Gabriel Attal sur le chantier du Lyon-Turin en Savoie : un signal politique à l’aube des européennes ?

Le Premier ministre Gabriel Attal visite ce mardi le tunnel de base en cours de creusement entre la Savoie et l’Italie, afin de faire circuler la future ligne ferroviaire entre Lyon et Turin. Si les voies d’accès italiennes devraient arriver à l’heure de la livraison du tunnel en 2032, les voies françaises attendent encore le feu vert de Bruxelles, nécessaire pour lancer les études détaillées. Le locataire de Matignon entend, à travers ce déplacement très politique, réaffirmer le soutien de l’Etat à l’aube des élections européennes, là où l’épineuse question du financement des travaux, estimés à au moins 8 milliards d'euros, est encore loin d’être tranchée.
Le creusement du tunnel transfrontalier du Mont-Cenis progresse entre la France et l'Italie : plus de 36 kilomètres de galeries ont déjà été creusés fin mars 2024 sur les quelque 162 kilomètres à réaliser. La livraison du plus long tunnel ferroviaire au monde est prévue à l'horizon 2032.
Le creusement du tunnel transfrontalier du Mont-Cenis progresse entre la France et l'Italie : plus de 36 kilomètres de galeries ont déjà été creusés fin mars 2024 sur les quelque 162 kilomètres à réaliser. La livraison du "plus long tunnel ferroviaire au monde" est prévue à l'horizon 2032. (Crédits : ©Moureaux)

C'est un déplacement vraisemblablement organisé « en dernière minute », qui répond en partie à l'agenda politique du parti présidentiel à moins d'un mois des élections européennes du 9 juin prochain : le Premier ministre Gabriel Attal, en meeting à Lyon hier soir aux côtés de la candidate Renaissance Valérie Hayer, visitera ce mardi 14 mai le chantier du tunnel de base du Mont-Cenis, entre la France et l'Italie, qui devrait relier les deux pays par le rail à partir de 2032.

Cette future ligne, qui vise à enlever sur le papier un million de camions des routes chaque année (en fonctionnement optimal), mais aussi augmenter les trafics voyageurs en gagnant 1h30 sur le trajet actuel, est dans les cartons depuis une trentaine d'années, au prix de nombreux atermoiements, notamment côté français. Désormais, le projet revient peu à peu au centre du jeu à la faveur de plusieurs éléments. Ce, notamment après les éboulements d'août 2023 en Maurienne, ayant provoqué l'interruption encore effective de la ligne ferroviaire historique entre Paris et Milan.

Lire aussi Lyon-Turin : l'épineuse question du financement des accès tranchée in extremis

Car côté français, le dossier de la LGV semblait paralysé depuis plusieurs années. Si les études et le financement des voies italiennes sont bouclés, la France a quant à elle pris un retard conséquent qu'elle ne pourra vraisemblablement pas rattraper : le tunnel transfrontalier de 57,5 kilomètres (le plus long du monde) pourrait ouvrir dans huit ans sans voies ferrées en direction de Lyon. Les trains devraient alors emprunter dans les premiers temps une route ferroviaire en direction de Dijon, avec un plus petit dimensionnement, dans l'attente de concrétiser le projet dans son ensemble, à l'horizon des années 2040.

Ainsi, après moults rebondissements ces derniers mois quant au financement des études détaillées, l'Etat et les collectivités territoriales ont finalement trouvé un accord in extremis, fin janvier. Ce, à la veille d'une échéance européenne qui, si elle avait été franchie, aurait pu faire tomber la déclaration d'utilité publique datant de 2013, soulevaient alors des partisans du projet.

Après plusieurs semaines de négociations difficiles, le gouvernement s'est finalement engagé à financer 60 millions d'euros sur les 170 millions d'euros nécessaires aux études du projet, tandis que la région Auvergne-Rhône-Alpes annonçait porter 33 millions d'euros, suivie par certains départements et intercommunalités. Ce, dans l'idée d'obtenir un financement européen représentant la moitié du budget.

Un feu vert, orange ou rouge de l'Europe, attendu début juillet

Désormais, le dossier passe entre les mains de Bruxelles dans le cadre du « mécanisme pour l'interconnexion en Europe » (MIE), un programme doté d'une enveloppe globale, aujourd'hui presque épuisée, de 33,7 milliards d'euros entre 2021 et 2027.

Selon nos informations, la Commission devrait apporter une réponse à la demande française à partir du 8 juillet prochain. Et si plusieurs scénarios semblent envisageables, celui d'une validation du projet par Bruxelles reste privilégiée par Stéphane Guggino, délégué général du Comité pour la Transalpine, association favorable au projet, qui estime « qu'il ne serait pas très cohérent que l'Europe ne permette pas d'aller plus loin ».

Avec, pour signaux favorables, les discours d'Iveta Radičová, coordinatrice du corridor méditerranéen au sein de la Commission européenne, rappelant déjà en septembre 2021 que « les voies d'accès » françaises étaient « entièrement éligibles aux financements européens ».

« Depuis vingt ans, la Commission européenne n'a jamais bougé d'un iota, ajoute Stéphane Guggino. Ces dernières années, la France se faisait tirer les oreilles pour avancer sur les accès. C'était plus qu'une insistance, mais une exhortation de l'UE à y aller. L'Italie faisait pareil. Dans ce contexte, ce serait compliqué de voir l'Europe, qui se mobilise publiquement, finalement reculer », estime à nouveau le délégué de la Transalpine.

