Pour décarboner ses mobilités, Saint-Gervais-les Bains opte pour un ascenseur valorisant les eaux usées

Dès ce printemps, touristes, salariés et habitants de Saint-Gervais-les-Bains (Haute-Savoie) pourront utiliser un équipement qui n’existe pas encore en France : un ascenseur incliné qui s’appuiera sur les eaux usées pour alléger sa consommation énergétique. Cet équipement s’inscrit dans un projet plus global d’aménagement de la station haut-savoyarde, avec, au même horizon, la mise en service d’un ascenseur valléen qui reliera la gare SNCF de la commune jusqu’au bourg, puis jusqu’au front de neige.
L'ascenseur incliné fonctionnera avec les eaux usées de la commune.
L'ascenseur incliné fonctionnera avec les eaux usées de la commune. (Crédits : DR)

C'est une première en France. C'est aussi une première pour Poma, le spécialiste français du transport par câble (432 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2022 ; 1.500 salariés). Et ce sera le deuxième équipement de ce type dans le monde, après Fribourg en Suisse.

Dès la prochaine saison estivale, touristes et habitants de la station de ski haut-savoyarde de Saint-Gervais-les-Bains (5.730 habitants) bénéficieront d'un nouveau mode de déplacement qui permettra de relier le hameau du Fayet au centre de la commune grâce à un ascenseur incliné, lesté aux eaux usées.

Cet équipement permettra aux utilisateurs (jusqu'à 16 passagers simultanés) de franchir en cinq minutes, une distance de 250 mètres affichant un dénivelé de 177 mètres (soit 44 degrés de pente, c'est-à-dire une pente très raide).

Montant de l'investissement : 5,1 millions d'euros, financé à hauteur de 1,98 millions par la commune, 1,5 million par le Département de la Haute-Savoie, 1 million par la Région AuRA, 414.000 euros par le fonds européen Feder et 200.000 euros par l'État dans le cadre du Plan Avenir Montagne.

Les eaux usées utilisées comme force motrice

L'ascenseur incliné de Saint-Gervais s'appuiera sur une technologie hydraulique ancienne, utilisée par les scieries, les moulins, et basée sur un système de ballast.

Une technique encore en service dans certaines villes européennes, par exemple à Budapest pour ses funiculaires, à Braga au Portugal ou en France pour le téléphérique de Salève en Haute-Savoie.

Comment ça fonctionne ? La cabine est lestée afin de créer un déséquilibre de poids permettant d'enclencher la montée de la cabine grâce à un contrepoids. A la clé : une économie d'énergie puisque le contrepoids assure, tout ou partie, de l'effort demandé à la cabine.

A cette technologie déjà connue, Saint-Gervais-les Bains ajoute une brique différenciante : le lest générant cette force motrice sera assuré non pas par des eaux claires mais par les eaux usées de la commune.

Poma, mandataire de ce marché de conception-réalisation, a travaillé avec plusieurs partenaires pour mettre au point ce dispositif, nécessitant des connexions et vannes absolument étanches pour éviter les mauvaises odeurs malgré une position légèrement fluctuante de la cabine en fonction du nombre de passagers : Remind Architecte, Mauro, Profils études pour les réseaux d'eaux usées, et STM Pugnat pour le viaduc et le système électromécanique.

« L'ascenseur est monté sur un châssis intégrant une cuve à eau. Cette cuve sera remplie d'eaux usées en station amont et se videra gravitairement en station aval dans le réseau d'eaux usées, de manière complètement autonome, sans aucune intervention humaine. Par un jeu de contrepoids, ce système permettra de réduire l'énergie nécessaire à la remontée de la cabine », explicite Chloé Ouvrier-Buffet, cheffe de projet technique pour Poma.

En gare amont, un réservoir de 20 m3 a ainsi été construit afin de stocker suffisamment d'eaux usées pour faire fonctionner l'ascenseur sans interruption. « Ce volume d'eaux usées est normalement largement atteint en une nuit », ajoute Chloé Ouvrier-Buffet.

Comme pour un ascenseur traditionnel, les usagers n'auront qu'à appuyer sur un bouton pour appeler la cabine. Les travaux sont sur le point de s'achever, les premiers essais devraient avoir lieu en mai prochain, pour une mise en service pour la saison estivale. Le service sera gratuit pour les utilisateurs, avec un budget de fonctionnement annuel de l'ordre de 60.000 euros à charge de la commune.

« Ce projet va nous permettre de réconcilier les deux parties de notre territoire. Actuellement, pour les habitants du hameau du Fayet (2.000 habitants environ), il leur faut parcourir six kilomètres par la route pour rejoindre le centre-ville et les thermes. Cet équipement permettra de briser les barrières physiques qui existaient jusqu'ici en permettant à tous d'accéder aux différents étages de notre commune, et donc à tous les services, grâce à une mobilité propre », insiste Jean-Marc Peillex, le médiatique maire LR de Saint-Gervais les Bains, par ailleurs président de la communauté de communes du Pays du Mont-Blanc.

