Ferroviaire : ralenti dans sa conquête des Alpes, Trenitalia poursuit et adapte son offensive en France

Malgré la fermeture de la ligne ferroviaire transfrontalière entre la France et l'Italie depuis l’éboulement fin août 2023 dans la vallée de la Maurienne, Trenitalia a choisi de poursuivre l'exploitation de sa première ligne à grande vitesse française, Paris-Lyon, même si celle-ci ne rend plus jusqu’à Milan. Après deux années et demie d’opération - et alors que l'espagnol Renfe est entré à son tour sur le marché français -, l'opérateur à la flèche rouge tire un premier bilan entre homologations et affectation de sillons, enjeux de maintenance et aléas climatiques. Avec malgré tout, un plan de rebond et des projets de nouvelles lignes à venir.
Trenitalia estime désormais que l'éboulement survenu en août dernier dans la vallée de la Maurienne (Savoie) aura déjà occasionné la perte de « 800.000 voyageurs sur ses liaisons internationales », dont le Paris-Milan était un maillon essentiel.
Trenitalia estime désormais que l'éboulement survenu en août dernier dans la vallée de la Maurienne (Savoie) aura déjà occasionné la perte de « 800.000 voyageurs sur ses liaisons internationales », dont le Paris-Milan était un maillon essentiel. (Crédits : Ferrovie dello Stato Italiane)

Deux ans tout juste après le lancement, en décembre 2021, de son offre de TGV Frecciarossa sur le Paris-Milan (via Lyon), l'opérateur Trenitalia fêtait l'hiver dernier son deux millionième client. L'occasion de dresser un premier bilan de son arrivée sur le marché français, en vertu de l'ouverture à la concurrence du transport de passagers, permise depuis décembre 2020 sur le rail français. Et ce, alors qu'un second candidat, l'espagnol Renfe, faisait son arrivée le 13 juillet dernier avec deux liaisons à grande vitesse Marseille-Madrid et Lyon-Barcelone.

Un bilan que Trenitalia estime pour sa part plutôt « positif », malgré le coup de frein majeur rencontré en août 2023 avec l'éboulement, de 15.000 m3 de roches qui s'est produit à cinq kilomètres de l'entrée du tunnel du Fréjus, provoquant ainsi une coupure de la ligne ferroviaire transfrontalière entre Saint-Jean-de-Maurienne et Modane (Savoie).

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« Nous avons connu une progression significative sur le Paris-Lyon en 2022-2023, puisque nous avons enregistré une hausse de 20% du volume de voyageurs », précise Fabrice Toledano, directeur marketing et communication chez l'opérateur italien. Pour autant, pas question de communiquer sur le niveau de rentabilité ni le décalage de ses objectifs en raison de cet incident, ni même sur le montant d'investissements nécessaires au lancement et à l'exploitation de cette première ligne, très regardée sur le marché européen.

On sait seulement qu'au fil des mois, Trenitalia avait progressivement choisi de monter en puissance, en faisant grimper de 2 à 5 allers-retours quotidiens la fréquence de ses trains à grande vitesse entre Milan et Paris (via Lyon). Un chiffre à remettre toutefois en perspective avec la vingtaine d'allers-retours quotidiens qui demeurent proposés par la SNCF.

« Pour nous, qui sommes l'opérateur historique en Italie, il était à la fois naturel et emblématique d'avoir une liaison entre l'Italie et la France, qui représente le second plus gros marché en Europe après l'Allemagne et aussi l'un des plus grands axes européens », confirme Fabrice Toledano.

