Changement climatique : les acteurs de la montagne vent debout face au rapport de la Cour des Comptes

Le rapport de la Cour des Comptes sur l'adaptation au changement climatique des stations de ski promettait déjà de faire du bruit : il n'aura fallu qu'une heure aux trois principaux acteurs de la montagne française pour contre-attaquer. Selon eux, l'institution de la rue Cambon est restée « sourde » aux réalités du terrain.
La Cour des comptes a publié, mardi 6 février, un rapport sur l'adaptation au changement climatique des stations de montagne françaises.
La Cour des comptes a publié, mardi 6 février, un rapport sur l'adaptation au changement climatique des stations de montagne françaises. (Crédits : DR/Cluster Montagne)

Ils sont trois poids lourds de l'industrie de montagne (l'Association nationale des élus de montagne (ANEM), l'Association nationale des maires des stations de montagne (ANMSM) et Domaines skiables de France (DSF), et comme souvent, ils font front commun face aux enjeux de leur industrie.

Ce fut déjà le cas lors de la crise Covid-19, lorsque le gouvernement avait décidé unilatéralement de fermer les remontées mécaniques, ou encore en octobre 2022 lors d'un précédent rapport de la CRC Auvergne Rhône-Alpes, qui questionnait déjà la répartition des aides du « quoi qu'il en coûte » aux stations de ski françaises.

À nouveau, les principaux représentants de cette filière sont vent debout, mais cette fois face aux conclusions du rapport présenté ce mardi par la Cour des comptes et ses cinq chambres régionales sur l'adaptation au changement climatique.

Lire aussi Adaptation des stations de ski au changement climatique : le rapport accablant de la Cour des comptes

Le document fleuve de 147 pages, présenté comme un support au « débat mais aussi aux politiques publiques », est accablant : il juge ainsi que le modèle des stations de ski françaises, hérité des années 1960 et 1970, s'essouffle et ne serait plus à la hauteur des enjeux climatiques. Ou encore que « la mobilisation de ressources financières importantes en faveur de la production de neige est au contraire susceptible d'entretenir un sentier de dépendance au ski, ne laissant que peu de place à l'invention d'alternatives ».

Il instaure également l'idée d'une « conditionnalité écologique » des aides publiques versées aux stations de ski, ainsi que celle d'une taxe basée sur les remontées mécaniques des stations, afin de financer un fonds d'adaptation climatique.

Une « profonde déception » partagée

Pour les trois organismes représentant les professionnels du secteur*, le premier sentiment est avant tout une profonde « déception » partagée à la lecture de ce document très attendu. Car, à deux reprises, ils avaient été consultés par les magistrats, « qui n'ont pas tenu compte des arguments que chacun présentait », remarque Pascale Boyer, députée Renaissance des Hautes-Alpes et présidente de l'association nationale des élus de montagne, rassemblant 3.500 communes et intercommunalités.

« Les stations y sont critiquées au motif, pour l'essentiel, que leur modèle économique et social repose en grande partie sur le ski alors que l'enneigement naturel est appelé à se raréfier dans les prochaines décennies. L'ANEM, l'ANMSM et DSF ont donc choisi de s'exprimer ensemble pour apporter la vision du terrain que la Cour des Comptes a écartée dans son rapport », justifient ainsi les trois acteurs, dans un texte commun.

Les trois organismes portent ainsi plusieurs revendications face au travail réalisé, tant sur le fond que sur la forme : selon eux, la plus haute juridiction financière de l'Etat minimiserait ainsi dans son travail de recueil « de manière importante l'effort d'adaptation des stations engagé depuis de nombreuses années », notamment en direction des activités quatre saisons.

Pascale Boyer détaille ainsi le contexte actuel de « transition économique du système » : « Il faut une diversification des activités, déjà amorcée dans les stations. Mais si c'était facile, ce serait déjà fait : cela nécessite des investissements, des activités à trouver, permettant aussi d'amener à l'équilibre. Des activités qui répondent aussi bien à la transition écologique qu'au modèle économique. D'où une véritable complexité. »

L'élue dit militer depuis plusieurs années pour un « Plan Avenir Montagne 2 », comprenant une vision globale sur la transition écologique et notamment les transports - point sur lequel elle s'accorde avec la Cour des comptes.

En revanche, elle regrette aussi la composition du tout nouveau score de vulnérabilité des stations, qui ne tiendrait « pas compte de la résilience des stations aux changements climatiques ». Un tableau d'évaluation économique et écologique de 42 stations de montagne qu'Alexandre Maulin, président de Domaines skiables de France, et Jean-Luc Boch, maire de La Plagne-Tarentaise et président de l'ANMSM, jugent même « fallacieux » : « La station des Aiguilles, dans les Alpes du sud, serait en "grand danger". Mais cela fait plus de dix ans que le domaine est fermé... », relève Alexandre Maulin.

Plus globalement, les trois organisations déplorent que ce rapport passe sous silence « l'engouement persistant des clientèles pour les sports de neige, et plus généralement pour la montagne, ni des projections scientifiques très différenciantes qui tiennent compte des savoir-faire modernes de travail du manteau neigeux et qui améliorent considérablement la tenue des pistes de ski ».

Partage de l'eau et neige de culture

De même, les divergences concernent la neige de culture, produite grâce à de l'électricité à partir d'eau captée par des retenues collinaires. Neige utilisée par de très nombreuses stations de montagne, mais aussi pour des compétitions de ski.

