Sports d'hiver : les stations des Alpes françaises vont-elles tenir le choc face aux crises ?

Dans les Alpes françaises, les villages-stations de sports d'hiver affichent dans l'ensemble des taux de réservation positifs à un mois des vacances de Noël. Mais à l'ouverture des pistes, les professionnels restent prudents face au contexte géopolitique qui fragilise l'arrivée de certaines clientèles étrangères, à l'inflation et au risque de faible enneigement, qui pourraient fragiliser la saison. Autant de défis et de transitions à amorcer pour l'économie des Alpes françaises.
Les premières trajectoires de réservations d'hébergements dans les Alpes rassurent les professionnels du tourisme, qui restent prudents face à l'inflation, à l'enneigement et au retour de la clientèle étrangère.
Les premières trajectoires de réservations d'hébergements dans les Alpes rassurent les professionnels du tourisme, qui restent prudents face à l'inflation, à l'enneigement et au retour de la clientèle étrangère. (Crédits : Savoie Mont Blanc Chabance)

Elles sortent de la dernière saison estivale avec un goût de satisfaction. Comme si la « transition » vers un modèle tout-saison était, pour certaines stations de montagne des Alpes, bien en route. Les villages de basse, moyenne et haute altitude s'apprêtent désormais à débuter l'hiver. Pensées par et pour le ski, qui reste l'activité prédominante et surtout le motif de déplacement de millions de vacanciers français et étrangers chaque année - 12 % des Français ont pratiqué au moins une fois le ski alpin en 2016, selon le pôle ressources national sports de nature, rattaché au ministère des sports - les stations font cependant face à plusieurs défis structurels et conjoncturels pour préserver l'activité touristique.

Selon l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) en 2014 : « La Savoie est le département le plus touristique de France par la richesse produite : le tourisme représente ainsi 14 % de l'activité économique savoyarde et 27 % de l'économie touristique régionale (2e région touristique française), devant le Rhône, plus diversifié économiquement ».

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C'est ainsi que de nombreux acteurs se montrent prudents en cette ouverture de saison. Si les taux de réservations sont bien « satisfaisants », avec une augmentation de 2,5 % entre Noël et les vacances d'hiver par rapport à 2022 selon l'étude de l'Observatoire national des stations de montagne (OSM) - ANMSM - Atout France, il faut malgré tout interpréter ces données avec recul et patience, relève Patrick Provost, président de l'OSM : « nous devons attendre la vague des vacances de Noël pour commencer à évaluer la tendance ». Pour Sébastien Buet, vice-président de l'UMIH Savoie et Haute-Savoie, organisation majoritaire auprès des hôteliers et restaurateurs : « Les taux de réservation à l'avance sont satisfaisants, parce qu'ils s'adressent à une clientèle d'habitués, de passionnés de la montagne ».

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Les Alpes du Sud ont la cote

Plusieurs variables peuvent en effet faire basculer les projections. À commencer par l'enneigement et la météo. Les températures de l'hiver 2022-23 étaient à ce titre élevées dans les Alpes, confrontant certaines stations de moyenne montagne à une absence d'enneigement (dont un exemple flagrant au Grand-Bornand, qui accueillait alors la Coupe du monde de Biathlon). D'autant qu'il faut conjuguer le facteur climatique avec le raccourcissement tendanciel des séjours depuis plusieurs années.

« Les séjours raccourcissent, de deux semaines à une certaine époque, puis à une semaine voire à quelques jours désormais. Certains clients font des kilomètres juste pour passer une nuit à la montagne ! La clientèle étrangère aussi se déplace pour des séjours courts, de trois ou quatre nuits », remarque Sébastien Buet, hôtelier à Évian-les-Bains (Haute-Savoie) et président de l'UMIH74.

S'il est encore trop tôt pour dessiner une tendance hivernale par secteur d'activités, par niveau de gamme et par vallée, il semblerait que les Alpes du Sud (Provence-Alpes-Côte-d'Azur) connaissent la plus forte croissance du nombre de réservations. L'OSM note en effet une croissance globale de 7 % entre Noël et les vacances d'hiver pour la partie méridionale des Alpes par rapport à 2022, et de 10 % pour la seule première semaine de janvier. En comparaison, cette croissance est de 2,5 % pour les Alpes françaises septentrionales et de 8 % au Nouvel An.

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Quelques éléments d'analyse sont présentés par Patrick Provost : les stations du Sud ont connu un meilleur enneigement l'année dernière. Elles sont également plus petites et familiales, et pourraient davantage attirer dans un contexte inflationniste. En revanche, un biais d'interprétation concerne le taux d'occupation des hébergements : si la croissance est plus importante dans les Alpes du Sud, le taux d'occupation des hébergements reste plus faible, comprise « entre 55 et 60 % » selon l'OSM, contre « 60 à 65 % » pour les stations des de Rhône-Alpes.

