Cession de l'usine Ferropem : les dessous de « l'accord de principe » entre Ugitech et Ferroglobe

Ce mardi, tous les voyants (ou presque) ont subitement tourné au vert pour le dossier Ferropem, deux ans après l'arrêt des fours industriels : en marge d'une première communication amorcée deux entreprises, c'est le ministère de l'Industrie lui-même qui a devancé les parties prenantes du dossier en annonçant sa satisfaction, quant à la signature d'un accord de principe en vue de la cession (encore à venir) du site Ferropem à l'aciériste savoyard Ugitech. Pour la première fois, les deux directions de Ferroglobe et Ugitech ont accepté de répondre conjointement aux questions de La Tribune sur ce dossier, particulièrement sensible depuis plusieurs mois.
(Crédits : DR/ML)

Pour le ministère de l'Industrie, conduit aujourd'hui par Roland Lescure qui a repris le dossier aux mains d'Agnès Pannier-Runacher, il s'agit « d'une bonne nouvelle, (...) qui permet de maintenir une activité industrielle sur le site de Château-Feuillet, ce qui était un objectif important pour le ministère ».

Pour les représentants des salariés, dont le secrétaire du CSE central de Ferropem et délégué CGT, Mustapha Haddou, l'heure est également au « soulagement » et à « l'apaisement », après de longs mois de procédure liés à un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) qui s'était déroulé de manière explosive. « La reprise de ce site permet de clôturer ce plan social, qui reste une catastrophe humaine, mais qui se termine désormais sur une touche un peu plus joyeuse, afin de pouvoir tourner la page ».

Ce mardi, la direction du groupe américano-espagnol Ferroglobe, qui demeure le premier producteur mondial de silicium (avec jusqu'ici six sites en France dont trois en Auvergne Rhône-Alpes) a finalement annoncé la conclusion d'un accord de principe, en vue de la cession du site de Château-Feuillet (Savoie) à un industriel local : l'aciériste Ugitech (lui-même détenu par le groupe Swiss Steel Group), qui était déjà pressenti depuis la semaine dernière comme un acteur clé de ce dossier.

Cette nouvelle, qui intervient presque deux ans après l'arrêt de la production de silicium et de ses dérivés (CaSi notamment) sur le site Ferropem de Château-Feuillet, « assure ainsi l'utilisation industrielle du site et ouvre des opportunités prometteuses pour un projet de recyclage hautement innovant (Ugi`Ring), qui est en cours de développement », introduit la société Ferroglobe.

Avec la promesse de  « perpétuer la vocation industrielle du site de Château- Feuillet, et de lui assurer un avenir prometteur dans le recyclage des matières premières sidérurgiques. »

Un projet « solide » et « une volonté de fermer la boucle socialement »

Et le nouveau directeur des opérations (COO) de Ferroglobe, Benjamin Crespy, arrivé en le 1er juin dernier aux commandes du groupe, s'en ouvre lui-même pour la première fois auprès de La Tribune :

« Nous avions mis en place une task force dédiée à ce projet de cession en interne, afin de gérer une centaine de contacts, à l'issue desquels nous avions reçu au total une vingtaine de marques d'intérêts ayant débouché sur une visite du site. Avec, en bout de ligne de ce processus, deux principaux candidats qui nous ont présenté des marques d'intérêts sérieuses, dont Ugitech ».

Et c'est même à titre de « voisin », mais également de « partenaire commercial depuis 50 ans » que Ferroglobe a ouvert ses discussions avec l'aciériste Ugitech, dont le site principal d'Ugine (Savoie) est situé à une trentaine de kilomètres de son futur lieu d'implantation.

« Le processus a été lui-même assez long, mais lorsqu'Ugitech s'est présenté avec un projet solide, les choses sont finalement allées assez rapidement, en moins de quatre mois, car il existait une volonté des deux côtés de se diriger vers un projet concret et structurant, et de fermer ainsi la boucle socialement », explique Benjamin Crespy.

Car de son côté, l'aciériste Ugitech avait déjà annoncé sa volonté de bâtir la première aciérie circulaire mondiale avec son projet Ugi'ring, qui avait remporté une enveloppe France relance de 9 millions d'euros de la part de l'Etat en 2021.

Le pari d'une production circulaire qui passerait ainsi à l'échelle

Car en tant que spécialiste des productions d'acier inoxydable pour de nombreux marchés spécialisés (industrie, horlogerie, médical, etc), le groupe Swiss Steel Group et sa filiale Ugitech s'étaient fixés un nouveau pari :

« Nous savions déjà que 75 % de notre matière provient de l'économie circulaire, avec notamment la collecte de ferraille, mais 25 % provenait encore de l'extraction minière, notamment pour le manganèse ou le nickel par exemple », explique à La Tribune Frédéric Perret, directeur du développement d'Ugitech et président de la filiale Ugi'Ring nouvellement créée pour ce projet en mai 2022.

« Nous visons à capter, à travers un nouveau procédé innovant et breveté issu de la pyrométallurgie, les matières que l'on trouve dans les déchets industriels (issus des procédés sidérurgiques, des piles alcalines ou salons, de jouets, ou encore de procédés de raffinage ou de la pétrochimie...) pour les extraire et les valoriser dans nos productions ».

