Aux pieds des stations de ski, le projet Ugi'ring de recyclage de piles alcalines cristallise les inquiétudes

REPORTAGE - Aux pieds des pistes de plusieurs stations de ski emblématiques de la Tarentaise (Valmorel, Courchevel, Méribel...), la friche industrielle Ferropem, à l'arrêt depuis près de trois ans, est en passe de se transformer en une « aciérie circulaire » sous la conduite d'un industriel local de l'acier, Ugitech (groupe Swiss Steel). Mais c'était sans compter les craintes des riverains, qui se mobilisent désormais au cœur d'une enquête publique toujours en cours. Ils craignent notamment les risques industriels induits par le classement Seveso « seuil haut » de ce nouveau projet, ainsi que les pollutions aux particules fines qui pourraient rayonner à l'échelle des massifs.
Inquiets des impacts sur l'environnement et des risques d'une nouvelle installation classée Seveso seuil haut à proximité des habitations et des infrastructures routières et ferroviaires, des riverains de l'Association Action citoyenne demandent désormais « la suspension de l'enquête et l'abandon du projet ».
Inquiets des impacts sur l'environnement et des risques d'une nouvelle installation classée Seveso seuil haut à proximité des habitations et des infrastructures routières et ferroviaires, des riverains de l'Association Action citoyenne demandent désormais « la suspension de l'enquête et l'abandon du projet ». (Crédits : DR)

Sur le papier, le projet avait enfin connu une fin heureuse, après plusieurs mois de mobilisation de ses salariés et syndicats. Une pétition lancée en 2021 avait alors recueilli près de 30.000 signatures pour demander le maintien de l'emploi et de la vocation industrielle du site Ferropem de Château-Feuillet.

Situé sur la commune de La Léchère (Savoie), ce site était spécialisé depuis sa création en 1928 dans la production de silicium et d'alliages pour la sidérurgie, les pièces automobiles et les silicones et disposait de savoir-faire industriels faisant la renommée du bassin. Finalement, après des mois de combat, montés jusqu'au sommet de l'Etat, l'industriel Ferroglobe aux manettes du site avait accepté, sous la houlette de discussions menées avec le ministère de l'Industrie, de céder son site à un industriel local : Ugitech.

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Cette filiale du groupe Swiss Steel, premier fabricant mondial de produits longs en acier inoxydable, employait en effet déjà 1.300 de ses 1.800 salariés sur le site voisin d'Ugine, situé à une trentaine de kilomètres de La Léchère. Et son projet était tout trouvé : l'aciériste envisageait déjà de bâtir la première aciérie circulaire mondiale avec son projet Ugi'ring, qui avait remporté une enveloppe France relance de 9 millions d'euros de la part de l'Etat en 2021. Il ne lui restait plus qu'à trouver un site.

Un projet qui pouvait, selon lui, trouver son siège sur les 10,5 hectares (dont 38.000 m2 de bâtiments) de friche industrielle laissées vacants par Ferroglobe à La Léchère. Le pari avait même été jugé à l'époque « gagnant-gagnant » par les différentes parties autour de la table, puisqu'il permettait à la fois le maintien d'une partie de l'emploi (une centaine de postes pourraient être créés à l'horizon 2030, ndlr), mais aussi d'assurer une pérennité, un entretien voire une dépollution du site industriel laissé vacant.

Une enquête publique qui soulève de nombreuses questions

Seulement voilà, l'enquête publique, rendue obligatoire dans le contexte de l'installation d'un site industriel classé  installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), s'est ouverte le 5 février dernier, et elle a démontré que dès la première réunion publique, les riverains concernés par ce projet nourrissaient un certain nombre de craintes au vu des informations qui leur ont été présentées. De quoi conduire la commissaire-enquêtrice, en charge de ce dossier pour le compte de la Préfecture de Savoie, à reporter de quinze jours la clôture de la première phase de recueil des contributions, au 31 mars prochain.

Car en parallèle, les riverains des communes situées dans le périmètre des activités de la nouvelle installation, regroupant notamment les villages d'Aigueblanche, La Léchère et Les Avenières-Valmorel, s'éveillent : une pétition, lancée par un citoyen, a déjà récolté près de 16.500 signatures sur Change.org pour s'élever contre ce projet. Deux boucles WhatsApp ont même été créées pour regrouper et partager les informations entre les habitants.

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Un climat électrique, qui se traduit jusque sur le bureau de la commissaire-enquêtrice déléguée par la Préfecture, qui tenait vendredi 22 mars dernier sa sixième permanence publique à la mairie de La Léchère. À une semaine de la nouvelle date limite, désormais fixée au 31 mars prochain, elle dénombrait déjà plus de 430 contributions publiques enregistrées, dont de nombreux riverains s'estimant inquiets par les conséquences environnementales et sanitaires d'un tel projet.

« Nous avons relevé beaucoup de questions autour de l'impact environnemental, que ce soit sur la biodiversité, la pollution de l'air, ou encore la santé des sols et des riverains », constate la commissaire-enquêtrice dans un échange avec La Tribune.