« Il nous faudra des données statistiques supplémentaires sur le comportement et la diversification par type de station. Mais nous voyons déjà qu'il n'y a pas de désengagement des moyennes stations vers les plus grandes, ni l'inverse », ajoute Patrick Provost.

En parallèle de ces grands enjeux, là où la montagne tente de résoudre l'équation du tourisme, sans la neige, l'année 2023 confronte également le secteur à l'inflation et au contexte géopolitique.

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« L'enjeu de rentabilité dépasse celui de l'attractivité »

Et pourtant, il semblerait que la hausse fulgurante des prix n'affecte pas le nombre de séjours, estime Patrick Provost. En revanche, « il y aura des arbitrages en raison de l'augmentation des tarifs pendant le séjour ». Selon le président de l'OSM, ils porteront autant sur les remontées mécaniques (« est ce qu'un forfait ski de six jours vaut le coup ? ») que sur les cours adultes, ou bien sur les consommations au restaurant.

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À ce titre, les forfaits « tout inclus » ont la cote, notent les professionnels. Tout comme les promotions et les offres de dernière minute. Du côté des restaurateurs, ce contexte difficile pose question.

Sébastien Buet décrit ainsi un « jeu d'équilibriste » où « l'enjeu de rentabilité dépasse celui de l'attractivité » : « Nos coûts sont toujours très significatifs, entre l'énergie, les matières premières et la rémunération du personnel ».

Le nombre d'établissements décline d'ailleurs progressivement, et de manière structurelle, selon le président de l'UMIH Haute-Savoie, qui l'attribue davantage aux faibles renouvellements entre générations, que par souci d'adaptation aux transitions à venir (activités hors ski) : « Nos clients ont toujours un besoin de nature, d'évasion. Les professionnels s'adaptent à l'évolution des habitudes. Les établissements de basse altitude trouvent des solutions. Finalement, l'équilibre est précaire, pour tout le monde ».

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Une clientèle étrangère « fidèle », mais sensible au contexte géopolitique

Surtout, une grande partie de la clientèle hivernale des stations alpines est étrangère. S'il est difficile de fixer un pourcentage - tant le profil des vacanciers varie en fonction de la typologie de chaque station de ski, au nombre d'environ 150 dans les Alpes, soit 70 % du maillage français - l'influent maire de La Plagne (Savoie), Jean-Luc Boch, aime à rappeler qu'environ 30 % des touristes sont étrangers. Le président de l'Association nationale des maires de stations de montagne (ANMSM) dépeint une clientèle proche-européenne (Grande-Bretagne, Belgique, Italie, Allemagne), qui caracole en tête avec des taux « comparables à 2019 ».

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L'opérateur Odalys Vacances vient à ce titre de publier son premier baromètre des « stations de ski vues par la clientèle européenne (Grande-Bretagne, Belgique, Pays-Bas, Allemagne, Italie) », réalisé avec l'institut d'études Made in Vote auprès de 1.500 personnes et sur les réseaux sociaux. Selon l'étude, 52 % des sondés ont choisi les stations françaises pour au moins un séjour à la montagne en hiver au cours des cinq dernières années. Ce qui fait de la France le deuxième pays le plus attractif, derrière l'Autriche (62 %). Surtout, le premier argument tricolore concerne l'étendue des domaines skiables (pour 71 % des sondés). De même, 7 personnes sur 10 déclarent avoir passé des vacances plusieurs fois dans les stations françaises (ex-aequo avec l'Autriche). En revanche, la notation de l'Hexagone aux critères de rapport qualité/prix (45%), d'atmosphère/authenticité (29%) et de qualité des hébergements (49%) fait pâle figure à côté de l'exemple italien, qui arrive en quatrième position des destinations privilégiées, derrière la Suisse.

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À l'inverse, la guerre en Ukraine a bien entendu gelé le tourisme en provenance de Russie. Pour Sébastien Buet, les conséquences de la guerre entre Israël et le Hamas porte également son lot de conséquences pour le tourisme alpin, vis-à-vis des vacanciers israéliens et plus généralement du Moyen-Orient. L'hôtelier remarque également « un faible retour de la clientèle américaine et asiatique », qu'il décrit comme « sensibles à ce type d'instabilités ».

Et dans les autres régions ?

La plupart des stations de montagne ouvrent leurs portes ce vendredi 1er décembre. Toutes font face aux enjeux d'inflation et de changement climatique. Retrouvez les premiers articles de notre dossier 2023 consacré à la transition des stations de montagne. Exemples dans les autres régions :

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