À ce sujet, la Cour des comptes et son antenne régionale, la CRC Auvergne Rhône-Alpes, assumaient notamment que « dans certains cas, la production de neige peut tendre vers une mal-adaptation  », estimant notamment que les nouvelles générations d'enneigeurs pouvant fonctionner sous des températures positives feraient ainsi partie de cette catégorie.

C'est sur ce point, Alexandre Maulin va jusqu'à pointer ce qu'il nomme comme « un certain dogmatisme » :

« J'ai entendu Pierre Moscovici parler de "problèmes de conflits d'usage" de matin. J'aimerais que l'on m'explique où. Nous n'en connaissons pas. En Savoie par exemple, 0,1 % de l'eau est prélevée pour la neige. Cette eau est ensuite restituée à la montagne avec quelques mois d'écart. Elle retourne dans les vallées, retourne irriguer. (...) Une installation de neige de culture, c'est pour vingt ans, alors dire que ce sont des erreurs d'investissement pour l'avenir... Il y a, et nous les avons partagées, des données scientifiques, des études, territoire par territoire, qui démontrent la pérennité de l'accompagnement pendant plusieurs décennies, grâce au ski... », avance le président de Domaines skiables de France.

Face à la sensibilité de ces enjeux, en raison de la place de l'économie touristique dans les territoires de montagne, les magistrats recommandent notamment d'actionner plusieurs leviers en direction de la transition écologique. Et notamment un « fonds d'adaptation », alimenté par une nouvelle taxe sur les domaines skiables (la moyenne des forfaits s'élevant aujourd'hui à 56 euros par jour).

À nouveau « une ineptie » s'emporte Jean-Luc Boch, maire de La Plagne-Tarentaise et président de l'ANMSM, en croisade contre ce qu'il nomme le « ski-bashing » : « Nous sommes capables d'avoir une industrie qui autofonctionne, mais l'Etat veut la casser ». Même subventionnée entre 23 et 28 % par le contribuable selon les magistrats ?

« Les communes mettent de l'argent dans les domaines skiables. Mais toutes les communes de France ne travaillent-elles pas à perte lorsqu'elles ont une piscine publique ? (...) Nous oublions que le ski, c'est aussi un modèle social, c'est développer tout une économie interne au pays. Pensons aux AOC, aux AOP : le tourisme revalorise aussi le prix du lait. Et sans le ski alpin, les clients ne viendraient pas ».

Au creux de la vague ?

Enfin, pour ces professionnels, le rapport de la Cour ne serait au contraire « pas représentatif » de l'ensemble du tissu des stations de ski, comme cela est évoqué, le panel choisi étant « construit à partir de 42 stations, en large majorité petites et moyennes ». Sans tenir compte donc, selon ses propres acteurs, « de la diversité des situations dans les massifs français qui comptent à ce jour 320 stations de montagne ». Avec comme enjeu entre les lignes, la vulnérabilité même de ces massifs, plus ou moins touchés par le changement climatique en fonction de leur localisation géographique mais aussi de leur altitude.

Pour autant, il ne s'agit pas de rejeter « une approche globale », assure Pascale Boyer, qui prône « une transition de l'ensemble des acteurs grâce à des approches concertées ». Exemple, selon l'élue des Hautes-Alpes (département comptant le plus de « stations vulnérables » d'après la Cour des comptes), avec le programme « Villages d'avenir », afin d'aider directement les petites communes dans leurs projets.

Comme pour atténuer le « creux de la vague » pour les plus petites communes - là où la saison hivernale 2024 a paradoxalement enregistré une forte fréquentation sur l'ensemble des massifs, notamment en altitude, grâce aux voyageurs étrangers et à une montée en gamme des prestations. Pour Fiona Mille, présidente de l'association dite « de sauvegarde de la montagne » Mountain Wilderness : « les pouvoirs publics ont un rôle central à jouer pour accompagner les territoires dans ces transitions ».

« L'argent public doit aider le changement plutôt que de s'enfermer dans des solutions court-termistes. Ce rapport (de la Cour des comptes) pose des questions fondamentales et devrait être soumis au débat dans l'ensemble des territoires de montagne. »

« On n'a pas trouvé la solution miracle »

Territoires dont les représentants professionnels regrettent également que, compte-tenu de ses pouvoirs d'investigation étendus, la Cour des comptes « aurait pu faire apparaître les forces tout autant que les faiblesses d'un modèle qui, s'il doit certes évoluer, n'est pas sur le point de disparaître ».

Et c'est probablement là aussi que le bas blesse : questionnée à ce sujet plus tôt ce mardi, concernant notamment sa vision du nouveau modèle que pourraient revêtir le tourisme de montagne, l'institution financière, par l'entremise de son premier président Pierre Moscovici et du président de la CRC Auvergne Rhône-Alpes, Bernard Lejeune, ont reconnu ne pas avoir de réponse précise à donner à ce sujet.

« Les montagnards sont des gens qui connaissent leur territoire et ils ont des idées. On s'est positionné plutôt du côté des outils et des méthodes de gouvernance. (...) On n'a pas trouvé la solution miracle », ajoutait ce dernier. Il résumait d'ailleurs une phrase d'un acteur de la montagne dont il n'a pas souhaité citer le nom : « On sait qu'on doit lâcher la barre du trapèze, mais on ne voit pas vraiment celui qui arrive, on ne sait pas quel est-il exactement ».

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