Développé à la fois en partie en interne, mais aussi avec le concours de plusieurs actionnaires privés ayant rejoint le projet à titre individuel (et dont les noms n'ont pas été dévoilés), ce procédé devrait ainsi passer pour la première fois à l'échelle à Chateau-Feuillet.

Mais pour cela, l'aciériste avait lui-même une check-list à remplir : « Nous recherchions en premier lieu une implantation proche de la nôtre, car cela n'avait pas de sens de faire de l'économie circulaire à l'autre bout du monde », souligne Frédéric Perret. Le groupe avait également besoin de s'assurer d'une connexion routière et ferroviaire, d'un raccordement compatible avec une activité de production électrointensive, de bâtiments de grande hauteur... ainsi que d'un accès à un bassin de main d'oeuvre qualifié. Soit quatre critères précisément remplis par le site Ferropem.

« Lorsqu'on regarde les compétences déjà disponibles sur place, et celles dont on aura besoin dans le futur, il existe des ponts. Un fondeur qui aurait déjà opéré à l'usine de Château-Feuillet aura par exemple des réflexes qui lui serviront dans notre procédé de pyrométallurgie », témoigne Frédéric Perret, qui rappelle que la question de l'emploi représente un enjeu de taille pour le groupe, sur un bassin savoyard est déjà particulièrement tendu en raison d'un faible taux de chômage (5,2 % au deuxième trimestre 2022, ndlr).

Les questions qui restent en suspens

Cependant, l'aciériste ne s'avance pas sur les chiffres, ni sur l'objectif d'une cinquantaine d'emplois évoqués au démarrage de l'usine, mais il confirme qu'Ugitech compte étudier en priorité les candidatures issus des anciens salariés de Ferropem. « Nous avons déjà une dizaine d'ex-salariés de Ferropem qui ont été embauchés chez Ugitech au cours des derniers mois  ».

Concrètement, les deux partenaires n'ont pas dévoilé le montant de l'opération ni des actifs concernés, mais il faut lire entre les lignes : car sans production de silicium, les fours eux-mêmes devraient être démontés une fois l'opération de cession finalisée, pour faire place à de nouveaux équipements. La question de la dépollution du site fait également partie de l'accord qui reste à entériner, avec l'engagement que « les deux parties se conformeront à la réglementation », mais sans plus de précisions à ce sujet.

Malgré cet accord de principe, qui signe le début d'une nouvelle page, tout n'est pas encore joué non plus complètement sur le papier : car la conclusion de l'acte définitif de cession doit encore intervenir « d'ici la fin du premier semestre » confirment les deux partenaires, après la finalisation des plusieurs démarches administratives, dont la conclusion de l'étude de faisabilité liée au projet d'Ugitech.

De son côté, Ferroglobe doit encore soumettre ce projet de cession aux instances représentatives du personnel dans le cadre du projet d'information-consultation de son PSE.

Une étape qui ne devrait toutefois pas être entravée puisque le secrétaire du CSE et délégué syndical CGT, Mustafa Haddou, confirme à La Tribune que les représentants du personnel apportent leur soutien au projet porté par Ugitech. « La phase d'information-consultation vient de démarrer ce mardi. Nous nous donnons le temps de regarder l'ensemble du dossier et d'émettre un avis, mais on peut dire que ce dossier a la soutien de l'ensemble des représentants du personnel ».

Plus de points bloquants majeurs

Selon le secrétaire du CSE, « Ugitech a été la seule entreprise à pouvoir fournir une vision à 10 ans, ce qui représente tout de même un gage de solidité et de fiabilité, et a su traverser le temps et les difficultés, malgré le drame (la mort accidentelle d'un ouvrier dans l'effondrement d'un pont roulant, ndlr) lors qu'elle a rencontré en janvier 2022. Sans compter que le fait qu'il s'agisse d'une société française est une bonne chose, et savoyarde encore mieux ».

« Aujourd'hui, le protocole suit son cours et la consultation interne avance mais nous n'avons pas identifié de point majeur qui serait susceptible de freiner la procédure. Il existe la volonté de toutes les parties prenantes que tout se passe bien », confirme à son tour le nouveau COO de Ferroglobe, qui souligne qu'aujourd'hui, « près de la moitié des salariés ont pu être reclassés, soit à l'interne soit à l'externe. ».

De son côté, l'Etat français qui suivait de près le dossier avait demandé également à Ferroglobe de remplir plusieurs engagements, lors des négociations entourant son PSE : soit la "sanctuarisation" d'une enveloppe de 10 millions d'euros, nécessaire au transfert de la production savoyarde de Ferropem sur le site des Clavaux (Isère), ainsi que d'investir 20 millions d'euros « d'ici la fin 2022 dans son outil industriel en France », afin de le moderniser.

A ce sujet, des éléments restent là aussi à déterminer : « Suite au plan de restructuration qui a été améliorer afin de minimiser l'impact social, notamment sur le site des Clavaux, le groupe travaille actuellement sur la question de transfert de la production de CaSi, qui est encore aujourd'hui à l'étude », affiche Benjamin Crespy. Celui-ci ajoute que « bien entendu, le groupe a toujours la volonté d'investir sur ses sites en France, mais nous ne sommes pas en mesure de communiquer les chiffres à ce stade. »

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