terme pour les 256 salariés, l'Etat maintient la pression sur l'avenir industriel du site

Nous avons qu'il y a encore quelques salariés qui n'ont pas retrouvé d'emploi, et d'autres qui ont trouvé du travail, mais qui peut être éloigné de leur habitation. Nous procéderons au cas par cas, en lançant une procédure de recrutement classique, avec un CV et des entretiens.

La Tribune - Quel est le calendrier envisagé après la clôture de cette enquête publique, prévue pour le 31 mars, jusqu'à la livraison de votre projet ?

Frédéric Perret - La commissaire-enquêtrice devrait rendre ses conclusions sous environ trois semaines et donner un avis sur le projet. Au regard de l'ensemble des éléments recueillis, le préfet pourrait ensuite émettre une proposition d'arrêté préfectoral qui passera ensuite devant le Comité départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques (CO-DERST).

Compte-tenu de l'ensemble de ces éléments, on pourrait espérer recevoir un arrêté au mois de juin.

Aujourd'hui, pour que le projet se réalise, nous avons besoin plus largement de trois feux verts : le volet administratif -et quelque part environnemental dont nous venons de parler-, le volet technique, ainsi que le volet financier. Et sur ce point, nous avançons également, afin d'envisager un démarrage de l'usine entre fin 2025 et début 2026.

La Tribune - Qu'en est-il justement du financement de ce projet, qui avait reçu une première enveloppe du plan de relance ainsi qu'un accompagnement de l'Etat français, lors de la transaction avec Ferropem ?

Frédéric Perret - Nous sommes sur une enveloppe totale de 90 millions d'euros, dont 31 millions d'euros de subventions, de la part de l'État, à travers notamment le dispositif Résilience du Covid ainsi qu'une subvention France 2030 liée au dispositif concernant les métaux critiques, et une aide de la Région Auvergne Rhône-Alpes, via le dispositif Développement Economique des Entreprises.

Le reste de la somme sera apportée par un mix entre fonds propres et de la dette. Une grande partie des fonds proviendront de notre holding, alors que notre groupe Swiss Steel est en train de valider une augmentation de capital de 300 millions d'euros, qui doit être ratifiée à la prochaine assemblée générale des actionnaires prévue en avril. Nous nous rapprochons donc de plusieurs « feux verts ».

La Tribune - L'acceptation sociale du projet est cependant encore loin d'être garantie : que comptez-vous faire d'ici là pour rallier les habitants à votre projet ?

Frédéric Perret - Je n'ai pas la prétention de les convaincre, mais le seul point que je puisse faire est d'amener plus d'informations. Nous avons proposé que durant la phase des travaux, nous ouvririons les portes de l'usine de manière trimestrielle à un collectif afin d'échanger. Nous avons aussi proposé, en sus du processus classique d'un site Seveso, d'organiser une commission semestrielle ou annuelle avec les riverains, afin d'évoquer avec eux sur l'avancement du projet.

Lire aussi Mine de lithium dans l'Allier : le débat public s'ouvre sur fond d'inquiétude et d'opposition

Nous allons jouer le plus de transparence possible sur ce dossier et proposer que des mesures de différents paramètres (bruit, air, etc) soient effectuées aux alentours du site par l'organisme indépendant Air Atmo AURA. Il y aura nécessairement des gens contre ce projet, d'autres prêts à entendre des arguments, et enfin d'autres qui n'y croiront pas tant qu'ils n'auront pas de preuves.

Quid de la dépollution du site ?

Lors de l'annonce de la fermeture du site Ferropem de La Léchère par Ferroglobe, l'un des enjeux au centre du débat avait également été celui de la dépollution du site. Contrainte ou non pour l'industriel quittant les lieux ? La question était demeurée en suspens lors des discussions avec les acteurs du dossier, dont plusieurs avaient évoqué leurs craintes que le site ne devienne une friche industrielle dont la dépollution revienne à la charge de l'Etat.

« Aujourd'hui, en 2024, lorsqu'un industriel décide de fermer un site de production classé ICPE, il doit suivre un process ATTES qui comporte à minima trois documents à remettre à l'administration, afin que la fermeture administrative soit validée. L'un d'eux doit notamment démontrer qu'il n'existe pas de déchets demeurant sur le site, et c'est ce qu'a déjà fait Ferropem. Un deuxième document est encore en cours, afin de recenser tout l'historique de la pollution sur site, à travers des carottages et un état des lieux qui doit être transmis à la DREAL afin de déterminer s'il peut être nécessaire, au regard de l'exploitation future, d'envisager une dépollution de certaines matières. Si tel est le cas, ce sera à l'ancien propriétaire de réaliser les travaux. Cependant, cette contrainte ne s'applique que si le site poursuit bien une vocation industrielle », ajoute Frédéric Perret, directeur des développements Ugitech et président d'Ugi'ring.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.