Dans les Alpes du Nord, le modèle de la moyenne montagne mis à rude épreuve par le redoux

Depuis Noël, la magie n'a pas opéré au coeur des massifs de moyenne montagne, qui n'ont pas connu le même enneigement que les stations de haute altitude. Et pour cause : la remontée des températures, associée à de forts cumuls de pluies observés depuis une dizaine de jours, aura contraint plusieurs stations des Deux Savoie et de l'Isère à fermer tout ou partie de leur domaine skiable. En attendant de nouvelles chutes de neige, des mesures de chômage technique se sont mises en place au sein des remontées mécaniques, avec des stations qui tentent de rebondir malgré tout en proposant une offre multi-activités.
En ce début de saison, l'enneigement très contrasté entre les stations de haute et de moyenne altitude des Alpes du Nord aura donné lieu à la fermeture totale ou partielle de près de la moitié des pistes, en l'attente de nouvelles chutes de neige. Avec malgré tout, une clientèle demeurée au rendez-vous pour les vacances de Noël et du jour de l'An.

Depuis quelques jours, la liste s'allonge et les médias locaux se font écho de fermetures partielles ou totales des domaines skiables, situés en moyenne montagne au coeur des Alpes du Nord.

A commencer, en Isère, par les domaines du Collet d'Allevard (1450 m), du Col du Barioz (1042 m), de Saint-Pierre de Chartreuse (900 m) et désormais de l'Alpe du Grand Serre (1368 m), Villard-de-Lans (1143 m), Autrans-Méaudre (1050 m) ou Gresse-en-Vercors (1200m) qui ont fermé l'accès à leurs remontées mécaniques, faute de manteau neigeux. Tandis qu'en Savoie et en Haute-Savoie, les ouvertures partielles se multiplient en moyenne altitude, comme à Crest-Voland (1230 m), aux Aillons-Margériaz (1000 m) ou au Grand Revard (1550 m), tandis que la station de Passy Plaine-Joux (1358 m) en vient de déclarer forfait en l'attente de nouvelles chutes de neige.

Selon le dernier décompte de Domaines Skiables de France, ce sont ainsi près de la moitié des pistes de ski françaises qui sont actuellement fermées en raison du manque de neige, en raison d'un phénomène conjoint de redoux et de fortes pluies observé depuis une dizaine de jours. Sur les Deux Savoie, qui regroupent 112 stations et 72% de l'offre de ski française, le chiffre serait légèrement meilleur, avec 60% des pistes ouvertes.

« La situation est très contrastée en réalité, car l'enneigement reste bon au sein des grandes stations d'altitude, et cela, grâce à la préparation qui a pu être réalisée dès fin novembre, avec de la neige de culture et qui a permis une meilleure résistance. En moyenne montagne cependant, on atteint des taux d'ouverture de pistes inférieurs à 50%, en raison du redoux et d'un plus faible équipement en neige de culture, sauf en Maurienne où le climat a été plus favorable », indique Laurent Reynaud, délégué Général de Domaines Skiables de France.

« Il y a bien entendu des stations de moyenne altitude qui ont dû se réinventer mais aussi des stations d'altitude qui ont capitalisé sur la neige qui était présente à 1800 à 2000 mètres d'altitude et qui a permis à la clientèle de skier », tient à nuancer Michaël Ruysschaert, directeur général de Savoie Mont-Blanc, qui brandit les taux d'ouverture des grands domaines situés entre 1600 et 2000 mètres : « 85% des pistes sont par exemple ouvertes aux Arcs, 84% à Val Thorens, 69% à la Plagne, 85% à Avoriaz, etc ».

Toutes stations confondues, Michaël Ruysschaert rappelle ainsi que le taux d'occupation global des hébergements s'affiche malgré tout en progression de +7% par rapport à l'an dernier sur les massifs des Deux Savoie et même de +21% en janvier prochain, tiré par le retour de la clientèle étrangère.

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Du côté de l'Union Sport et Cycle, qui rassemble près de 1.700 entreprises, 500 marques, 3.000 points de vente, le vice-président aux activités montagne, Julien Gauthier (Skiset), rappelle que les conditions actuelles ne sont pas « exceptionnelles » en moyenne montagne, même si elles s'avèrent cette année très contrastées en fonction des secteurs : « il ne faut pas oublier que l'on a de très bonnes conditions au dessus de 2000 mètres dans les Alpes du Nord, et même en moyenne montagne dans les Alpes du Sud ».

