Surtourisme : dans « la Venise des Alpes », le va-et-vient des valises excède les habitants et interpelle les élus

DOSSIER (3/4). Entre crise du logement et nuisances liées au tourisme, la ville d'Annecy et les communes du pourtour du lac tentent de trouver la bonne formule face à l'explosion de l'affluence touristique depuis quelques années. Excédés, certains habitants donnent de la voix afin de réguler les meublés touristiques, tandis que les élus s'attaquent à la surfréquentation de certains lieux emblématiques. Le tout, en regrettant le manque de marges de manœuvre à l'échelle nationale.
La ville d'Annecy a mis en place début juillet des « radars sonores » afin d'inciter les passants à réduire les nuisances grâce à un signal lumineux, mais aussi recueillir des données.
La ville d'Annecy a mis en place début juillet des « radars sonores » afin d'inciter les passants à réduire les nuisances grâce à un signal lumineux, mais aussi recueillir des données. (Crédits : Flickr CC 2.0 by Kosala Bandara)

Les roulettes des valises défilent sur les pavés, face à des canaux désormais bondés chaque week-end d'avril à décembre. Depuis plusieurs années, la « Venise des Alpes » est confrontée à une très forte fréquentation touristique. A ce jour, on dénombre près de 3 millions de visiteurs et 5 millions de nuitées chaque année dans les 34 communes du pourtour du lac savoyard (215.000 habitants).

Une affluence attribuée à un cocktail d'éléments allant de l'arrivée de nouvelles habitudes après la crise sanitaire (développement de la randonnée, des activités « outdoor »), en passant par un choc d'offre porté par l'arrivée massive de logements à la location sur les plateformes en ligne (Airbnb, Abritel), représentant 96% des hébergements touristiques dans l'agglomération, avec 8.500 logements.

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Des éléments couplés au développement et à l'étalement de grands événements autour du lac (Fête du lac, Festival international du film d'animation, Martin Fourcade Nordic Festival, etc), en plus de l'arrivée de nouveaux habitants en Haute-Savoie, avec « 10 à 12.000 habitants supplémentaires chaque année », indique Michel Guérin, président de l'Office de tourisme du Grand Annecy.

Ce qui donne pour effet qu'il n'y a « plus un seul moment pour respirer », reconnaît pour sa part Frédérique Lardet, présidente de la Communauté d'agglomération du Grand Annecy.

Des rues bondées, un sentiment « d'attraction »

L'affluence serait aujourd'hui telle qu'elle engendrerait désormais des nuisances et des conflits d'usages, selon plusieurs acteurs. Dans le Vieil Annecy, particulièrement prisé pour le Pont des Amours, le Palais de l'Isle (l'un des bâtiments les plus photographiés de France, selon l'Office de tourisme) et ses canaux, « le quartier est ravagé par son absence de maîtrise des espaces publics », tacle Aurélien Soustre, habitant de la vieille ville, mais aussi administrateur et secrétaire de l'Association des résidents de la Vieille Ville d'Annecy (ARVVA).

« Nous avons un tourisme de masse, où les gens viennent faire un selfie sur les endroits phares pour mettre sur Instagram, boire un verre, faire la fête. Annecy devient un lieu dédié à l'organisation d'enterrements de vie de jeune fille », décrit cet habitant, excédé par l'essor de ces activités et de leurs nuisances.

L'association, créée en 2005 dans l'objectif de valoriser le patrimoine communal, se fait désormais l'un des portes flambeaux de la lutte contre le tourisme de masse. Tandis qu'en parallèle, d'autres actions fleurissent, dont des affichages dans les rues (« Disneyland Annecy »).

Alors, face au boom de l'affluence touristique ces dernières années, les habitants d'Annecy (Haute-Savoie) suivent-ils aujourd'hui les traces des mouvements barcelonais et vénitiens ?

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En terme d'image, ces protestations ne sont pas neutres pour la ville, qui adopte pour sa part de nouvelles techniques, notamment issues des théories « nudge », ou « coup de pouce » pour inciter discrètement les passants à modifier leur comportement. Par exemple, la mairie a mis en place début juillet trois radars sonores pédagogiques et cinq capteurs sonores, afin de relever le niveau de décibels émis dans la vieille ville. Et ainsi avertir les piétons, grâce à un signal lumineux dès que le volume sonore est trop élevé.

Un « gadget » estime pour sa part Aurélien Soustre. « Les gens alcoolisés ne vont pas baisser le ton lorsque la couleur passera au rouge ou au orange ».

« Cela signifie déjà que la mairie ne nous croit pas et qu'en plus, plutôt que de chercher les causes racines, on met un jouet en estimant qu'il va responsabiliser la population », ajoute le membre de l'association ARVVA.

