JO 2030 : dans les Alpes, la candidature s’organise mais la question de la « durabilité » demeure

Cent ans après l’accueil des premiers Jeux Olympiques d’hiver organisés en France, à Chamonix (1924), Laurent Wauquiez, président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, organisait une soirée de présentation de la candidature des Alpes françaises aux JO d’hiver 2030. L’occasion de rappeler les grandes lignes de ce projet mais surtout d’afficher ses soutiens, tout en insistant sur la volonté d'organiser des jeux durables et inclusifs. Un discours qui suscite cependant déjà une levée de boucliers sur le plan local.
La candidature des Alpes françaises, qui entame sa dernière ligne droite, ambitionne de tracer une route vers des « Jeux durables ». Un sujet qui remet toutefois sur la table l'épineuse question de l'organisation d'événements sportifs, dans un contexte de réchauffement climatique.
La candidature des Alpes françaises, qui entame sa dernière ligne droite, ambitionne de tracer une route vers des « Jeux durables ». Un sujet qui remet toutefois sur la table l'épineuse question de l'organisation d'événements sportifs, dans un contexte de réchauffement climatique. (Crédits : DR)

Le 30 novembre dernier, la candidature des Alpes françaises 2030 créait la surprise en étant retenue comme seule et unique finaliste de la première phase de sélection du Comité internationale olympique (CIO).

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Devançant la Suisse et la Suède, la France est donc entrée dans un processus de « dialogue ciblé » avec le CIO qui s'est traduit par des échanges réguliers afin d'améliorer le dossier français et le faire correspondre aux attentes de l'entité décisionnaire. Ce, jusqu'au dépôt final d'un dossier fin mars, avec une dernière échéance en avril annoncée par Laurent Wauquiez. Mais peu de doutes planent aujourd'hui sur la confirmation de l'octroi des Jeux olympiques d'hiver 2030 aux Alpes françaises, avec l'organisation d'épreuves dans les Alpes du Nord et du Sud.

« On se lance dans la dernière ligne droite », a lancé Laurent Wauquiez, en ouverture de la soirée de présentation de cette candidature qui se tenait jeudi dernier à l'Hôtel de Région, à laquelle le président LR avait convié des soutiens et acteurs de la montagne. Objectif : appeler tout un chacun à « faire vibrer et gagner, aux Alpes françaises, cette candidature olympique. »

« En montagne notre réussite est collective » a asséné l'élu, pointant également un « esprit de cordée ». Des propos qui se veulent fédérateurs, autour d'une candidature parfois qualifiée « d'express » et qui n'a pas réellement donné la parole aux habitants. Aucune enquête publique n'a, en effet, été menée pour approuver ou non un tel projet.

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Pour soutenir ce message, se sont succédés au pupitre des champions olympiques parmi lesquels Carole Montillet, Anaïs Bescond ou encore Anthony Chalençon mais aussi deux élus locaux, à savoir les présidents LR des départements de la Savoie (Hervé Gaymard) et de la Haute-Savoie (Martial Saddier).

Hervé Gaymard est d'ailleurs revenu sur « les grandes avancées », en termes d'infrastructures qu'ont permis l'accueil des Jeux d'Albertville (1992), que ce soit au niveau des routes mais aussi des équipements sportifs, dont certains seront d'ailleurs réutilisés en 2030. L'occasion parfaite, pour les organisateurs, de rappeler que 95% des infrastructures nécessaires pour les JO 2030 existent déjà, dont le tremplin de Courchevel et la piste de Bobsleigh de La Plagne. Du matériel, vieux de trente ans, qui bien qu'entretenus, devra faire l'objet d'une rénovation avant d'accueillir à nouveau des sportifs de haut niveau. Silence cependant sur le projet de construction d'une patinoire à Nice.

L'accessibilité des stations en ligne de mire

Mais si Laurent Wauquiez cherche à s'inscrire dans la lignée historique des jeux précédents, en faisant référence « à la fierté d'aller chercher le retour de la flamme olympique »,  il prévient : « les Jeux de 2030 ne seront pas une copie de ceux de 1992 ». Pas question de « percer la montagne » , assène t-il, pour mieux souligner la volonté de réaliser des « Jeux durables ».

« Ce qui est fait n'est plus à faire, mais pour les Jeux à venir, il reste encore beaucoup à faire, notamment sur les accès ferroviaires, insiste Hervé Gaymard. A Saint-André-le-Gaz, Chambéry, Aix-les-Bains, Annecy, il y a un énorme chantier à réaliser en termes de doublement des voies des itinéraires de croisement. Un travail qu'il faut poursuivre aussi de Montmélian jusqu'à la Tarentaise ». Le tout, en offrant « un accès durable et décarboné » aux touristes, sportifs et aux habitants.