Une ouverture avortée à Saint-Pierre de Chartreuse

C'est donc dans le détail, et notamment du côté des plus petites et moyennes stations des Alpes du Nord, déjà soumises aux aléas climatiques en raison de leur plus faible altitude, que le redoux aura été le plus préjudiciable. Dans la station familiale de Saint-Pierre de Chartreuse en Isère (900 m) par exemple, l'ouverture des pistes n'a tout simplement pas pu avoir lieu, après avoir été une première fois décalée début décembre.

« Nous n'avons finalement pas pu ouvrir les remontées mécaniques, alors que le ski de fond a pu être pratiqué en début de saison au Col de Porte », souligne la directrice de l'Office du tourisme à La Tribune, Virginie Olliot, qui en a profité pour faire valoir une toute autre offre auprès de la clientèle familiale qui est demeurée sur site :

« Les prestataires en ont profité pour ressortir leur offre de vélos à la location, tandis que la patinoire de la commune a très bien fonctionné. En parallèle, nous avons proposé un jeu d'enquête accessible depuis le village, ainsi qu'une mise à disposition de la salle des fêtes pour faire du badminton et du ping-pong, tandis qu'un grand nombre de randonnées sans neige sont restées accessibles », énumère-t-elle.

Même s'il est encore un peu trop tôt pour évaluer le manque à gagner d'un début de saison amputé, Virginie Olliot convient que « c'est toujours le ski qui tire un partie de la saison. Nous avons tout de même pu proposer des activités qui ont permis aux gens de passer de bonnes vacances et nous allons travailler début janvier à faire un premier bilan et voir ce que nous pouvons proposer pour l'an prochain ».

"Un hiver tout blanc ou tout vert"

A quelques kilomètres de là, côté Vercors, la station de Villard-de-Lans vient elle aussi de fermer ses 57 pistes et 21 remontées mécaniques en fin d'année : d'abord celles du ski nordique le 20 décembre, puis celles du ski alpin le 30 décembre, toujours par manque de neige.

« Cela fait 40 ans que je fais ce métier, et des hivers sans neige, on en a connu au moins quelques uns. On avait pour coutume de dire à Villard qu'il s'agissait soit d'un hiver tout blanc ou tout vert pour une situation qui se situe à 1000 mètres d'altitude », explique à La Tribune Fabrice Mielzarek, directeur de l'Office de tourisme de Villard-de-Lans. Il n'empêche que la conjugaison de la douceur actuelle et de la pluie, tombée très haut, a marqué en ce début de saison.

« Pour autant, nous n'avons pas noté de forte baisse des réservations sur la période des vacances scolaires : nous sommes restés conformes à nos prévisions, avec 56% de taux d'occupation sur la semaine de Noël, 74,5% pour celle du Jour de l'An, et 49,7% pour début janvier ».

C'est cependant le mois de janvier qui pourrait bientôt pâtir du redoux, s'il venait à durer, puisque la clientèle des stations de moyenne montagne ne bénéficie pas du réservoir de la clientèle étrangère propre aux stations d'altitude. « Il est certain que si nous n'avons pas la clientèle de grenoblois ou de valentinois qui venaient les week-ends, cela va se ressentir ».

Même si en attendant, Villard de Lans a elle aussi joué d'autres atouts : piscine, patinoire, espace forme, bowling, maison du patrimoine, randonné hors neige, trail et course d'orientation, marche nordique, et bien entendu offre de VTT et de vélos à assistance électrique... L'équilibre globale des comptes s'étudiera d'ici quelques semaines, ici aussi on veut croire que rien n'est encore joué.

Des réductions de forfaits à Crest-Voland

En Savoie, le domaine skiable de Crest-Voland, situé dans le Val d'Arly, ne dispose plus que de 25% de son domaine ouvert, soit 5 pistes sur 28. Mais il a réussi, pour l'heure, à conserver sa connexion avec l'espace Diamant des Saisies (un regroupement de six stations de ski du Val d'Arly et Beaufortain qui permet de proposer un accès à 192 km de pistes, ndlr). Selon le directeur des remontées mécaniques, Jean-François Blachon, ce qui pose aujourd'hui le plus d'enjeux, « c'est le retour ski aux pieds à la station. Nous sommes incapables de dire combien de temps cela va durer ».

