Nucléaire : en Auvergne-Rhône-Alpes, la filière s'apprête à accélérer la cadence

Pour faire face à la montée en cadence que devrait nécessiter le plan de relance du nucléaire, la supply chain française se retrousse dès aujourd'hui les manches. Les enjeux combinent délais, qualité et coûts de production. Pour accompagner les sous-traitants du nucléaire dans cette transformation, la Banque publique d'investissement (Bpifance) vient de lancer son nouvel accélérateur. Parmi les 30 entreprises retenues dans cette première promo, dix sont issues de la région Auvergne Rhône-Alpes.
En Auvergne-Rhône-Alpes, les besoins d'emplois sont estimés à environ 20.000 recrutements dans les dix prochaines années selon France Travail.
En Auvergne-Rhône-Alpes, les besoins d'emplois sont estimés à environ 20.000 recrutements dans les dix prochaines années selon France Travail. (Crédits : DR/EDF/Cedric Helsly)

Même si les résultats des dernières élections législatives pourraient avoir un impact sur la filière du nucléaire, ce ne sera pas avant 2027 a priori. Les différents partis du Nouveau Front Populaire (NPF) n'étant pas tous sur la même ligne sur le sujet, il semblerait que la question ait été évacuée dans l'immédiat. Le point ne figurait pas, en tout cas, dans le programme officiel présenté par l'alliance de gauche, arrivée avec le plus grand nombre de députés à l'issue du second tour des élections législatives.

Un statu quo confirmé par le député LFI Eric Coquerel, le 20 juin dernier, qui assurait devant les grands patrons que « le NFP ne toucherait pas au parc nucléaire existant », rapporte BFM Business, reléguant les décisions « pour la suite, aux prochaines élections présidentielles ».

En attendant, la filière nucléaire française poursuit donc sa route. Depuis plusieurs mois, ses acteurs se préparent à enclencher la seconde et même la troisième pour être en capacité de répondre au programme d'accélération de la construction nucléaire annoncé début 2022 par Emmanuel Macron à Belfort.

Objectif affiché : construire au moins six nouveaux réacteurs de type « EPR2 » d'ici à 2050, dont les deux premiers seraient implantés à Penly (Seine-Maritime), les deux suivants à Gravelines (Nord) et les deux derniers à la centrale du Bugey, dans l'Ain.

Des chantiers gigantesques qui viendront s'ajouter aux nécessaires opérations de maintenance d'un parc vieillissant. Et à l'image de l'aéronautique il y a quelques années, les capacités de la chaîne logistique (supply chain) sont au cœur des préoccupations.

Les industriels d'AuRA en force dans le nouvel accélérateur Bpifrance

Porté par les grands acteurs de la filière, ce plan de relance du nucléaire mobilisera fortement le tissu industriel français de PME et ETI. Lesquelles ne sont pas toutes armées pour absorber la rapide montée en puissance qu'elles devront assurer.

C'est dans cette optique que la Banque Publique d'Investissement (Bpifrance) vient de lancer son tout nouvel accélérateur nucléaire, soutenu par le Comité stratégique de la filière nucléaire (CSFN), le Groupement des industriels français de l'énergie nucléaire (Gifen) et le pôle de compétitivité Nuclear Valley.

Ce programme d'accélération de 18 mois doit aider les entreprises participantes à gagner en compétitivité afin de ne pas alourdir la facture de l'État, à innover et à attirer de nouveaux salariés.

Les noms des entreprises constituant la première promotion viennent d'être dévoilés. Sans surprise, Auvergne Rhône-Alpes y est massivement représentée. Sur les 30 entreprises retenues, un tiers sont en effet implantées dans la région : il s'agit d'ACS, André Laurent, Bonnavion Secure Systems, Dinatec, ECM Technologies, Gonzales Groupe, Loire Industrie, Marcel Industrie, Minitrucks Robotics et SBS.

Lire aussiNucléaire : à Lyon, le Néerlandais Thorizon se rapproche du monde de la chimie pour développer un réacteur à sels fondus

« Effectivement, Auvergne Rhône-Alpes est la région la plus représentée dans cet accélérateur, et cela n'a rien d'étonnant », relève Sophie Rouzaud, directrice générale du pôle Nuclear Valley, dont le siège se situe en Bourgogne.

« L'Île-de-France est la première région du nucléaire en termes d'emploi, mais Lyon est la capitale du nucléaire avec 1.200 entreprises pesant 48.000 emplois ».

