Surtourisme : les gorges de l’Ardèche misent sur l’IA pour mieux piloter la fréquentation estivale

DOSSIER (4/4). Le syndicat des Gorges de l’Ardèche, l’Office de Tourisme Gorges de l’Ardèche-Pont d’Arc et le Pôle Ressources National des Sports de Nature (PRNSN) se sont associés pour construire un projet de meilleure gestion des flux touristiques, assise sur la collecte et l’analyse de données. Il vient d’être désigné lauréat de l’Appel à Manifestation d’intérêts d’Atout France visant à soutenir les initiatives permettant de lutter contre la surfréquentation. Car l’Ardèche, comme d’autres départements touristiques, n’échappe pas aux nombreux questionnements sociétaux et environnementaux que pose le « surtourisme ».
Assimilé à un « bison futé » de la descente en canoé, le dispositif « Canoé Malin » a été déployé en 2023 afin de recueillir de la donnée sur la fréquentation des gorges de l'Ardèche.
Assimilé à un « bison futé » de la descente en canoé, le dispositif « Canoé Malin » a été déployé en 2023 afin de recueillir de la donnée sur la fréquentation des gorges de l'Ardèche. (Crédits : T.Shu Rhône-Alpes Tourisme)

L'Ardèche serait le département préféré des Français en recherche de tourisme « vert », selon GreenGo, la plateforme de réservation d'hébergements dits « éco-responsables ». Avec un score de popularité de 94/100 en 2023, selon ce baromètre réalisé à partir de l'analyse de 500.000 recherches effectuées sur le site de GreenGo, le département truste la première position des territoires français depuis trois ans. Loin devant son challenger, le Finistère, qui obtient lui un score de popularité de 81/100.

Lire aussiSurtourisme : l'Auvergne s'outille pour accueillir ses visiteurs tout en préservant ses volcans

Et l'attractivité du département se confirme bien au-delà du tourisme vert. Selon les données publiées par Ardèche Tourisme, le territoire a enregistré 16 millions de nuitées touristiques en 2023 (dont 10,7 millions de nuitées effectuées par des touristes français). C'est 1,1 million de plus qu'en 2022 (+8%). La comparaison avec 2019 est encore plus frappante : la fréquentation touristique du territoire a bondi de 18% en quatre ans. Et même si cette progression est plus significative sur ce qu'on appelle dans le tourisme les « ailes de saison » - c'est-à-dire pour l'Ardèche le printemps et l'automne - il n'en reste pas moins que la répartition des nuitées n'est évidemment pas linéaire sur l'année. En 2023, 43% de la fréquentation touristique s'est en effet concentrée sur la saison estivale.

Dans cette équation de concentration touristique, s'ajoute un facteur territorial, puisque la moitié des points d'intérêts touristiques sont situés sur un périmètre géographique limité, englobant notamment les Gorges de l'Ardèche et leurs centaines de canoés hebdomadaires, la grotte Chauvet 2 (plus de 400.000 visiteurs par an) ou encore, bien entendu, le Pont d'Arc.

En 2023, ce périmètre, piloté par l'Office de Tourisme Gorges de l'Ardèche-Pont d'Arc, a ainsi accueilli 6,9 millions de nuitées dans 55.000 lits touristiques marchands (+5% par rapport à 2022), auxquels s'ajoutent (sans être comptabilisés dans les nuitées touristiques) 25.000 hébergements non marchands correspondant notamment aux résidences secondaires.

La crainte d'une surfréquentation émerge

Chaque année, ce sont donc plusieurs millions de touristes qui viennent profiter des paysages de l'Ardèche et de ses chemins de randonnées, pratiquer des sports d'eau vive, en générant bien entendu des retombées économiques non négligeables pour le territoire :  760 millions d'euros en 2021 selon Auvergne Rhône-Alpes Tourisme et 8.600 emplois directs (8% de l'emploi ardéchois). Une affluence qui alimente également la  crainte d'un surtourisme.

Le sujet n'est pas nouveau pour ce département de 328.000 habitants doté de nombreuses zones protégées - l'expression d'autoroute à canoés pour qualifier la descente des Gorges ne date d'ailleurs pas d'hier - mais la problématique du « surtourisme » est aujourd'hui plus prégnante. D'un point de vue environnemental, sociétal mais aussi économique.

Lire aussiSurtourisme : à Chamonix, le paradis de l'alpinisme s'engage dans un jeu d'équilibriste pour réguler sa fréquentation

Cette problématique avait ainsi été largement mise en lumière à l'occasion d'une polémique, née sur les réseaux sociaux à l'été 2022 montrant un impressionnant « embouteillage » de canoés sur la rivière Ardèche. Même si cette image s'était avérée fausse, exacerbée par un manque notable d'eau sur la rivière sur la même période, elle avait néanmoins fait monter d'un cran la préoccupation locale autour d'une potentielle indésirable surfréquentation à venir.