Car malgré des déplacements de neige déjà stockée sur site « à la force des bras ou à la pelle », force est de constater qu'il n'est plus possible de produire de la neige « lorsqu'il ne gèle plus la nuit, et qu'on enregistre 6 degrés sur les pistes à 7 heures du matin ».

Avec, comme première conséquence, une adaptation du prix des forfaits (habituellement de 35 euros la journée adulte) : « nous avions fait un premier tarif à -40% le premier jour où il a plu massivement, puis nous étions passés à une réduction de -20% car nous avions entre temps réussi à déplacer de la neige. Mais nous allons certainement devoir abaisser à nouveau les prix de -20% très prochainement », ajoute le directeur des remontées, tout en glissant que la vente de forfaits multi-journées a pour l'heure été stoppée « par manque de visibilité ».

« Cela fait bientôt 30 ans que je suis dans le métier et l'on voit bien que divers massifs sont actuellement frappés par ces conditions météo. Bien qu'il existait aussi d'autres hivers où l'on a connu le dicton "Noël au balcon", ce qui est plus exceptionnel, c'est le niveau de pluie qui a pu être enregistré, avec des gares de stations qui ont été inondées au sein de certains domaines », estime Jean-François Blachon.

Le levier du chômage partiel activé

Après avoir utilisé le levier de la « modulation », consistant à demander à leurs salariés de déposer leurs congés payés en anticipation sur la fin d'année, les remontées mécaniques de Crest-Voland ont ainsi été contraintes de mettre en place des mesures d'activité partielle, avec un planning tournant, jusqu'au retour de la neige, espéré pour l'heure sur la seconde quinzaine de janvier.

Et c'est loin d'être la seule dans ce cas à l'échelle des stations de basse et moyenne altitude : Antoine Fatiga, élu CGT en charge de la question des saisonniers, estime que « 10 à 20% des salariés du secteur des remontées mécaniques sont actuellement touchés par des mesures de chômage partiel ». Un chiffre que le délégué général de DSF, Laurent Reynaud, estime même « plus élevé que 10% » au regard de la situation actuelle des moyennes stations.

Et de rappeler que l'accord de branche spécifique aux remontées mécaniques prévoit en effet que les salariés saisonniers concernés par cette mesure perçoivent un salaire à hauteur de 70% de leur rémunération habituelle. « On constate aussi que dans les plus grands domaines, une partie des salariés peuvent être redéployés dans d'autres activités liés à l'animation ou au tourisme, en attendant que la neige revienne », affirme Antoine Fatiga.

Du côté de l'Union Sport et Cycle également, les loueurs de matériel de ski situés dans les stations ayant dû refermer leurs portes ont pu faire appel au chômage partiel, mais là encore, avec de fortes disparités, selon Julien Gauthier. « Dans certains cas, les loueurs ont pu ressortir une partie de leur offre d'été et de vélos pour rendre service à leurs clients, mais c'est loin de compenser l'activité liée au ski. Sans compter qu'il n'est pas possible de chambouler toute l'organisation d'un magasin pour y intégrer l'offre de vélos en même temps... Il faudrait pouvoir pousser les murs ».

Vers une adaptation de l'offre des stations de moyenne montagne ?

« Même si la question a commencé à être posée, tout l'enjeu est désormais de prendre à bras le corps un changement assez significatif de l'activité en montagne qui doit se profiler, afin de développer une offre plus large qui permet de vivre et de travailler au pays », fait valoir Antoine Fatiga. Car si les acteurs de la montagne sont « habitués » à devoir gérer le manque de neige, la durée de cet épisode alerte l'élu CGT, qui y voit là une accélération des conséquences du réchauffement climatique.

« Nous devons nous adapter et nous poser les vraies questions, qui ne consistent pas uniquement à installer des dameuses électriques, mais aussi à revoir à la baisse les prix pratiqués en stations pour qu'ils soient plus soutenables pour les familles, tout en proposant des transports plus décarbonés, avec un redéveloppement massif de l'offre de train, que ce soit avec des liaisons TGV ou des trains de nuit, comme commencent d'ailleurs à la faire des acteurs comme la Compagnie des Alpes et Travelski », ajoute Antoine Fatiga.