« AuRA est aussi la première région en matière de production d'énergie nucléaire. Elle héberge les grands groupes comme EDF, Framatome, Orano, le CEA etc. », ajoute la directrice générale, qui indique avoir attendu cet accélérateur « avec impatience » :  « nous avons beaucoup poussé dans ce sens car l'actualité du nucléaire a radicalement changé depuis 2022 ».

Pour l'experte du secteur, il s'agit désormais d'être capable de « produire plus, plus vite, mais avec une qualité toujours parfaite ». Pour être à la hauteur, la filière qui s'était plutôt préparée à une fermeture des centrales, doit revoir en urgence ses perspectives et améliorer significativement ses performances industrielles pour tenir les délais.

« Les premières commandes ont été signées auprès des grands groupes, cela va désormais ruisseler vers les sous-traitants. Ils doivent être prêts, cet accélérateur va les aider en ce sens », assure Sophie Rouzaud.

Optimiser la production et affuter la compétitivité de la supply chain

À titre d'exemple, l'entreprise SBS, située à Boën-sur-Lignon (Loire) est spécialisée dans la fabrication de pièces forgées (65 salariés et 14,3 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2023). C'est l'une des dix entreprises de la région à intégrer l'accélérateur. Le nucléaire représente aujourd'hui 30% de son chiffre d'affaires, notamment grâce aux projets d'EPR en Grande-Bretagne.

« Nous ne remporterons évidemment pas tous les marchés que nous sommes capables d'assumer, mais nous pensons que nous allons faire face à une demande importante », introduit ainsi Julien Patural, le dirigeant de SBS.

L'entreprise, forte de 130 ans d'existence, est en pleine transformation : « Notre défi est d'améliorer significativement notre performance industrielle afin de maitriser les coûts et les délais. L'intégration à cet accélérateur est intéressante, elle va nous permettre de bénéficier d'un diagnostic, de conseils personnalisés et d'échanger avec nos pairs », complète le directeur.

Lire aussiNucléaire : après la crise des microfissures, Exanodia veut fiabiliser l'inspection des soudures grâce à l'IA

Même besoin du côté de Loire Industrie, spécialisée aussi dans les pièces forgées (100 salariés, 22 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2023). Le nucléaire représente aujourd'hui 50 % de son chiffre d'affaires, contre 25 % il y a deux ans. Cela, notamment (et là aussi) grâce aux commandes pour l'EPR d'Hinkley Point.

« Au-delà des investissements récents et à venir, nous avons besoin de produire de manière plus optimisée », explique le dirigeant de Loire Industrie, Cyril Romagny.

« Jusqu'à présent, nous fabriquions en petites quantités, ou à l'unité, centrale par centrale. Il va falloir être capable de passer à de la série », complète le directeur.

En Auvergne-Rhône-Alpes, 20.000 postes à pourvoir dans les dix ans

Au-delà des défis purement industriels, les deux dirigeants font état l'un et l'autre de difficultés marquées pour le recrutement. « Clairement, c'est un vrai frein », confie Cyril Romagny.

« On travaille notre marque employeur, on met en place des primes de cooptation, mais attirer des jeunes dans notre métier, c'est un défi qu'il va falloir absolument relever si on veut être capables de tenir les cadences.»

Lire aussiComment la filière nucléaire compte recruter au pas de course des dizaines de milliers de travailleurs

Selon le GIFEN, la relance du nucléaire pourrait créer près de de 150.000 emplois d'ici 2033, sur une filière qui en pesait 220.000 en 2021. Soit 10 à 15.000 nouveaux entrants chaque année.

La question de la formation est donc cruciale. Selon l'Université des métiers du nucléaire, 5.800 établissements dispensent en France des formations préparant totalement ou en partie aux métiers du nucléaire, du CAP au Bac +5. 185 formations sont répertoriées en Auvergne Rhône-Alpes.

« Je pense que les formations existent à présent, elles sont bien structurées. L'enjeu est de les remplir... » relève pour sa part Sophie Rouzaud, de Nuclear Valley.

« Un travail important est réalisé depuis deux ans par différents acteurs comme l'UIMM, France Travail, les représentants de la filière. Nous percevons que l'intérêt des jeunes commence à être marqué, que l'image commence à changer. Cela va se traduire dans les effectifs des formations », estime la directrice générale.

En Auvergne-Rhône-Alpes, les besoins d'emplois sont estimés à environ 20.000 recrutements dans les dix prochaines années selon France Travail, notamment pour les métiers de tuyauteur, soudeur, technicien en charge des contrôles, agent de logistique et ingénieur d'étude génie civil. De même, EDF indique pour sa part recruter près de 2.600 personnes en CDI rien qu'en 2024 en Auvergne-Rhône-Alpes, sur ses 26.600 salariés dans la région, soit 10  % de l'effectif.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.