C'est un théâtre politique, au cœur d'un calendrier chaque jour plus resserré. L'Etat et onze collectivités territoriales référentes dans le dossier Lyon-Turin - la Région, cinq départements et cinq agglomérations - négocient en ce moment leur participation au financement des études sur les voies d'accès ferroviaires français, reliant Lyon au tunnel transfrontalier du Mont-Cenis, en cours de construction dans les Alpes.
D'une enveloppe globale de 220 millions d'euros (170 millions d'euros pour les accès, auxquels s'ajoutent 50 millions d'euros pour le contournement ferroviaire de Lyon, appelé CFAL), ces analyses techniques, d'une durée estimée à quatre ans, visent à finaliser le scénario des voies d'accès françaises, en partie à grande vitesse (220km/h), ainsi que des ouvrages d'art.
Mais pour cela, encore faut-il boucler l'enveloppe de financement des études avant le 30 janvier 2024, échéance avant laquelle la France doit déposer son dossier afin d'obtenir une subvention européenne à hauteur de 50 % du budget, soit environ 100 millions d'euros.
Si l'Etat avait, en première intention, annoncé participer de moitié au reste à charge - l'autre revenant aux collectivités territoriales - soit environ 65 millions d'euros (dont 50 millions d'euros pour les seuls accès), l'exécutif a, selon nos informations, revu sa position hier lors d'un deuxième tour de table. Représenté par la Préfète de Région, Fabienne Buccio, l'Etat propose aujourd'hui d'augmenter sa participation d'environ 20 millions d'euros, via la prise en charge de dépenses non subventionnées par l'Union européenne. Ce qui ferait grimper sa prise en charge à 85 millions sur les 220 millions du projet global.
« Personne ne veut prendre la responsabilité d'un échec »
Du côte des collectivités territoriales, l'enveloppe initiale est donc un peu réduite. Pour autant, à l'issue de cette deuxième vague de négociations, il reste encore un trou conséquent dans la raquette, estimé à 10 millions d'euros malgré « quelques signes positifs » selon un participant : outre le financement de 13 millions d'euros annoncé en novembre par la Région, seule compétente en matière ferroviaire, le Département du Rhône propose désormais de flécher 1,5 million d'euros vers les accès au tunnel, ainsi que le Département de la Savoie.
De même, plusieurs collectivités ont signifié leur participation, dont la Communauté d'agglomération d'Annecy ou encore la Métropole de Grenoble. Ces collectivités financeraient, selon nos informations, environ 6 millions d'euros. À l'inverse, les départements de l'Ain et de la Haute-Savoie déclinent l'invitation. La Métropole de Lyon, quant à elle, déclare flécher 5 millions d'euros, uniquement vers le contournement de l'agglomération lyonnaise (CFAL).
Elle juge en effet les accès ferroviaires du Lyon-Turin « en dehors de sa compétence » et s'inscrit dans le scénario privilégié par le rapport remis en début d'année par le Comité d'orientation des infrastructures, préconisant de repousser au mandat 2028-2032 les études sur les accès, pour des travaux lancés à partir de 2038 en vue d'une inauguration en 2043. Soit treize années après l'ouverture annoncée du tunnel transfrontalier, en 2030. Jean-Charles Kohlhaas, vice-président de la Métropole de Lyon, délégué aux intermodalités, aux gares et aux grandes infrastructures, déclare ainsi « défendre la position du COI ».
« Pour reprendre les mots de Laurent Wauquiez, nous sommes en train de construire le toit et les murs, certes, mais on ne se soucie pas des fondations. Nous faisons les choses à l'envers. Nous ne pourrons pas remplir les voies d'accès au tunnel Lyon-Turin si nous n'avons pas, en amont, réalisé le CFAL Nord et le CFAL Sud », ajoute l'élu EELV.
Pour autant, « personne, sauf Lyon, ne s'oppose fondamentalement aux accès », remarque un participant qui affirme que « personne ne veut prendre la responsabilité d'un échec ». Quel est donc l'élément bloquant et qu'attendent les exécutifs locaux ?
Des relations difficiles entre l'Etat et la Région
Depuis novembre, la position de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, compétente, n'a en effet pas bougé. Selon plusieurs observateurs, il semblerait que le bouclage de l'enveloppe se joue plutôt entre l'Etat et la collectivité LR présidée par Laurent Wauquiez. Ainsi, la Région a formulé une suggestion étonnante lors de la première réunion du mois de novembre : proposer à l'Etat de flécher une partie de son budget consacré au prochain Contrat plan Etat-Région (CPER) Mobilités (2023-2027), en cours de négociation et notamment consacré aux RER Métropolitains, vers les études des accès du Lyon-Turin. Ce contrat, récemment signé dans plusieurs régions, dont Provence-Alpes-Côte-d'Azur il y a quelques semaines, peine à aboutir en Auvergne-Rhône-Alpes malgré son année officielle de prise d'effet : 2023.
Contactée fin novembre, la Région ne confirmait pas cette information, sans y voir non plus d'incompatibilité, dans une logique de système ferroviaire « connecté et interdépendant » entre les voies ferroviaires du Lyon-Turin et celles des six RER métropolitains qu'elle projette. De même, le ministre délégué aux transports, Clément Beaune, en déplacement à Lyon le 21 novembre, confirmait que le financement des études du Lyon-Turin « fait partie des discussions au sujet du CPER Mobilités » :
« Aller chercher les financements européens, c'est ma responsabilité de ministre. Maintenant, il faut que le reste du financement, de la Région et d'autres collectivités, notamment de la Région, soit précisé. Cela fera aussi parti des sujets de discussion que j'aurai prochainement avec Laurent Wauquiez », déclarait alors Clément Beaune.
Une prochaine et probablement dernière réunion est prévue début janvier, à quelques jours de l'échéance européenne. En cas de désaccord, si le dossier n'est pas présenté devant l'Union, le prochain wagon de subvention n'arriverait qu'en 2028, année d'échéance de la Déclaration d'utilité publique des accès français, qu'il faudrait alors renégocier avec le Conseil d'Etat pour ne pas la perdre.
Côté italien, ce lundi 18 décembre - le même jour que la réunion organisée par la Préfecture de Région - le ministre des Infrastructures Matteo Salvini lançait pour sa part le coup d'envoi du chantier de creusement de la section italienne du tunnel de base. Les voies d'accès italiennes, quant à elles, seraient opérationnelles en 2030, au moment de l'inauguration prévue du tunnel transfrontalier.
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