De son côté, le délégué général de DSF Laurent Reynaud tient à nuancer d'une part l'impact de ce début de saison en dents de scie (« il ne faut pas oublier que la saison dure encore quatre mois, les vacances de Noël représentent 20% du chiffre d'affaires de l'hiver »). Tout en s'affichant néanmoins pragmatique :

« Les fluctuations d'enneigement ont vocation à s'amplifier avec le changement climatique, c'est une évidence. C'est pour cela qu'il faut être préparés, notamment avec de la neige de culture, afin de réduire notre exposition aux risques. Mais nous ne pouvons pas non plus faire des miracles ».

La fragilité des modèles économiques des stations de plus basse altitude, renforcée par les conséquences du redoux, mais aussi les conséquences de la crise énergétique qui continue de peser sur les stations, pourraient ainsi être susceptibles de renverser la donne pour certaines collectivités exploitantes.

« Les projections de Météo France sur les 30 prochaines années démontrent une certaine pérennité pour l'offre de ski, à condition de faire les bons investissements et de ne pas vouloir maintenir certains secteurs ouverts à tout prix, ajoute Laurent Reynaud. Il pourrait se poser la question de savoir s'il est pertinent de renflouer chaque année certains domaines qui étaient déjà structurellement déficitaires, mais il s'agira en premier lieu d'un choix politique ».

Une météo au-delà des normales saisonnières, mais...

Chez Météo France, Gilles Brunot, adjoint au responsable en charge du secteur des Alpes du Nord, note pour sa part que bien que la dernière quinzaine de décembre ait été marquée par des températures situées « bien au-dessus de la normale », voire parfois même jugées « records », le manque de recul des stations de mesure situées en altitude ne permet pas toujours d'avoir un regard sur les évolutions en marche sur plusieurs décennies.

« Ce qui est certain, c'est que pour des stations comme Bourg-Saint-Maurice en Savoie où l'on dispose de données depuis 1946, on a connu un record avec 14,5 degrés enregistrés le dimanche 1er janvier ». La douceur a été remarquée partout, avec des températures qui ont atteint 9,3 degrés à 1850 mètres d'altitude si l'on prend la station de Val d'Isère au 1er janvier, contre 7 degrés à Tignes (2043 m) ou encore 12,5 degrés à Chamrousse (2250 m) la veille...

Le plus impactant en ce début de saison resterait cependant l'évolution du manteau neigeux, qui s'avère « très déficitaire, sauf en haute-montagne, c'est-à-dire au-dessus de 2200 m d'altitude », observe Gilles Brunot. Car en moyenne, les derniers relevés de Météo France font état en ce début d'année d'un manteau neigeux jugé inexistant jusqu'à 1000 mètres d'altitude sur les versants nord des Alpes du Nord, puis compris entre 0 et 15 centimètres à 1500 mètres, puis de 30 à 50 centimètres d'épaisseur à compter de 2000 mètres seulement...

« En haute montagne, on retrouve un certain nombre d'hivers où l'on enregistrait moins de neige qu'aujourd'hui. Mais ce n'est pas le cas en moyenne montagne, où l'on n'avait pas observé un manque de neige aussi net, à l'exception des années 2016 et 2017 et de l'hiver de référence 1963-1964 », note Gilles Brunot.

Des précipitations pourraient cependant renverser la donne dès la fin de semaine, avec un premier épisode attendu dès vendredi, et qui pourrait faire basculer la limite pluie-neige à 1300 mètres, puis dimanche, avec l'arrivée de masses d'air froides susceptibles d'être associées à des chutes de neige dès 500 mètres d'altitude.

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Commentaires 2
à écrit le 04/01/2023 à 18:20
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Pour les stations de moyenne altitude, c'est plié depuis bien longtemps. Pour celle de plus haute altitude, ce n'est qu'une question d'un temps qui joue contre elles. Plus dure sera la chute car les investissements auront été colossaux et ne seront ...

à écrit le 04/01/2023 à 10:06
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c'est la faute a la neige ukrainiennen qui a le covid aviaire!!! encore lui ! donc le prix des voitures va prendre 30% et les impots locaux 50, logique!

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