Pour Laurent Wauquiez, cela se traduira par le déploiement des ascenseurs valléens comme celui qui ouvrira au printemps 2024 à Saint-Gervais (Haute-Savoie). « Je veux qu'on montre la possibilité de venir dans nos stations en empruntant le train et ensuite prenant des ascenseurs valléens. On va travailler sur Brides-les-Bains, l'ascenseur valléen de Bozel. On laisse les voitures en bas et on monte avec des solutions qui sont décarbonées. »

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Le président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes met également en avant le développement de l'hydrogène sur le volet des transports ainsi que des dameuses. Une solution actuellement testée par GCK, spécialiste du retrofit, à l'Alpe d'Huez (Isère).

La Compagnie des Alpes n'a pas attendu cette candidature pour entamer cette transition. Dès 2021 des navettes électriques ont été testées à Tignes et Val d'Isère (Savoie) avec succès, témoigne Patrick Martin, maire de Val d'Isère. Des dameuses électriques ont également été commandées.

Un laboratoire d'innovation pour la montagne

Avec sa vision d'une « écologie positive », l'élu de la Région AuRA cherche à combattre le « montagne bashing et le ski bashing » qui pèserait sur le secteur. Comment ? En présentant cette candidature comme l'opportunité de faire de la montagne, « l'exemple de tout ce qu'on peut faire en terme d'environnement ». Une stratégie qui repose sur : l'innovation.

« Je souhaite qu'à l'intérieur de notre candidature, il y ait un fonds pour l'innovation qui nous permettre de tester des solutions innovantes pour l'isolation de nos bâtiments, produire de l'énergie différemment, travailler avec les entreprises pour avoir du matériel qui soit zéro émission de CO2, l'accès à nos stations », poursuit-il.

Les sites des Alpes du Nord et du Sud auront six ans devant elles pour mener de front l'ensemble de ces enjeux avec un double objectif, évoqué tout en finesse : des retombées économiques et médiatiques fortes, dans un contexte compliqué d'adaptation au changement climatique. Une transition difficile à opérer pour certains acteurs, comme en témoigne le rapport de la Cour des comptes publié début février sur le sujet.

Reste une question primordiale : celle du temps pour réaliser tous ces projets. Interrogé sur le sujet, Laurent Wauquiez se veut confiant : « On nous a dit qu'on n'arriverait pas à candidater, on y est arrivés », rétorque t-il, sous-entendant que rien n'est impossible.

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Si le projet, présenté comme exemplaire, a recueilli quelques applaudissements d'adhésion, l'impact réel d'un tel événement sur l'environnement et le développement économique des stations suscitent de nombreuses questions et tensions.

Le collectif NO JO fédère les oppositions

De Nice à la Haute-Savoie, les oppositions au projet d'accueillir les JO au coeur des Alpes françaises s'organisent elles aussi. Notamment autour du Collectif No JO, qui fédère, de manière relativement informelle, associations, syndicats, partis politiques mais également citoyens opposés au projet. Celui-ci tenait justement une réunion d'information à Chambéry vendredi dernier en présence de plusieurs acteurs et associations environnementales.

« Tout le monde peut participer, du moment qu'on adhère à la tribune que nous avons publiée à l'automne. C'est notre colonne vertébrale », explique José Pluki (pseudonyme), l'un des porte-paroles du collectif, interrogé par La Tribune.

« On regroupe des gens qui ont l'habitude de modes d'actions diverses : manifestations, recours juridiques, actions coups de poing, etc, explique José Pluki. No JO permet de coaliser les gens, de coordonner, mais chacun reste libre de ses modes d'actions ! »

Le collectif No JO se décline également avec des comités locaux dans tous les départements. Réunions publiques, cafés-débats, conférences... Chaque semaine, des événements sont organisés sur le territoire des deux régions concernées par l'accueil de l'événement pour maintenir la pression et battre le pavé.

Sans adhésion, il est difficile de chiffrer précisément le nombre de membres du collectif. José Pluki l'estime à environ 500 personnes, alors que 5.000 personnes ont signé la pétition No JO. « Quand on fait un tractage ou des actions, on sent qu'on a une vraie sympathie de la part de la population », précise-t-il. « Même des gens qui aiment les JO, des sportifs, nous disent : pas ici, pas chez nous ».

« Aucune étude sérieuse, aucun élément concret »

Chez les opposants, deux arguments principaux se chevauchent : avec d'un côté, ceux qui dénoncent le coût d'un tel événement dans une période de restriction budgétaire, et de l'autre, deux qui se préoccupent des enjeux climatiques.

