Accès français du Lyon-Turin : les autorités se renvoient la balle sur les 40 millions d'euros à trouver

C'est une course contre la montre et les positions ne bougent pas. À nouveau réunis hier, l'Etat et onze collectivités territoriales de la région Auvergne-Rhône-Alpes étaient appelés à clarifier leurs engagements sur le financement des pré-études sur les voies ferroviaires françaises du Lyon-Turin. Mais l'échange n'a pas abouti : il manque encore 40 millions d'euros à trouver avant le 30 janvier, date butoir pour déposer un dossier de demande de subvention européenne importante. Une affaire éminemment politique qui, sans ministre délégué aux Transports depuis le remaniement, pourrait bien être arbitrée au plus haut sommet de l'Etat. Décryptage.
Le tunnel transfrontalier entre la France et l'Italie - qui deviendrait le plus long tunnel ferroviaire du monde, avec ses 57,5 kilomètres - est quant à lui en cours de construction et devrait être livré en 2032. En France, les échanges sur les voies consistent à le relier à Lyon, là où il n'existe aujourd'hui qu'un seul itinéraire en direction de Modane, puis de Dijon.

Ce devait être la troisième et dernière réunion de bouclage du financement des études sur les 150 kilomètres de voies ferroviaires françaises du Lyon-Turin. Jeudi 18 janvier, la Préfecture régionale d'Auvergne-Rhône-Alpes réunissait à nouveau onze collectivités territoriales (la région, cinq départements et cinq agglomérations, dont Lyon et Grenoble) autour de la table.

L'objectif : boucler au moins la moitié de l'enveloppe de 220 millions d'euros (170 millions pour le projet Lyon-Turin, et 50 millions d'euros pour le contournement nord de Lyon, dit « CFAL Nord »), afin de la déposer avant le 30 janvier auprès de l'Union européenne, qui en financerait ainsi l'autre moitié dans le cadre du « Mécanisme pour l'interconnexion en Europe ».

À dix jours de la date butoir, alors que cet appel à projets européen ne reviendrait ensuite qu'en 2027 - soit un an avant l'échéance de la Déclaration d'utilité publique du tronçon - les collectivités ne se sont toujours pas mises d'accord : il manque en effet environ 40 millions d'euros, à trouver en moins de deux semaines, pour lancer la demande de subvention et derrière, le projet. Sans quoi les autorités, si elles veulent poursuivre la construction de voies d'accès entre Lyon et le tunnel côté français, devraient se mettre d'accord sans l'aide de l'Europe.

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Laurent Wauquiez : « Nous avons fait notre part du travail »

« Personne n'imagine prendre la responsabilité d'un échec », répète pourtant depuis l'automne un observateur du dossier. Mais les semaines passent, et la situation reste gelée. L'Etat, qui s'était positionné sur un financement « de moitié » du reste à charge, demandant « l'autre moitié » aux collectivités territoriales, avait revu sa position fin décembre : la préfète avait formulé une rallonge de sa contribution de 20 millions d'euros, l'amenant à environ 85 millions d'euros au total. Mais, selon nos informations, cet arbitrage n'a pas encore été officiellement pris.

Il reste donc encore un trou dans la raquette. Derrière l'enjeu du financement, les collectivités sont en effet divisées sur les questions de compétences, mais aussi d'intérêt économique et environnemental de ce grand projet européen, qui vise à enlever 1 million de camions des routes à terme et relier les pays les plus à l'est avec ceux de la péninsule ibérique via une liaison ferroviaire transalpine, plus sécurisée et à grande vitesse.

Ainsi, comme nous l'écrivions précédemment, la Métropole de Lyon (EELV) ne s'engage que sur le CFAL Nord à hauteur de 5 millions d'euros. La Métropole de Grenoble (divers gauche), elle, débloque un budget, ainsi que l'agglomération d'Aix-les-Bains. En revanche, leurs deux départements, la Haute-Savoie et l'Isère, ne se positionnent pas, ni celui de l'Ain, ni la métropole de Chambéry. Enfin, la Savoie flèche une participation financière de 3 millions d'euros, et le département du Rhône, de 1,5 million d'euros.

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Le Lyon-Turin, greffé aux négociations sur le CPER Mobilités

La région Auvergne-Rhône-Alpes, présidée par Laurent Wauquiez (LR), affiche quant à elle son soutien. La collectivité a indiqué placer 13 millions d'euros dans ces études, mais n'a pas revu sa position depuis l'automne. Laurent Wauquiez, interrogé sur le sujet par La Tribune lors de ses vœux à la presse, vendredi 19 janvier, a précisé :

« L'échec est inenvisageable. Mais nous avons fait notre part du travail. Nous avons mis 13 millions d'euros sur la table, ce doit être cinq fois plus que la deuxième collectivité derrière nous. Maintenant il faut que tout le monde fasse un pas. La position qui est inacceptable, c'est celle des écologistes. Comment se prétendre écologiste, quand on refuse un projet qui enlève les camions des routes pour les mettre sur le train ? Cela n'a pas de sens. »

Et en cas d'échec des négociations ? « C'est la responsabilité de l'Etat, répond l'élu, originaire du Puy-en-Velay. Il porte le projet. Nous avons assumé et nous avons aidé ».

