Quoi qu'il en coûte : une mission flash de la CRC pointe un dispositif très (trop ? ) favorable aux stations de ski

C'est un nouveau rapport qui pointe cette fois directement le "quoi qu'il en coûte" promis par le gouvernement durant la période du Covid. Avec son dispositif spécifique de compensation des charges fixes, l'Etat avait proposé aux sociétés de remontées mécaniques, fermées durant une saison entière en raison de la pandémie, de compenser leurs pertes. Mais ce mercredi, le premier rapport flash de la Chambre régionale des comptes Auvergne Rhône-Alpes pointe les failles de ce dispositif, qu'elle a jugé d'une part efficace, mais également parfois trop généreux. Un signal qui pourrait aussi être vu comme plus politique, à l'aube de la crise énergétique à venir, sur le bon usage des aides publiques ?
Il y a bien eu un effet d'aubaine des dispositifs d'aides, à moduler en fonction de la taille des stations, a alerté le président de la CRC Auvergne Rhône-Alpes, à travers cette mission flash destinée à évaluer les retombées des aides publiques et notamment du dispositif coûts fixé, taillé sur mesure pour les stations françaises.
"Il y a bien eu un effet d'aubaine des dispositifs d'aides, à moduler en fonction de la taille des stations", a alerté le président de la CRC Auvergne Rhône-Alpes, à travers cette mission flash destinée à évaluer les retombées des aides publiques et notamment du dispositif coûts fixé, taillé sur mesure pour les stations françaises. (Crédits : Poma)

(publié le 26/10/2022 à 13:35, actualisé à 18:19)

"On voit bien que les aides ont été nécessaires mais que dans ce secteur, le calibrage a été excessif, au détriment du contribuable et en faveur des entreprises concernées". Le nouveau président de la Chambre régionale des comptes d'Auvergne Rhône-Alpes, Bernard Lejeune, ne mâche pas ses mots ce mercredi, lors de la présentation à la presse de son dernier rapport d'un nouveau genre.

Une mission flash, permise par le projet de rénovation des juridictions financières "JF 2025", du Premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, et qui vise à "permettre de produire, dans un temps limité, un état des lieux ou un diagnostic factuel d'un dispositif, d'un fait d'actualité, ou le suivi d'une recommandation de la chambre".

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Avec dans ce cas, le suivi du soutien apporté aux sociétés en charge de la gestion des remontées mécaniques pendant la crise Covid-19, au sein des stations des Alpes du Nord. Car on se souvient que la survenue de la crise sanitaire avait amputé leur activité  à plus d'un titre : -15% de fréquentation avait été enregistré en moyenne sur la fin de saison 2019-2020, tandis que la fermeture totale décidée par la gouvernement pour contrer la résurgence de l'épidémie, avait réduit les chiffres d'affaires des exploitants à une portion congrue (soit 1 à 5% de leur total habituel).

Après que le chiffon rouge des pertes ait été agité dans une industrie qui investit annuellement près de 350 millions d'euros et qui génère plus largement un chiffre d'affaires total de 10 milliards d'euros (pour 100.000 emplois directs et indirects), le principe d'une aide d'urgence spécifique (le dispositif dit « coût fixe ») avait été instauré en l'espace de quatre mois seulement entre l'Etat et le principal syndicat du secteur, Domaines Skiables de France. Objectif : subventionner jusqu'à 49 % du chiffre d'affaires réalisé par l'exploitant sur les trois années précédentes, afin de compenser 70 % des charges fixes.

Instauré uniquement pour les sociétés de remontées mécaniques après l'approbation de la Commission européenne, cette aide avait été justifiée "en raison de leur fermeture totale durant l'hiver 2020-2021 et du niveau élevé des charges fixes qui ont continué de peser sur ces entreprises malgré l'absence d'exploitation" et avait constitué le principal vecteur du soutien de l'Etat. Soit du contribuable, rappelle la CRC, et c'est ce qui l'intéresse plus particulièrement.

"Il y a bien eu un effet d'aubaine"

Car ce sont au total, et selon ses calculs, près de 131,9 millions d'euros qui auront été versés sous forme d'aides publiques durant cette période aux six sociétés qu'a choisi d'étudier cette mission flash, dont 111,6 millions d'euros issues de la seule subvention « coût fixe ».

Sur cet échantillon de communes basées en Savoie et en Haute-Savoie (Val Thorens, Tignes, La Plagne, Avoriaz, la Toussuire, Saint Sorlin d'Arves) et qui se veut représentatif, ce dispositif coût fixe a en effet représenté jusqu'à 85% des aides publiques allouées, puisque ce sont ajoutés ensuite d'autres aides publiques de droit commun (chômage partiel, exonérations de charges sociales, PGE, fonds de solidité, exonération de charges départementales, abattement en CFE...).

"Le principe même de ces aides était nécessaire", souligne Bernard Lejeune, dont le rapport indique cependant qu'en vertu de leur statut "non cumulable", "le risque existe que les sociétés délégataires soient amenées à devoir reverser les montants perçus sur le fonds de solidarité notamment".

Car cette double compensation a eu un prix : 30,8 millions de trop sur l'échantillon des sociétés étudiées, tandis que cinq d'entre elles auront au final bénéficié d'une aide couvrant entre 81 % à 123 % leurs coûts fixes, alors que la cible prévue était de 70 %.

