Logistique : Renault Trucks avance sur le chemin sinueux de l'électrification du transport routier

La filiale du groupe Volvo, qui possède quatre sites de production en France, vient d'inaugurer une première ligne logistique 100% électrique dédiée au transport des essieux à bord de ses nouveaux camions 44 tonnes rechargeables, entre ses usines de Lyon (Rhône) et de Bourg-en-Bresse (Ain). Une étape qui accompagne les investissements de la société vers le transport de courte et moyenne distance électrique, dans un marché émergent qu'il reste encore à consolider.
(Crédits : Renault Trucks)

Le fabricant français de véhicules utilitaires et de poids lourds, Renault Trucks, filiale du groupe Volvo depuis 2001, continue à tracer son sillon sur le segment de l'électrique : il vient, en effet, de lancer sa toute première ligne logistique 100 % électrique pour transporter des essieux entre son site de production situé près de Lyon (Rhône) et son usine d'assemblage implantée à Bourg-en-Bresse (Ain).

Cela, grâce à ses nouveaux camions de 44 tonnes électriques, les Renault Truck E-Tech T, fabriqués à Bourg-en-Bresse (Ain), qui permettent de transporter 22 tonnes de matériels sur de courtes et de moyennes distances à raison de deux rotations par jour pour chacun des cinq véhicules, soit 360 kilomètres au quotidien.

Opérés par les sociétés Dupessey&Co et les Transports Chazot, ces camions dotés de quatre à six packs de batteries lithium-ion d'une puissance de 390 à 540 kWh, sont rechargés une fois par jour sur le site de Lyon, mais aussi chaque soir aux dépôts des deux transporteurs.

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Mais pour que ce modèle soit valable, il a fallu trouver la bonne équation économique et logistique. Dans ce cas précis, le transport entre Lyon et Bourg-en-Bresse « revêt des contraintes opérationnelles très fortes en termes de cadence notamment et de précision », indiquait la semaine dernière Bruno Blin, président de Renault Trucks, par voie de communiqué.

Pour passer ces obstacles, les équipes se basent sur le même logiciel proposé à leurs clients; qui permet automatiquement de calculer où, quand et pendant combien de temps la recharge devra se faire en se basant sur plusieurs paramètres comme la topographie ou la température extérieure.

Autant d'éléments qui viennent dessiner les prémisses d'un marché de l'électrique qui commence à s'ouvrir pour les constructeurs de poids lourds dont font partie Renault Trucks (Volvo) et ses principaux concurrents, Daimler, Traton (filiale de Volkswagen, marque Scania), Tesla ou encore le chinois BYD.

Les sociétés Volvo, Mercedes-Benz, Scania, DAF, Man et Iveco représentent ensemble 70 % de la production européenne de camions (tous véhicules confondus), qui constitue à elle seule 40 % du marché mondial selon la CCI France Allemagne.

Top départ pour l'électrique ?

Avec son nouveau poids lourd à batteries, lancé en novembre dernier sur le marché, Renault Trucks vient en effet de compléter son offre 100 % électrique allant de l'utilitaire aux camions 44 tonnes. Ce qui lui permet désormais de couvrir quasiment l'ensemble du spectre de ce nouveau marché de l'électrique représentant à ce jour environ 1 % des nouvelles immatriculations en France, allant des petits véhicules professionnels aux grands camions pour la distribution, sur des courtes (derniers kilomètres) et des moyennes distances.

La marque a en effet franchi le cap des 1.000 véhicules électriques vendus en 2022. De même, l'année dernière, Renault Trucks a facturé 1.636 véhicules électriques (+156 % en un an), notamment utilitaires (plus de 1.000 véhicules, dont la moitié vendus en France).

Cela, sur les 70.000 véhicules produits l'année dernière par la marque au losange, dont 30.000 véhicules utilitaires fabriqués dans les ateliers de Renault à Sandouville (Seine-Maritime) et à Batilly (Meurthe-et-Moselle). Et 40.000 camions de 2,5 à 44 tonnes notamment produits à Blainville-sur-Orne (Calvados) et à Bourg-en-Bresse (Ain).

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Une ouverture vers le marché émergent de l'électrique (représentant à ce jour 3 à 4 % de l'activité de Renault Trucks), qui a notamment profité d'un contexte « d'inversion des rapports de force entre l'offre et la demande » détaille Christophe Martin, directeur général de Renault Trucks France, notamment en raison de la raréfaction de l'offre avec la crise des matériaux et des semi-conducteurs.

Cela, après de lourdes difficultés accusées lors de la crise sanitaire, ayant entraîné l'arrêt total de la production pendant plusieurs semaines et, par la suite, provoqué un plan de rupture conventionnelle collective avec le départ volontaire de quelque 300 salariés en France sur les 9.400 salariés que compte la société dans le monde. Départs depuis non remplacés.

Une brèche qui s'est depuis peu à peu refermée selon Christophe Martin : « 2022 et 2023 ont ensuite été des années de reconquête, avec des bases plus saines », retrace aujourd'hui le directeur général, ancien directeur de la division internationale de Renault Trucks.

S'ouvrir au marché européen

Ainsi, le chiffre d'affaires du constructeur s'est élevé à 5,73 Milliards d'euros en 2022 (contre 4,65 Md€ en 2021), représentant environ 10 % des activités du groupe suédois Volvo.

Des résultats notamment portés par les activités de la société en France et en Europe : environ 40 % des activités de Renault Trucks sont en effet réalisées dans l'Hexagone, où le constructeur représentait l'année dernière 27,3 % de parts de marchés (PDM) pour les véhicules de plus de 6 tonnes, en baisse cependant de 2,1 points par rapport à 2022.