La Léchère Mairie

Près de 430 contributions, notamment recensées à la mairie de La Léchère, ont été recueillies fin mars, à une semaine de l'échéance de l'enquête publique.

Le spectre d'une nouvelle usine Seveso

Avec parmi les principaux points d'achoppements du dossier, le fait que le projet de cette aciérie circulaire soit classée, de fait, en installation Seveso « seuil haut ». Une classification obligatoire pour les sites « qui produisent ou stockent des substances pouvant être dangereuses pour l'homme et l'environnement », et qui implique ainsi de fait « une réglementation très encadrée visant à identifier et à prévenir les risques d'accident pour en limiter l'impact ».

Or, même si ce bassin industriel héberge déjà les activités d'un autre industriel - le producteur de graphite synthétique et de carbone Tokai Cobex (ex-Carbone Savoie) - « les risques ne sont pas les mêmes », estiment les riverains avec qui La Tribune a pu échanger sur place :

« Un grand nombre de questions qui se posent au sein du dossier d'Ugi'ring sont restées sans réponses. La MRAE (Mission régionale d'autorité environnementale) a déjà pointé un certain nombre de points, tandis qu'on nous répond que certaines informations sont sur-demande ou non communicables », affirme Marc Ducourtil, un retraité résidant sur la commune d'Aigueblanche, membre de l'association Action citoyenne, qui rassemble une grade partie des opposants au projet.

Et la présence d'un autre site Seveso classé « seuil haut », le leader mondial pour la production de sodium MSSA (ex-Métaux Spéciaux), à seulement quelques kilomètres de là, n'est pas de nature à rassurer les habitants de la vallée. Au contraire : « L'usine MSSA de Pomblière n'est à vol d'oiseau qu'à six kilomètres. Et nous aurions ici un second site Seveso « seuil haut », ce qui est quand même très proche. Que ferait notre population en cas d'incident en cascade ? », questionne Jean-François Goury, un retraité de l'usine Tokai Cobex et habitant d'Aigueblanche, qui regrette par ailleurs l'absence à ce jour de plans de prévention des risques technologiques (PPRT) sur les trois communes concernées par le périmètre du projet.

« Ce site est situé à proximité immédiate de la 2x2 voies, qui est embouteillée tous les week-ends d'hiver avec le trafic vers les stations de ski, tandis que des trains et TGV passent juste en-dessous en permanence, et que vous avez, 50 mètres plus haut, une école et un nouveau lotissement créé il y a quelques années par la municipalité », ajoute-t-il.

Ugi'ring (ex-Ferropem) 4 vue du haut

La friche industrielle Ferropem est située en bordure de la 2x2 voies qui dessert les stations de ski de la Tarentaise (Savoie).

Du côté des pollutions consécutives à l'accueil de cette nouvelle activité industrielle, des inquiétudes sont au cœur des revendications des riverains, concernant les émissions de particules fines, et notamment des polluants comme les PM10, PM2,5 et le chrome 6, cités dans le premier rapport d'expertise joint au dossier de demande d'autorisation préfectorale.

« Lorsque le nickel va par exemple être broyé pour travailler les piles, cela dégagera obligatoirement des nanoparticules. On aimerait bien qu'on nous propose un système de filtration et de dépollution qui soit à la hauteur du projet », reprend Marc Ducourtil, qui dénonce l'insuffisance des trois filtres actuellement proposés par la société Ugitech, comme le procédé de production à « surpression », qui est jugé « plus à risque » selon les riverains de présenter des particules en suspension, contrairement à un procédé basé sur une technologie de « mouillage » par exemple.

Deux visions qui s'affrontent pour l'avenir d'un territoire

Car il semble que malgré l'histoire industrielle du site, ce sont aujourd'hui des questionnements plus larges autour de deux visions qui s'affrontent pour l'avenir des vallées de montagne : face à des stations de ski, dont le modèle économique est aujourd'hui bouleversé par le changement climatique et nécessite déjà une forme de diversification, et à des projets industriels aujourd'hui en déclin mais qui alimentaient jusqu'ici l'emploi des vallées, comment assurer un modèle de développement économique pérenne sans amputer l'avenir des nouvelles générations, ni de cet environnement montagnard qui fait vivre le tourisme ?

« Tokai Cobex ne nous pose pas de problème, il fait partie de nos origines et nous n'avons pas l'intention de lui demander de partir. Et si, éventuellement dans un siècle, il devait disparaître, je pense que les gens de la vallée auraient la même démarche, qui est de dire : on a été pollués pendant 100 ans, mais ce n'est pas pour cette raison que l'on veut continuer à être pollué davantage », ajoute Marc Ducourtil.

Et d'ajouter : « rien qu'à trois kilomètres de là, il y a déjà les domaines skiables de Courchevel, Méribel, Valmorel. Même si l'avenir des stations est un peu grevé, il faut rappeler que des investissements sont faits pour que les gens puissent continuer de skier au-dessus de 1.500 mètres. Le tourisme ne résout pas tout, mais il contribuera tout de même encore certainement au développement de notre vallée ».