Contactée par La Tribune, la commune d'Annecy n'a pas répondu à nos sollicitations.

Les outils de la bataille contre Airbnb

Surtout, le point de bascule concerne les logements mis en location sur internet selon le secrétaire de l'ARVVA : « Le quartier est à un point de rupture, car il a été entièrement mité par les Airbnb, qui ont complètement capté les logements de la vieille ville. C'est une rotation permanente, les personnes qui louent, arrivent à tout heure du jour et de la nuit. C'est mal isolé, ce quartier est devenu un cauchemar ».

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En effet, plus de 8.500 logements meublés sont aujourd'hui proposés à la location touristique dans le Grand Annecy (34 communes situées autour du lac). Avec une forte croissance des résidences principales, proposées occasionnellement aux vacanciers (de 3.000 biens en janvier 2023, elles sont passés à 4.500 en juillet 2024).

Une hausse également expliquée par la déclaration massive de la taxe de séjour, à partir de l'entrée en vigueur de deux règlements locaux en 2018 et en 2022, ayant fait apparaître des logements en location, jusqu'alors passés sous le radar.

Ces logements meublés représentent aujourd'hui 96 % du nombre d'hébergements touristiques dans les 34 communes de la collectivité, et plus de 70 % du nombre de lits disponibles.

Des chiffres relativement similaires à ceux de la seule ville d'Annecy (125.600 habitants), qui concentre à elle seule plus de 2.300 logements meublés touristiques (en croissance « de 300 % » en cinq ans selon le maire, François Astorg, interrogé sur BFMTV l'année dernière), contre 45 hôtels. De même, ces logements représentent, selon l'agglomération, 76 % des lits touristiques, contre 16 % des lits pour l'offre hotellière.

« Un manque de marges de manœuvre »

Face à la prédominance de ce type d'hébergement, les élus ont enclenché de premiers leviers. A partir de 2022, la ville d'Annecy a annoncé supprimer toutes les boîtes à clés de la voie publique.

De même, un premier règlement local visant à réguler ces logements a été voté en 2018 par la Communauté d'agglomération du Grand Annecy. Suivi d'un second en 2022 , consistant à placer des quotas aux logements secondaires dans 29 communes volontaires. Règlement qui a depuis été attaqué au tribunal de Grenoble, car jugé incompatible avec le champ de compétences de la collectivité.

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Des premières mesures qui ont eu pour effet « non pas de faire disparaître les meublés, mais les faire apparaître légalement », via la déclaration de la taxe de séjour, relève Frédérique Lardet, présidente de la Communauté d'agglomération du Grand Annecy.

Les recettes de la taxe sont ainsi passées de 1,8 millions d'euros par an en 2018, à 2,7 millions d'euros en 2020, puis 4 millions d'euros en 2023, notamment du fait de la déclaration de logements par les propriétaires.

Sur ce sujet, la présidente du Grand Annecy, auparavant députée LREM entre 2017 et 2022, estime que l'agglomération « a voulu répondre au plus fort », mais fait désormais face « à un manque de marges de manœuvre » sur le plan réglementaire.

En effet, la proposition de loi relative à la fiscalité locative, portée par la députée du Finistère Annaïg Le Meur (Renaissance), est pour l'instant arrêtée au stade de la Commission mixte paritaire en raison de la dissolution de l'Assemblée nationale. Mais elle pourrait reprendre tout prochainement son parcours législatif, espérait cette semaine la députée.

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Dans les grandes lignes, le texte vise à fixer un nombre maximal de nuitées touristiques, des quotas pour les résidences secondaires, mais aussi obliger à réaliser un diagnostic de performance énergétique (DPE), ou encore remettre à plat la fiscalité des biens.

Des mesures très attendues par les membres de l'ARVVA, qui restent cependant très prudents sur les effets d'une législation nationale. Selon Brigitte Cotter, présidente de l'association : « La mairie a voulu faire passer un règlement Airbnb très courageux pour faire revenir les gens dans la vieille ville. Or les gens ne restent pas car c'est trop difficile d'y vivre : on a une véritable hémorragie des habitants qui s'est accélérée depuis deux ou trois ans. (...) On est face à un pouvoir de l'économie du tourisme  qui est énorme et fait vraiment pression sur les décideurs qui considèrent que c'est incontournable ».

Qui se partagera le gâteau de la taxe de séjour ?

Face à ces enjeux, l'agglomération tente pour sa part d'actionner certains leviers, tout en jouant l'équilibriste. L'économie touristique représente en effet un tiers du PIB à l'échelle de la collectivité, qui accueille 60 % des nuitées touristiques en période estivale.