En parallèle, courant avril, l'Etat a également fléché le tracé des accès dans sa liste des sites « d'envergure nationale ou européenne » qu'il entend exempter du décompte sur le Zéro artificialisation nette des sols (ZAN), dans l'idée d'accélérer les démarches administratives. Ce, malgré la contestation d'associations, mais aussi d'élus écologistes, notamment en raison de l'ampleur du projet, nécessitant le creusement de trois nouveaux tunnels sous les massifs de la Chartreuse et de Belledonne, mais aussi sous le col du Glandon.

De même, certains élus, dont l'exécutif de la Métropole de Lyon (EELV), plaident pour une priorisation du projet de contournement de l'agglomération lyonnaise pour le fret, devant le projet Lyon-Turin. Ce, dans la continuité des conclusions du Conseil d'orientation des infrastructures, livrées début 2023, indiquant que les accès entre Lyon et Saint-Jean-de-Maurienne ne pourraient pas arriver avant 2045.

Affiner le budget, estimé à 8 milliards d'euros

Désormais, si le budget attribué aux études est bien validé par Bruxelles, elles viseront pendant trois ans à affiner le tracé exact des voies françaises, en passant d'une large échelle à une définition des plans au centimètre près. Pour cela, SNCF Réseau pourrait lancer des appels d'offres en fin d'année auprès de bureaux d'études, en vue de les débuter à partir de début 2025. Et déjà, la société publique semble se tenir prête : Matthieu Chabanel, son directeur général, devrait ainsi intervenir lors de la prochaine assemblée générale du Comité pour la Transalpine, début juillet, afin d'y présenter de premiers éléments techniques.

Tandis qu'un autre enjeu de taille se dessine : celui du financement, par la suite, des travaux, dont le budget devrait lui aussi se préciser dans les prochaines années. Aujourd'hui estimée à quelque 8 milliards d'euros, sans compter le contournement de Lyon (la faisant alors grimper à 12 milliards d'euros), l'enveloppe de financement n'est pas encore attribuée.

Et pourtant, les montants semblent colossaux pour l'Etat et les collectivités, notamment au regard des difficultés rencontrées pour la répartition du budget des seules études techniques d'avant projet.

À ce sujet, Gabriel Attal a ainsi indiqué dimanche dernier, à nos confrères du Progrès, « jeter toutes ses forces dans la bataille » avec la région Auvergne-Rhône-Alpes, dont il « salue la mobilisation ».

« La ligne de mon gouvernement c'est de toujours chercher la sécurisation sur le long terme. La garantie est d'abord politique, et en me déplaçant en tant que Premier ministre, j'apporte un soutien au plus haut niveau », a-t-il ajouté.

Lundi soir, des organisations syndicales demandaient des clarifications en amont de ce déplacement. La CGT Transports et domaines skiables formulait ainsi plusieurs « exigences », dont « l'accélération sur les voies d'accès au futur tunnel », ou encore la mise en œuvre « d'une vraie politique de report modal du transport de marchandises de la route vers le rail avec un opérateur public, la SNCF ». 

Un message à l'approche des élections européennes

De même, la manœuvre est politique, à un mois des élections européennes. La France entend en effet s'appuyer à moitié sur un financement des 27 pour la réalisation des voies d'accès. Et ce, à travers le vote du prochain programme MIE dirigé vers les transports, qui pourrait s'étaler de 2028 à 2035.

Ainsi, la Transalpine œuvre déjà en coulisses auprès des candidats au Parlement. Elle les invite noir sur blanc, dans son manifeste, « à appeler à une augmentation significative du budget ferroviaire », notamment au regard d'une logique concurrentielle entre les projets européens. Mais aussi à « travailler sur la gouvernance », ajoute Stéphane Guggino, dans l'idée de « trouver le bon canal pour que la souveraineté des Etats soit respectée, mais que l'Europe ait son mot à dire pour orienter les projets dans le sens des projets européens ».

Toute cette mécanique, en ce moment à l'œuvre à l'occasion de la campagne, se conclura par le résultat des élections du 6 au 9 juin prochain. Celles-ci détermineront la future gouvernance européenne et la place de ce projet dans l'agenda de la prochaine Commission, notamment en fonction de l'importance du socle entre le groupe Social-démocrate (SD) et le Parti populaire européen (PPE), tous deux favorables à la ligne ferroviaire franco-italienne. Tandis que les contours du projet pourraient également bouger en fonction des positions des partis d'extrême droite, plutôt neutres ou favorables, ou encore de la gauche, plus divisée sur ce projet.

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Commentaires 3
à écrit le 14/05/2024 à 14:57
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Ce chantier est un aberration, technique, économique, financière et écologique, tout simplement, comme l' était le canal à grand gabarit Rhin-Rhône, ou le métro de Bordeaux, autres exemples de gigantismes fasteueux. Une " voie pendulaire " suffisai...

le 14/05/2024 à 17:38
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A l'instar de gens comme vous , certains étaient également nombreux à dire la même chose quand il s'agissait de creuser le tunnel sous la Manche. Si nous voulons LIBERER les routes de montagne déjà polluées , il nous faut des modes alternatifs perfor...

à écrit le 14/05/2024 à 9:20
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"estimés à au moins 8 milliards d'euros" Un panier percé, où part le fric bon sang !? Sans répondre à cette question continuer de remplir un puits sans fond ne peut qu'être douteux.

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