La région a d'ailleurs formulé, en décembre, une proposition au gouvernement via la préfecture : greffer, via une nouvelle enveloppe d'environ 2 millions d'euros, ces négociations sur le Lyon-Turin avec celles du Contrat plan Etat Région (CPER) Mobilités, qui visent notamment (mais pas seulement), à trouver un accord entre Etat et région sur les projets de RER Métropolitains. Mais le dialogue s'avère difficile.

Sur le CPER Mobilités, Laurent Wauquiez dit « attendre une réponse de l'Etat depuis six mois ». Sur ce rapprochement des deux sujets, l'opposition régionale écologiste dénonçait, de son côté, « un arrangement » au dépens des projets de RER.

Et si une voie s'ouvrait avec les bénéfices du tunnel du Mont-Blanc ?

Alors que la pression monte, « tout pourrait se jouer à la dernière minute » au plus haut niveau de l'Etat, remarquent plusieurs acteurs. Le départ de l'ancien ministre délégué aux Transports, Clément Beaune, ajoute de l'incertitude. Sans ministre depuis mi-janvier, le dossier revient désormais officiellement au cabinet du ministre de la transition écologique, Christophe Béchu. Mais la décision remonterait à Matignon ou à l'Elysée. Sachant que Clément Beaune serait, selon nos informations, parti avec des engagements : sauver le dossier en cas d'échec des négociations.

Pour autant, une autre voie a été proposée au début du mois par plusieurs acteurs, dont le maire de la commune et de l'agglomération de Chamonix (Haute-Savoie), Eric Fournier. L'élu, aussi conseiller régional de la majorité, dénonce « un blocage qui affecte très directement le territoire », en raison de la pollution liée à la circulation des poids lourds via le tunnel du Mont-Blanc.

« Si les autorités ne sont pas capables de trouver 40 millions d'euros, prenez-les sur le FDPITMA ! », argue-t-il. Cette structure, à savoir le « Fonds pour le développement d'une politique intermodale des transports dans le massif alpin », a été créée par décret en 2002 après l'incendie dramatique du tunnel du Mont-Blanc. Il visait, dès l'origine, à consolider les résultats des sociétés autoroutières ATMB (qui exploite le tunnel du Mont-Blanc), SFTRF (tunnel du Fréjus) et AREA (jusqu'en 2006), mais aussi financer des projets de report modal de la route vers le train. Or, depuis, les bénéfices d'ATMB ne sont dirigés que vers le renflouement des caisses de la SFTRF, structurellement déficitaire. Soit le financement « de la route par la route », qui ne bénéficie pas au ferroviaire.

Si l'idée d'utiliser une partie de ce fonds, géré par l'Etat, a été soufflée, elle n'a pas encore été tranchée. Contacté, le cabinet de Christophe Béchu n'a pas répondu à nos sollicitations.

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Commentaires 7
à écrit le 20/01/2024 à 21:53
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Dans quelques temps on aura un tunnel percé mais les gens pas encore d'accord pour gérer les accès (passera par ici, repassera par là), et comme disait un article, vu qu'il y a plusieurs projets de tracé il risque d'y avoir des constructions faites o...

à écrit le 20/01/2024 à 16:55
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On ne sait pas trouver 40 millions pour une infrastructure qui fonctionnera durant plusieurs dizaines d'année mais par contre 12milliards/an pour faire baisser le prix de l'essence de quelques centimes la aucun problemes... Bravo pour la vision et le...

à écrit le 20/01/2024 à 10:38
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La section transfrontalière de la ligne ferroviaire de fret/passagers Lyon-Turin, dont le coût certifié s’élève à 8,6 milliards d’euros, est financé à 40 % par l’Union européenne, à 35 % par l’Italie et à 25 % par la France. La France, quant à elle...

à écrit le 20/01/2024 à 9:52
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Bonjour, la bonne question est de savoir si nous , l'etat , les collectivités et la population du coin souhaitent réaliser cette construction... Un tunnel qui évite le franchissement de miliers de camion me semblent avoir une importance ... Bien s...

à écrit le 20/01/2024 à 7:39
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Trop de gens trop importants compromis là dedans pour l'arrêter et en même temps trop d'aberrations, trop de magouilles pour le continuer.

à écrit le 20/01/2024 à 1:59
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Des centaines de millions perdus en Ukraine et ici des difficultees pour 40 millions. L'europe des technocrates a geometries variables. Continuez de creuser.

le 20/01/2024 à 5:27
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Hélas vous avez mille fois raisons. La France d'aujourd'hui où la bêtise a pris le pouvoir!

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