D'où l'objectif de « défocaliser » l'activité touristique en parlant « d'autre chose que de la vieille ville et du lac », qui concentrent le plus gros des flux. Et diriger les vacanciers vers d'autres communes ou types d'activités.

Pour cela, faut-il limiter, réguler les accès à certaines zones, ou encore étaler les séjours dans l'année ou en dehors des week-end ? « On essaye de faire les deux, répond Frédérique Lardet, qui tranche : Nous avons aujourd'hui atteint un seuil qui est arrivé à sa limite acceptable, et au-delà de laquelle il ne faut pas aller. »

« Désormais, la question est de savoir quelles actions mettre en place pour ne pas aller au-delà ? D'où l'idée de mettre des quotas pour le nombre d'hébergements en résidence secondaire. En revanche, sur les implantations de magasins pour les excursionnistes, on ne peut pas faire grand chose. Mais sur le sport, la montagne, on peut communiquer différemment en montrant la pluralité et la diversité de notre territoire ».

L'agglomération finance à ce titre les actions de l'Office de tourisme, qui ne fait pas de campagne publicitaire et dont la communication (notamment dans son webzine) est très encadrée. Office de tourisme dont le statut a été modifié depuis ce 4 juillet 2024 : d'un Établissement public à caractère industriel et commercial (Epic), la structure est devenue une Société publique locale (SPL), ce qui permet notamment à la collectivité de répartir autrement les fruits de la taxe de séjour, jusqu'ici dédiés à la promotion du territoire.

Désormais, la taxe financera également des politiques publiques liées au tourisme, dont les bus gratuits l'été (lancés en 2021). Tandis que la communauté d'agglomération soutient également la création et l'entretien de pistes, de chemins de randonnée, mais aussi la mise en place d'éco-gardes via une convention cette année avec la Fédération de chasse, ou encore la protection des alpagistes par des fils barbelés, tandis que le bivouac est désormais interdit et passible d'amendes.

Le tout, dans l'idée de réguler les usages dans une zone de plus en plus fréquentée. Et dont l'un des défis des collectivités locales consiste encore à documenter avec exactitude la propension des excursionnistes, venus à la journée.

Le Grand Annecy vient pour cela de mettre en place l'application « Affluence » au Semnoz, dans le massif des Bauges, afin de mesurer en direct les flux quotidiens de voitures. Avec, pour les vacanciers, la possibilité de consulter en ligne, sur l'application, la disponibilité des places de stationnement. Tout comme le fait déjà la ville d'Annecy pour ses douze parkings urbains.

Dans notre série consacrée au surtourisme en Auvergne-Rhône-Alpes

L'Auvergne s'outille pour accueillir ses visiteurs tout en préservant ses volcans (1/4)

À Chamonix, le paradis de l'alpinisme s'engage dans un jeu d'équilibriste pour réguler sa fréquentation (2/4)

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Commentaires 7
à écrit le 27/07/2024 à 11:39
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Y en a marre de ces gens qui ce plaignent de tout. La ville a besoin de touristes ils sont contents quant il récupère le loyers de leur air bnb .

à écrit le 27/07/2024 à 10:05
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Non mais ont marche sur la tête, les riches qui se plaignent que les ouvriers aient en vacances dans leur ville J'appelle au boycot d'Annecy ils ont trop. D'argent du temps qu'ailleurs les habitants peuvent pas payer leur loyer et encire moins part...

à écrit le 27/07/2024 à 4:07
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La plupart des villes tremblent maintenant à l’idée de devenir comme Dubrovnik, Venise ou Barcelone. Nous avons des besoins contradictoires. On a besoin de devises pour cela, on peut exporter des biens manufacturés, ce qui est un peu bas en ce moment...

à écrit le 26/07/2024 à 8:17
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Les riches qui ont envahi les plus belles villes se plaignent d'être envahis par les touristes, plus les gens sont inutiles et plus ils se répandent.

le 27/07/2024 à 11:40
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Je suis complètement d'accord. Pourquoi sont il venu habiter en centre ville y a plein de logements qui leur plairait dans le calme en montagne. C fatiguant à la longue

à écrit le 25/07/2024 à 16:41
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Et ils veulent les jo de 2030 lol ils vont morfler .. l état n a su à imposer fortement ceux qui détiennent plus qu un logement en location plus le propriétaire en a plus il serait taxé … de mêle faut taxer au b and b au lieu de la location et non au...

à écrit le 25/07/2024 à 16:41
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Et ils veulent les jo de 2030 lol ils vont morfler .. l état n a su à imposer fortement ceux qui détiennent plus qu un logement en location plus le propriétaire en a plus il serait taxé … de mêle faut taxer au b and b au lieu de la location et non au...

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