Elle s'est même soldée par le fait que deux sociétés de remontées mécaniques (Morzine et Val Thorens) auront en bout de ligne dégagé des bénéfices au sein même de leurs résultats d'exploitation. "Le contribuable a été un actionnaire sans le vouloir de ces deux sociétés privées ", s'est étonné Bernard Lejeune.

Un constat sans appel, qui s'ajoute à une autre observation : "Il y a bien eu un effet d'aubaine des dispositifs d'aides, à moduler en fonction de la taille des stations". Car selon les observations de la chambre, "plus une station est grande, et plus l'effet d'aubaine observé a été important", alors que"bizarrement, les plus grandes stations sont aussi celles qui ont les reins les plus solides et ont peut être moins besoin d'aides publiques".

Un mode de calcul à revoir ?

Une situation que la Chambre régionale des comptes affirme cependant ne pas pouvoir généraliser à l'ensemble des stations, même si l'échantillon choisi se veut représentatif des 150 sociétés de remontées mécaniques françaises, qui se répartissent à parts égales entre régies publiques (souvent de petite taille) et entreprises privées de taille variable (à noter que sur les 15 plus importantes, 13 sont implantées dans les Alpes, dont 11 privées).

De quoi permettre à l'organisme, chargé d'éplucher les comptes publics, de reconnaître plus largement que si le principe même des aides était nécessaire, son calibrage peut être jugé "excessif" dans ce secteur. "On aurait pu mettre en place un calibrage plus économe", voire même "un système d'aides sous formes d'avances revu en fonction de l'activité, comme cela été proposé en Ile-de-France à un autre système de transport à fort investissement capitalistique également, la RATP", suggèrent les magistrats de la CRC.

D'autres préconisations sont évoquées : "si la règle de répartition du 70% de charges fixes couvertes par l'Etat, et donc le contribuable, a été retenue en premier lieu, contre 30% demeurant à la charge de l'exploitant, au titre de ses risques d'exploitation, on peut se poser la question de savoir si ce ratio était le bon".

Car en subventionnant non seulement des charges composées des frais fixes, mais aussi d'une portion d'investissements annuels jugés non négligeables pour cette industrie très capitalistique, "le quoi qu'il en coûte" aura finalement contribué, relève la chambre, "à financer une portion des investissements des stations sur du plus long terme", posant ainsi la question de la finalité de cette aide.

D'autant plus que "cela n'a pas été le cas dans  d'autres secteurs", relève la CRC, qui évoque plusieurs scénarios mis en place par l'Etat et constatés par des rapports de la Cour des Comptes : avec d'une part, "le zéro aides" accordé dans le cas de la SNCF, "qui a dû s'endetter pour couvrir ses charges lorsque les trains ne roulaient pas" ou les aéroports, "qui au titre de sociétés privées, n'ont pas bénéficié d'aides spécifiques", tandis que la RATP a obtenu, à l'issue d'un bras de fer avec l'Etat, "un système d'avances avec des aides versées au plus juste".

La question du cumul qui peut être posée

Dans tous les scénarios, la CRC estime que la question du cumul des différentes aides publiques peut être posée.

Contactés, la station de Morzine n'avait pas encore donné suite à nos demandes d'échanges au moment d'écrire ces lignes, de même que l'ANMSM et Domaines Skiables de France. Le directeur des remontées mécaniques de Val Thorens a quant à lui de revenir, avec La Tribune, sur ce qui a permis à sa station de générer des économies supérieures à la moyenne, tout en affirmant de manière claire, à propos du cumul d'aides engagées : "Si l'Etat nous demande de rembourser, nous le ferons".

A l'heure où la crise énergétique a déjà suscité de premières mesures, tout en voyant revenir régulièrement la question d'un bouclier tarifaire plus large, cette mission flash pourrait en premier lieu alimenter les débats et constituer un premier pavé dans la mare du "quoi qu'il en coûte", en faveur de la réduction de la dette publique.

En attendant, il faut également rappeler que dans le cas des stations de ski, cette mission flash s'est centrée pour l'heure uniquement sur les aides perçues par les sociétés délégataires de remontées mécaniques, mais non par les communes.

Positionnés comme autorités délégantes, le cas des communes de montagne s'avère cependant très différent : celles-ci auront quant à elles, dû continuer de faire tourner leurs services municipaux malgré une chute drastique de leurs revenus (taxe de séjour, taxe sur les remontées mécaniques, etc).

Et à ce stade, plusieurs d'entre elles ont déjà indiqué à La Tribune comme à la CRC que sur ce volet, les aides promises pour compenser les charges fixes sont toujours en attente du côté de la puissance publique.

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Commentaires 2
à écrit le 27/10/2022 à 10:47
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Est ce à la solidarité nationale de payer des subventions pour des nantis ? Perso je ne vais pas aux «  sports d hiver » le ticket y est trop cher ….et suis pas du genre «  m a tu vu » ou à la recherche de la reconnaissance sociale

à écrit le 26/10/2022 à 16:37
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Aucune personnalité politique et aucune personne ne se sont rendues compte, que pendant des années M Joël Giraud originaire des Hautes-Alpes, dés le 26 juillet 2020, est nommé secrétaire d'État chargé de la Ruralité auprès de la ministre de la Cohé...

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