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En parallèle, du côté des véhicules électriques, si les volumes produits restent encore marginaux, Renault Trucks représente tout de même 84 % de parts de marché pour les camions de plus de 16 tonnes en France, avec 458 immatriculations en 2023.

De même, la marque est très présente dans certains segments, comme celui des bennes à ordures électriques (l'un des seuls rentables à ce jour dans le champ de l'électrique), avec 73 % de parts de marchés en France, et environ 25 à 30 % des ventes en électrique dans ce segment. Tandis que le nerfs de la guerre concerne notamment les plus petits véhicules, où la concurrence est déjà plus rude.

Guerre des prix : la coercition comme voie de passage ?

Dans ce contexte, la transition vers l'électrique représente des coûts phénoménaux qui se sont répercutés sur les prix (un camion électrique coûte en moyenne trois fois plus cher qu'un camion diesel). Une situation qui interroge aujourd'hui l'entreprise, qui espère vendre un camion électrique sur deux en 2030.

« Ce que nous sommes en train de vivre en une décennie, c'est plus que ce qu'on a vécu en un siècle », affirme en effet Christophe Martin, pointant « les investissements majeurs qui se comptent en centaines de millions, voire en milliards d'euros à l'aune du groupe Volvo » afin d'amorcer la transition énergétique et l'arrivée des nouvelles technologies, ajoute le dirigeant de Renault Trucks. Cela, couplé à l'inflation et à la hausse des coûts.

« Aujourd'hui, c'est un casse-tête que nous avons à gérer collectivement dans la chaîne : jusqu'où nos clients, les clients de nos clients et les citoyens peuvent accepter et absorber la hausse des prix pour décarboner ? »

Déjà, le directeur général indique que les résultats de l'année 2024 seront vraisemblablement inférieurs à ceux de l'année précédente (2023 étant qualifiée « d'historique »), et identifie « des signaux faibles de nature un peu anxiogène ».

Et si le contexte politique actuel génère beaucoup d'incertitudes, l'entreprise s'appuie d'abord sur les normes européennes pour confirmer son assise, au lendemain d'élections ayant renouvelé les grands équilibres au sein du Parlement et de la Commission européenne.

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En effet, la norme VECTO (Vehicle Energy Consumption Calculation Tool), introduite en 2019, inscrit pour objectif de réduire de 30 % les émissions de CO2 des poids lourds entre 2019 et 2030. Une cible même fixée à -43 % pour les constructeurs comme Renault Trucks qui devra, selon son dirigeant, s'accompagner d'une coercition sur les énergies fossiles afin d'aligner un marché et des prix par nature déséquilibrés.

Car les freins au démarrage restent nombreux : coûts des matériaux, inflation,  problématique d'installation de bornes de recharge suffisamment puissantes etc.

«Je suis favorable à ce qu'on y aille et que le cadre réglementaire nous force à y aller », insiste ainsi Christophe Martin. Car aujourd'hui, « les seules façon d'y aller, ce sont les aides de l'Etat ou les contributions des constructeurs qui font des efforts, ce que nous faisons. Mais évidemment, que ce soit les Etats ou les constructeurs, nous n'avons pas les moyens de financer tout cela ad vitam æternam ».

« Nous pouvons initier, contribuer, tant que c'est 3 % de nos volumes, poursuit le directeur général de Renault Trucks. Idem pour l'Etat, dont on connaît la dette... Pour moi, la seule possibilité d'y aller, c'est de taxer ceux qui polluent pour financer ce qui est sain. Il faut entrer dans un système coercitif pour mettre tous les industriels sur le même pied ».

Un travail sur le rétrofit diesel-électrique, mais pas encore de modèle économique

Par ailleurs, le constructeur travaille sur le rétrofit de ses camions diesel vers l'électrique, et a ainsi entrepris tout un programme en vue d'une homologation de sa technologie attendue à la rentrée 2024.

Un programme qui ne génère pas autant d'attentes qu'escompté. « Pour l'instant, l'équation économique ne vole pas, concède ainsi Christophe Martin. Nous le faisons pour voir, pour aller au bout, mais je ne suis pas sûr que ce soit le sens de l'histoire malheureusement ».

Concernant la question du travail sur les autres énergies, notamment l'hydrogène vert, Renault Trucks n'a pour l'heure pas placé cette trajectoire au cœur de ses priorités, se concentrant clairement sur l'électrique.

Pour autant, le groupe Volvo a quant à lui investi, aux côtés du groupe Daimler Truck, dans la société Cellcentric, qui travaille sur des piles à combustibles à hydrogène.

Renault Trucks mise aussi sur la remanufacture des pièces

Le constructeur travaille également à la remanufacture des pièces de camions notamment à travers son programme « RESTART » consistant à allonger la durée des véhicules arrivant à 400.000 kilomètres au compteur. Près de 1.000 d'entre eux ont déjà été traités à Saint-Priest (Rhône), tandis que l'usine de Limoges travaille au remanufacturing des organes (moteurs, boîtes, essieux).

Au total, ce volet représente à ce jour 17 % du chiffre d'affaires de la société, qui espère atteindre 30 % en 2030.

Tandis que les réflexions sur l'électrique n'ont pas encore abouti : « Les solutions techniques ne sont pas complètement là, mais nous commençons à réfléchir à cela à travers l'entité Volvo Energy pour une deuxième ou troisième vie, jusqu'à recycler la batterie », retrace ainsi Christophe Martin, bien conscient que la Chine possède, sur ces sujets, « une longueur d'avance ».

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