Il n'hésite pas à lister les atouts de cette ouverture du marché, qui avait provoquée en France une levée de boucliers de la part des syndicats des cheminots :

« Le fait de pouvoir proposer une offre complémentaire et différente a pour effet d'attirer plus de voyageurs vers le train. En Italie, l'arrivée de concurrents avait permis de doubler l'offre de trains et en parallèle, le nombre de passagers, qui avait augmenté de 90% en quelques années, provoquant également des prix à la baisse. Sur le Paris-Lyon, l'opérateur historique continue de communiquer sur des records de fréquentation, ce qui montre bien que le marché grandit tandis que nos cinq allers-retours représentent 20% de départs en plus »

Le frein de l'éboulement en Maurienne

Une progression toutefois fortement bridée par l'éboulement en Maurienne, qui a conduit la compagnie italienne à stopper sa liaison internationale, et à se concentrer uniquement sur la ligne emblématique du Paris-Lyon, devenue par définition « 100% française », en raison de la fermeture des rails pour travaux depuis août 2023.

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Avec des enjeux tout particuliers : « Cette interruption d'un peu plus d'un an - le nouveau planning des travaux n'évoque pas une reprise avant fin novembre 2024, ndlr - est extrêmement longue, d'abord car il s'agit de l'une de nos lignes historiques, mais aussi car elle présentait de forts taux de remplissage (80 à 85%). Or, la durée fait en sorte que les gens ont dû trouver des alternatives, et qu'il va nous falloir reconquérir cette clientèle lors de réouverture. »

Première conséquence chiffrée : même si l'opérateur ferroviaire reste toujours prudent sur les chiffres, cette coupure continue de creuser les pertes : après avoir évoqué le chiffre de « 500.000 passagers qui ne pourront pas prendre le train  » en octobre dernier, Trenitalia estime désormais que cet incident a déjà occasionné la perte de « 800.000 voyageurs sur ses liaisons internationales », dont le Paris-Milan était un maillon essentiel.

Afin de limiter l'impact de ce coup d'arrêt, et de conserver un lien avec ce territoire, Trenitalia avait tout de même choisi de mettre en place l'hiver dernier une liaison prolongée jusqu'à Chambéry (Savoie), à raison de deux allers-retours par week-end entre décembre 2023 et avril 2024 pour relier les stations de ski notamment.

Le sujet de la maintenance à gérer

Autre impact direct : l'opérateur italien aura dû trouver une solution d'urgence pour maintenir ses trains de marque Hitachi, jusqu'ici pris en charge dans un atelier spécialisé à Milan. « Il a fallu se réorganiser très vite afin de ne pas bloquer la circulation. Une équipe d'experts provenant d'Italie a été déployée afin d'assurer les premiers niveaux de maintenance en France, dans les ateliers SNCF situés à côté de Paris. »

Mais le second niveau de maintenance - avec des opérations plus lourdes que celles réalisées jusqu'ici en France - demeurant toujours localisé à Milan, ses trains sont encore régulièrement appelés à traverser la frontière « à vide ». L'étude de scénarios de contournement permettant de poursuivre une desserte commerciale (via la Suisse ou par Nice) ne s'est en effet pas avérée concluante.

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De quoi consolider, au sein de sa stratégie de développement à l'échelle européenne, la nécessité d'établir un centre de maintenance au sein de l'Hexagone. Trenitalia est actuellement en cours de positionnement au sein des appels d'offres lancés par SNCF Réseau pour établir son premier site de maintenance en France. Et plus précisément à proximité de sa ligne, Paris-Lyon. Il refuse cependant d'en dire plus pour l'instant, et réfute l'information selon laquelle le lieu retenu serait la commune de Bezannes, en périphérie sud de Reims.

« A partir du moment où l'on multiplie les circulations, un seul atelier à Milan ne suffit plus », glisse simplement Fabrice Toledano.

Un plan de développement en Europe

En attendant, l'opérateur du train à la flèche rouge peaufine son plan de développement, qui demeure à l'agenda, malgré l'épine que constitue la coupure de l'axe savoyard, dont il espère récupérer l'intégralité des sillons dès la réouverture annoncée à l'automne prochain : d'ici là, Trenitalia vient d'annoncer qu'il ajouterait un 6e aller-retour quotidien sur sa ligne Paris-Lyon du 15 juillet au 15 août, afin d'acheminer les voyageurs durant les épreuves des Jeux Olympique de Paris 2024.