Ugi'ring (ex-Ferropem) 2

Faut-il encore accueillir ou non une activité industrielle sur la friche industrielle de Ferropem, à l'arrêt depuis sa fermeture en 2022 par l'industriel Ferroglobe ? La question divise les riverains.

De son côté, Jean-Luc Pozzalo, salarié du site voisin de Tokai Cobex et également secrétaire général adjoint du syndicat CFDT Chimie Energie dans l'Ain et les Deux Savoie, cherche à nuancer les craintes exprimées dans ce dossier :

« Je suis moi aussi riverain à moins d'un kilomètre de ce site. Il faut remettre en perspective les risques, par rapport aux wagons de chlore qui montent plusieurs fois par semaine au site voisin de Pomblière. Je pense qu'il existe aujourd'hui une incompréhension autour du processus innovant qui a été présenté, certes peut-être un peu tardivement au démarrage de l'enquête publique, par Ugitech ».

Selon lui, le classement Seveso du site pourrait au contraire représenter un « gage de confiance » pour assurer un contrôle plus étroit du process industriel.

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Le syndicaliste avoue ne pas comprendre comment des riverains, qui se sont battus durant de longs mois pour sauvegarder la vocation industrielle de Ferropem, peuvent s'élever contre ce projet, qui selon lui « a apporté des éléments tant au niveau des risques que des pollutions. Ugi'ring sera soumis aux mêmes réglementations environnementales que tout le monde ».

L'enjeu d'une nouvelle desserte en gaz de la vallée

Et de rappeler que ce qui se joue aussi dans ce dossier, c'est un tout autre élément économique : à savoir l'arrivée d'une nouvelle desserte en gaz, envisagée dès fin 2025 voire début 2026, de ce bassin industriel qui pourrait ensuite effectuer sa mue vers l'hydrogène.

« Il ne faut pas se mentir : le projet n'est viable que si Ugi'ring s'installe aux côtés de Tokai Cobex pour massifier la production. Si nous ne parvenons pas à prendre ce virage et faire évoluer nos procédés, Tokai Cobex lui-même pourrait ne pas survivre », ajoute Jean-Luc Pozzalo.

D'ailleurs, la direction du fabricant de graphite synthétique a elle-même déposé une contribution au sein de l'enquête publique d'Ugi'ring.

Tandis que du côté politique, le sujet suscite la prudence : à ce stade, seule l'Assemblée du Pays Tarentaise Vanoise (APTV), un syndicat mixte regroupant les cinq communautés de communes de Tarentaise (soit 30 communes) a émis un avis favorable au projet.

Contacté, le maire de la première commune concernée, La Léchère, ainsi que le président de l'APTV et vice-Président délégué à l'agriculture et aux espaces valléens, Fabrice Pannekoucke, n'ont pas répondu aux sollicitations de La Tribune au moment d'écrire ces lignes. De même que le ministère de l'Industrie de Roland Lescure, dont le cabinet avait accompagné Ferroglobe et les représentants des salariés dans la reprise par Ugitech. Les thermes voisines de La Léchère, qui accueillent également à un kilomètre de là jusqu'à 6.000 curistes par année depuis leur création en 1925, n'ont pas non plus réagi sur ce dossier à ce stade.

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Une chose est certaine : les riverains rencontrés sur place évoquent « un manque d'informations sur le projet initial » et leur volonté que soit désormais « co-construit » un projet qui fasse vivre leur vallée pour les prochaines années à venir.

« On a l'impression que tout est déjà écrit. Tous les politiques se sont prononcés en soutien au projet, alors que nous soulevons des questions qui demeurent sans réponse », relèvent plusieurs d'entre eux.

Résultat : plusieurs membres de l'Association Action citoyenne demandent désormais « la suspension de l'enquête et l'abandon du projet » et comptent même réviser les statuts de leur association afin qu'elle intègre, dans ses missions, le combat contre le projet Ugi'ring tel qu'il est actuellement présenté. « Nous préférerions en finir avec ça et voir s'installer des entreprises, un beau centre médical, voire une expertise liée à l'environnement sportif. Nous avons même créé un groupe de travail qui est chargé de réaliser des propositions ».

De son côté, le directeur du projet Ugi'ring et directeur des développements d'Ugitech, Frédéric Perret, répond point par point aux inquiétudes des riverains dans une interview à La Tribune, à lire ici. Selon lui, être classé Seveso garantira (notamment) « que le site sera davantage surveillé ». Il ajoutait également : « je n'ai pas la prétention de (...) convaincre, mais le seul point que je puisse faire est d'amener plus d'informations ».

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Commentaire 1
à écrit le 27/03/2024 à 16:03
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ah j aime ces riverains. Ils pleurent qu il n y a plus d industrie et quand une usine veut s installer vers chez eux ils font tout pour que ca capote (ben oui, ca risque de faire baisser la valeur de leur maison). Sinon pour connaitre le coin, les st...

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