Dans ce dossier, qui compilait les données de près de 42 stations, réparties sur différents massifs (les Alpes, les Pyrénées, le Massif central et le Jura) et jugées représentatives de la diversité des situations rencontrées, la Cour des comptes se voulait particulièrement sévère face à l'économie « du tout ski », en pointant le fait que les politiques d'adaptations menées jusqu'ici par les domaines skiables reposent encore essentiellement sur la production de neige.
« Toutes les stations de ski seront plus ou moins touchées à horizon 2050 », affirmait ce document, rappelant que « seules quelques stations » pourraient espérer poursuivre une exploitation au-delà de cette échéance.
La Cour des comptes y formulait également une série de recommandations, allant de la nécessité de « bâtir de véritables plans d'adaptation au changement climatique » de « conditionner » le soutien des financeurs publics au contenu (écologique) de ces plans, à celle de créer un « fonds d'adaptation au changement climatique destiné à financer les actions de diversification et de déconstruction des installations obsolètes » pouvant être alimenté « par le produit de la taxe sur les remontées mécaniques ». Ou encore de « faire évoluer le cadre normatif afin que les autorisations de prélèvements d'eau destinés à la production de neige tiennent compte des prospectives climatiques ».
Un document qui alimente le débat
A l'heure où les études scientifiques se succèdent en prédisant une baisse de l'enneigement, consécutive à la hausse mondiale des températures d'ici à 2050, la Cour des comptes l'assumait d'ailleurs elle-même : ce rapport aura vocation à « alimenter le débat et la décision publique ».
C'est désormais plus que chose faite, puisqu'après plusieurs semaines où les acteurs de la montagne ont ruminé leur colère en estimant ce document injuste, la riposte vient de prendre une autre forme : le principal syndicat des remontées mécaniques, Domaines Skiables de France (DSF), vient d'adresser un courrier de 18 pages directement au Palais Cambon ce vendredi 15 mars afin de demander une « rectification du rapport définitif de la Cour ».
Tout en reconnaissant que cette publication était « attendu(e) par notre profession, car susceptible de constituer une référence solide pour poser le cadre de réflexion adapté aux stations de montagne face au changement climatique », DSF estime que « loin de fournir la trame complexe et nuancée attendue », celle-ci « comporte un certain nombre d'inexactitudes et d'appréciations discordantes avec les situations observées sur le terrain par les Chambres Régionales elles-mêmes, qui in fine jettent le discrédit sur la filière tout entière ».
Et d'ajouter que ce document « nuit autant à la qualité du débat qu'à la réputation de la Cour des Comptes et à celle des stations. »
En pointant « la diffusion d'éléments erronés en plein milieu de la saison hivernale », DSF demande désormais lui-même des comptes à la plus haute juridiction financière de l'Etat concernant plusieurs points : et en premier lieu concernant « l'appréciation indifférenciée de la situation des stations de montagne face au changement climatique » qu'il n'a pas digéré.
Des interprétations jugées « erronées »
Car selon Domaines skiables de France, « le panel de 42 stations étudié par les Chambres Régionales appartenant à la Formation Interjuridictionnelle comportait 16 stations de taille grande ou très grande, dont les rapports individuels sont en règle générale très favorables. Il existe 59 stations en France qui appartiennent à cette catégorie des stations grandes ou très grandes (...) qui concentrent 80% de la fréquentation nationale des domaines skiables ».
Le fait que « quelques stations » puissent « espérer poursuivre l'exploitation au-delà de 2050 » suscite également l'ire de DSF. En s'appuyant sur des études du CNRS et de l'INRAE qui ont débouché sur les simulations « Climsnow », le syndicat des remontées mécaniques rappelle que « pour mémoire, les stations grandes et très grandes sont au nombre de 59 en France et elles représentent 80% de la fréquentation. Elles ne sont, du reste, pas les seules à pouvoir espérer poursuivre l'exploitation au-delà de 2050 puisque selon les publications des scientifiques (...), à +2°C (donc en 2050), sur les 143 stations des Alpes françaises, seulement 10 auraient un fort risque de mauvais enneigement (29 à +3°C) ».
Parmi ses trois principales revendications, figure également le sujet de l'eau, et notamment du calcul des volumes d'eau prélevés pour la neige de culture, ainsi que du calcul du score de vulnérabilité, dont les méthodes de calcul sont réfutées par la filière des remontées mécaniques.
« Il n'y a pas lieu de rapporter le volume d'eau prélevée pour la neige de culture à une seule petite fraction des prélèvements de la Savoie comme le fait la Cour des Comptes en excluant de la base de comparaison certains prélèvements eux aussi économiques et eux aussi restitués au milieu naturel après prélèvement », estime par exemple DSF, qui conteste le chiffre estimant que la neige de culture « représenterait environ 8 % des prélèvements en eau » sur le département de la Savoie. « Rappelons que l'eau prélevée pour la neige de culture est transformée en neige et redevient de l'eau quand la neige fond sur le bassin versant. Il ne s'agit pas d'une consommation », ajoute le syndicat des remontées mécaniques, pour qui le volume ainsi calculé se situerait plutôt « en dessous des 0,1% des prélèvements totaux du département ».
S'il réfute « une simple bataille de chiffres » tout comme une question « purement politique », le président de DSF, Alexandre Maulin, affirme à La Tribune : « La seule chose que nous demandons, c'est que ce rapport s'appuie uniquement sur des éléments factuels sur l'eau, l'enneigement, l'accompagnement public, qui ne sont pas des données issues d'ailleurs de DSF, mais par des organismes comme la Préfecture, le CNRS, l'INRAE... On ne peut pas entendre qu'une institution comme la Cour des comptes soit dans l'approximation et puisse jeter le discrédit sur une profession ».
Une méthodologie déjà contradictoire, mais...
Face à lui, la méthodologie utilisée par la Cour des comptes se voulait pourtant « transparente » et surtout « contradictoire », comme le rappelait l'institution dans sa présentation à la presse début février : en choisissant de joindre à chaque rapport les réactions des acteurs concernés sur 34 pages, la principale juridiction financière française estimait ainsi équilibrer le débat. Insuffisant pour DSF, qui réclame que la présentation des chiffres et leur contexte soit amendé au sein même du document initial.
« Nous avons eu connaissance de précédents, dans d'autres domaines, qui permettent de réaliser de telles corrections. Nous savons également qu'il est possible, en cas de non-recevoir, de saisir une juridiction plus haute (le Conseil d'Etat, ndlr), même si ce n'est pas notre objectif », laisse entendre Alexandre Maulin.
Contactées, la Cour des comptes ainsi que la Chambre régionale des comptes (CRC) Auvergne Rhône-Alpes, qui co-présidait cette étude, n'ont pas émis de réponse à ce stade. La lettre recommandée devrait arriver sur leur bureau en ce début de semaine.
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