Un chiffre qui passera même ensuite à neuf allers-retours quotidiens à compter de début 2025, avec l'objectif de faire remonter en puissance sa dorsale emblématique. Et de rattraper le retard accumulé au démarrage : « Nous sommes en train de finaliser nos tests de circulation sur des trains à double composition, c'est-à-dire deux trains attachés ensemble, afin d'augmenter les capacités et de nous permettre d'étudier la mise en oeuvre de nouvelles lignes. »

Même si des fuites dans la presse évoquent déjà un certain nombre de projets de nouvelles lignes (vers Bruxelles, Amsterdam et Londres depuis Paris, ou encore vers Genève ou Barcelone), Trenitalia ne souhaite réaliser aucune annonce à ce stade :

« Nous travaillons à la fois sur des projets de ligne à court terme, à horizon 2025-2026, et des échéances plus lointaines qui vont nécessiter du nouveau matériel et des ateliers. Evidemment, des trajets à la fois domestiques et internationaux depuis la France sont à l'étude », glisse Fabrice Toledano.

Et d'ajouter : « une vision à long terme est primordiale sur ce marché », rappelant ainsi que l'homologation des trains Frecciarossa pour le marché français aura pris un an et demi, de même que le processus de réservation des sillons avec SNCF Réseau se sera déroulé sur deux ans.

Déjà présent en Europe, et notamment en Allemagne, au Royaume-Uni, en Grèce et en Espagne, Trenitalia continue de nourrir des ambitions européennes, sur un marché ferroviaire qui conjugue actuellement une forte demande de la part des passagers, mais aussi une ouverture à la concurrence du marché européen qui se heurte encore à de nombreuses barrières : homologations et délais importants pour obtenir des sillons, un fort niveau de capitalisation à l'entrée, mais aussi une pénurie de matériel (rames et locomotives) sur le marché du neuf et de l'occasion.

Du Lyon-Turin... à la modernisation du réseau ferré européen

Suite à l'éboulement rencontré dans la vallée de la Maurienne, Trenitalia milite plus que jamais pour une « reprise en accéléré et une finalisation du projet Lyon-Turin » : « on voit bien que la voie actuelle est une zone fragile, qui n'aura pas accueilli de circulation durant plus d'un an. Un éboulement en 2018 avait déjà provoqué une interruption du trafic pendant trois semaines : le projet Lyon-Turin permettrait, en passant sous la montagne, d'éviter cette zone et d'offrir une sécurisation supplémentaire ». D'autre part, Fabrice Toledano rappelle que le projet de LGV permettrait de réduire le temps de trajet sur la ligne Milan-Paris de 1h30. « Il s'agirait d'un gage d'attractivité significatif pour le train car relier Paris et Milan prend aujourd'hui entre 6h30 et 7h ».

S'il concède cependant que le Lyon-Turin ne sera pas « la réponse » à la forte densité de trafic déjà présente sur cette ligne et convergeant au noeud ferroviaire lyonnais, le responsable marketing de Trenitalia rappelle un autre cheval de bataille, attendu de pied ferme sur le marché français : à savoir l'accélération de la modernisation du réseau ferré hexagonal.

« Nous attendons une homogénéisation du réseau ferré européen, notamment à travers la norme européenne ERTMS de signalisation qui existe déjà et qui permet de faire rouler des trains à une fréquence supérieure à aujourd'hui, sans construire de lignes supplémentaires. En Italie, ce système a été mis en place depuis l'origine des lignes TGV et c'est une manière de développer plus de capacités, quels que soient les opérateurs ».

Actuellement, la France compte jusqu'à trois systèmes de signalisation différents tandis que l'ERTMS ne serait déployé que sur 2.000 des ses 28.000 kilomètres de lignes françaises, faute d'un programme de financement spécifique. « Le nouveau règlement demande de l'installer sur le réseau central en 2030 et global en 2040 », expliquait au média Toute l'Europe Jérémie Pélerin, directeur des Affaires européennes de la SNCF.

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