L'élu revendique le déploiement de nouveaux modes de déplacement, « pour ne pas tomber dans le piège consistant à se concentrer uniquement sur le développement de véhicules propres ». Cet ascenseur « des thermes » ne constituant ainsi, en réalité, qu'une des briques de sa stratégie globale en la matière.

Décarboner les liaisons vers la montagne

Un autre projet, de grande envergure, est déployé en parallèle. Il s'agit cette fois encore d'un ascenseur, mais cette fois-ci d'un « ascenseur valléen ». Ce terme générique désignant un transport par câble reliant une vallée à, généralement, une station de ski.

Ici, il s'agira d'une liaison, fournie par Poma encore, qui reliera à terme la gare SNCF du Fayet à la télécabine du domaine skiable du Bettex - Saint-Gervais, avec deux gares intermédiaires, sans rupture de charge. En chantier depuis mi-2023 sous la houlette de la STMBA (société délégataire des remontées mécaniques du Bettex Mont d'Arbois), le premier tronçon, entre la gare SNCF du Fayet et le secteur du Chatelet, sera normalement opérationnel lui aussi cet été.

Lire aussi Changement climatique : les acteurs de la montagne vent debout face au rapport de la Cour des Comptes

Cet ascenseur, en projet depuis de nombreuses années, vise à désengorger une route départementale surchargée aux heures de pointe et pendant la haute-période touristique. Avec des télécabines d'une capacité de 10 personnes, le débit total par heure pourra grimper à 1.600 personnes transportées. Objectif : 125.000 voyageurs par an, afin de réduire le trafic routier de 25% selon les estimations du maire de Saint-Gervais-les Bains.

« L'ascenseur à eaux usées cible les promenades. Cet ascenseur valléen est, lui, destiné à du transport public : les travailleurs, les étudiants, les touristes etc. L'ambition est bien d'offrir une vraie alternative décarbonée sur le maillon du dernier kilomètre, ce dernier maillon qui est si difficile à desservir autrement qu'en voiture dans nos territoires de montagne et qui représente un frein aux voyages en train jusqu'aux vallées », relate Jean-Marc Peillex.

Ce premier tronçon sera complété, fin 2024, par une nouvelle télécabine sur la liaison le Bourg/Bettex, liaison déjà desservie par un équipement vieillissant, datant de 1985. L'ensemble du projet est estimé à 45 millions d'euros (dont les 5 millions de l'ascenseur à eaux usées), près de la moitié étant apporté par le Département de Haute-Savoie, 9 millions par la Région et environ 10 millions par la STMBA qui établira une tarification pour ce service.

Lire aussi Funiflaine : avis de décès d'un ascenseur valléen emblématique pour l'industrie du ski

Les ascenseurs de Saint-Gervais font toutefois l'objet de plusieurs recours déposés notamment par France Nature Environnement Haute-Savoie et l'association locale Agir Eco Raisonnable. Les jugements sur le fond n'ont pas encore été rendus.

« Le projet est financé par d'importants fonds publics. Pourtant, pour répondre aux besoins de mobilité de l'ensemble des habitants, l'aménagement du tramway du Mont-Blanc en tramway urbain serait une solution plus ingénieuse, permettant de surcroît d'éviter des dommages environnementaux additionnels », indique ainsi l'organisation, dénonçant par ailleurs la volonté des porteurs de projet d'avancer vite, sans attendre les décisions de justice. « Les leçons de la microcentrale de Sallanches, jugée illégale par la justice après sa réalisation, n'ont pas été apprises. La sagesse voudrait d'attendre le verdict de la justice avant de lancer les travaux et d'engager de telles dépenses d'argent public ».

Lire aussi Haute-Savoie : un projet de centrale hydroélectrique annulé en justice pour protéger la biodiversité

Jean-Marc Peillex assume : « C'était une promesse de campagne et j'ai été élu avec 80% des voix. Ce projet est soutenu par la majorité des habitants ».

Dans une stratégie régionale de développement des ascenseurs valléens, encouragée et portée par la région Auvergne Rhône-Alpes, notamment dans le cadre de la candidature aux Jeux Olympiques 2030, l'ascenseur valléen de Saint Gervais sera le premier de cette nouvelle génération d'équipements en émergence. Une dizaine serait en projet dans les Alpes. Sollicitée, la Région n'a pas donné suite à nos demandes de précisions sur ses ambitions en la matière.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 2
à écrit le 12/02/2024 à 19:55
Signaler
Eiffel avait prévu l'usage de l'eau pour faire grimper (et redescendre) les visiteurs de sa Tour, mais on trouve souvent toutes ces techniques anciennes dépassées, préhistoriques. Pour un ascenseur, le contrepoids a le poids de cabine vide + la moit...

à écrit le 12/02/2024 à 15:02
Signaler
Cela s'appelle un funiculaire et il y en a un au centre de Paris pour grimper a la Butte-Montmartre et au Sacré-Coeur !

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.