Exploiter les données pour mieux gérer les flux de touristes

Confronté à cette nouvelle donne, le territoire mène depuis quelques mois un travail approfondi autour d'une meilleure gestion des flux, grâce à la collecte et à l'exploitation de données. Il est mené par un trio constitué de la SPL Office de Tourisme Gorges de l'Ardèche-Pont d'Arc, le syndicat des Gorges de l'Ardèche (qui gère la Réserve Naturelle Nationale) et le Pôle Ressources National des Sports de Nature (PRNSN), pôle implanté à Vallon-Pont-d'Arc dépendant du ministère des sports et chargé d'accompagner les acteurs intervenant dans les activités de sports de nature.

Ce projet vient d'être désigné lauréat de l'Appel à Manifestation d'intérêt lancé en 2023 par Atout France dans le cadre de son plan « Destination France ». Cet AMI vise à soutenir les initiatives permettant de lutter contre la surfréquentation.

« Nous ne sommes pas dans le déni de certains pics de fréquentation localisés sur des spots spécifiques comme le Pont d'arc, qui génère le passage de centaines de milliers de véhicules par an, mais ce n'est pas un élément général », amorce Vincent Orcel, le directeur de l'Office de Tourisme Gorges de l'Ardèche - Pont d'Arc.

« Les pics de fréquentation se concentrent sur une dizaine de dates dans l'année. Sur notre territoire, nous ne sommes pas dans le surtourisme. Ceci étant dit, nous nous devons d'être attentifs. Depuis 2022, nous avançons sur un important travail autour de l'analyse de la donnée et de la gestion des flux », ajoute le directeur de l'Office de Tourisme.

Lire aussiSurtourisme : dans « la Venise des Alpes », le va-et-vient des valises excède les habitants et interpelle les élus

La première étape s'était concrétisée par le déploiement, l'année dernière, du dispositif « Canoé Malin », un système d'information sur la fréquentation de la rivière Ardèche assimilé à un « bison futé » de la descente en canoé.

« Nous avons construit un modèle qui permet non seulement de donner l'information en temps réel, mais aussi une information prédictive, afin de permettre aux usagers d'adapter éventuellement leur organisation en fonction de leurs souhaits et donc d'éviter un ressenti de surfréquentation », dépeint ainsi Vincent Orcel.

« Grâce à l'AMI, nous allons améliorer ce dispositif, en intégrant de l'intelligence artificielle : notre modèle prendra aussi en compte la météo, le niveau d'eau. Grâce à Canoé Malin, nous espérons modifier le planning de 10% des touristes, ce qui permettra de mieux lisser la fréquentation sur la journée et la semaine, sans pour autant trop étendre l'amplitude horaire de la pratique afin de ne pas perturber outre mesure la faune. »

La deuxième étape va pouvoir s'enclencher grâce aux subventions de l'AMI (montant non communiqué). Un « géo data analyste » doit être recruté et aura pour mission d'aller plus loin dans l'analyse des données. Ces données seront notamment issues du travail mené par le Pôle Ressources National des Sports de nature, en particulier
d'« Outdoor vision », un dispositif lancé en 2018 en Auvergne Rhône-Alpes (et en cours de déploiement national) permettant de retracer les flux des pratiquants (course à pied, marche, vélo et ski) en s'appuyant sur les données de leurs appareils connectés.

« L'ambition est d'outiller ce territoire qui est assez exposé au tourisme, avec des zones sensibles qui doivent être préservées. Nous exploiterons plus de données que ce nous faisions jusqu'ici avec Outdoor vision, avec l'idée en bout de course, de les analyser et de construire des outils opérationnels. Cette démarche est assez originale car elle mêle des enjeux environnementaux et économiques », précise Patrick Gilles, en charge du développement d'Outdoor vision pour le PRNSN.

Ces données pourraient permettre à terme, par exemple, de définir des seuils d'alerte en lien avec des impacts mesurés sur la faune et la flore, d'anticiper une surfréquentation de certains sites, de créer des projections de la pratique du canoé à cinq, dix ou quinze ans en lien avec le niveau d'eau, ou encore le changement climatique.

« En fiabilisant les données que nous avons sur la fréquentation de nos sites, en croisant les données de fréquentation et les enjeux environnementaux, nous pourrons identifier d'éventuels risques et, sur cette base, construire une stratégie de gestion des flux », résume Vincent Orcel, le directeur de l'Office de Tourisme.

Dans notre série consacrée au surtourisme en Auvergne-Rhône-Alpes

L'Auvergne s'outille pour accueillir ses visiteurs tout en préservant ses volcans (1/4)

À Chamonix, le paradis de l'alpinisme s'engage dans un jeu d'équilibriste pour réguler sa fréquentation (2/4)

Dans « la Venise des Alpes », le va-et-vient des valises excède les habitants et interpelle les élus (3/4)

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.