« Les JO verts, c'est un mythe, comme les frappes chirurgicales ou la torture respectueuse, tranche José Pluki. Sur un événement qui mobilise plusieurs millions de personnes, on ne pourra pas les faire venir en train ! »

Autre point de colère : le manque de démocratie et l'absence de consultation de la population, avant que les élus ne présentent la candidature au CIO.  « Ce qui nous dérange, appuie Michel Levy, membre du Comité d'administration de FNE 73, c'est qu'il n'y a pas eu de travail de concertation en amont. Les JO ont été sortis comme d'un chapeau par Laurent Wauquiez et Renaud Muselier ». Certains réclament ainsi un référendum auprès des habitants des deux régions - ou à minima des temps d'échanges.

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« On ne nous a présenté aucune étude, ajoute Michel Lévy. Les chiffres donnés concernant les frais ont été évalués à la louche, sans aucune étude sérieuse, sans élément concret ! Economiquement, on sait que cela risque de coûter beaucoup plus cher » que l'enveloppe de 1,5 milliard d'euros estimée. Il craint, par exemple, que le CIO réclame des mises aux normes ou des ajustements sur les équipements devant être réutilisés.

Au-delà de l'impact même des jeux, les associations s'interrogent sur la portée symbolique de l'organisation d'un tel événement. « Quand on parle Jeux olympiques d'hiver, on parle d'activités liées au ski et à la neige. Nous pensons que ce n'est pas forcément une bonne idée de continuer à entretenir dans l'esprit des gens que ces activités vont être éternelles ! », prévient Martine Noraz, co-présidente de l'association Vivre & Agir en Maurienne.

« Notre principale crainte, c'est que ces jeux freinent les transitions dans les Alpes »

« Il faut se demander la pertinence d'organiser encore des jeux d'hiver fondés sur la neige en 2030, alors qu'on sait que les Alpes se prennent en pleine figure les effets du dérèglement climatique, appuie Fiona Mille, présidente de Mountain Wilderness. Nous avons besoin de diversifier notre économie, de se projeter sur d'autres solutions, mais finalement, on se donne comme vision les sports d'hiver en 2030 ! Notre principale crainte, c'est que ces jeux freinent les transitions dans les Alpes ». En finançant les JO, les enveloppes ne seront pas déployées sur d'autres sujets qui tiennent à cœur aux associations.

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Avec, à plus court terme, une grande question : « Et s'il n'y a pas de neige, qu'est-ce qu'on va faire ?, s'interroge Michel Lévy, de FNE 73. Pomper à outrance pour avoir de l'eau pour faire fonctionner les canons ? Cela risque de faire ressurgir des projets de bassines ! Ou faire venir de la neige en camion ? »

Alors que des stations comme le Grand Bornand manquent déjà parfois de neige en 2024, les associations se disent qu'en 2030, la situation pourrait être encore plus compliquée. « Il est peut-être temps de repenser l'approche olympique et le sport de haut niveau, appuie Fiona Mille. La montagne évolue, le contexte aussi. Nous aussi, il faut qu'on évolue, en restant connectés au milieu naturel ».

Des réflexions qui remettent sur la table l'épineuse question de l'organisation d'événements sportifs dans un contexte de réchauffement climatique en pointant le drapeau de la « durabilité » sans l'associer à la moindre mesure ni aux éventualités d'un climat défavorable.

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Commentaires 4
à écrit le 03/04/2024 à 21:36
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Si la Suisse et la Suède sont candidats, pourquoi vouloir les frustrer ? Soyons aimables. :-) Prochains JO d'hiver en Suisse, et les suivants en Suède. Åre est une station de ski avec quantité de pistes. La plus ancienne et la plus importante station...

à écrit le 03/04/2024 à 19:34
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Encore un bel exemple de mégalomanie de LW! Et une belle augmentation de la fiscalité locale en perspective ! Sans compter le coût environnementale de l'opération. Mais ça il s'en moque. C'est juste une tribune pour se valoriser face à son grand dest...

à écrit le 03/04/2024 à 15:24
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Avant de se lancer dans cette aventure, il serait préférable de voir les résultats (économiques, sécuritaires, ...) de ceux de Paris

à écrit le 03/04/2024 à 14:11
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Quel sera le niveau d'enneigement en 2030? A moins d'un "coup de bol" extraordinaire au vu de l'enneigement de ces dernières années c'est mal barré. Déjà, pour les JO de Grenoble en 1968, le ballet des camions pour le transport de la neige et des m...

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