Niche Fused Alumina : avec 180 emplois en jeu, la recherche d'un repreneur s'accélère pour cette usine centenaire

Dernier producteur de corindon blanc, un minéral très abrasif qui entre dans la composition de produits pour l’aérospatiale, l’automobile, les parquets laminés ou encore le médical, le site savoyard de Niche Fused Alumina, basé dans le village de la Bâthie à une dizaine de kilomètres d'Albertville (Savoie), vient d'être placé en redressement judiciaire. Après plusieurs changements d'actionnariat, l'usine qui possède sa propre centrale électrique est la propriété du groupe financier américain Dada Holdings LLC. Parmi les pistes, figure un changement d'actionnariat : mais il faudra faire vite, car le dépôt des premières offres est prévu pour le 10 juin prochain.
Près de 180 emplois sont menacés sur le site savoyard de Niche Fused Alumina. Le dernier fabricant de corindon blanc en France est désormais en quête d'un repreneur d'ici le 10 juin prochain.
Près de 180 emplois sont menacés sur le site savoyard de Niche Fused Alumina. Le dernier fabricant de corindon blanc en France est désormais en quête d'un repreneur d'ici le 10 juin prochain. (Crédits : DR/ML)

Niché en plein coeur de la vallée de la Tarentaise (Savoie), à seulement une dizaine de kilomètres de l'ex-site Ferropem devenu Ugi'ring, c'est au tour de l'industriel savoyard Niche Fused Alumina de se trouver dans la tourmente.

Celui qui se positionne comme le dernier fabricant français de corindon blanc, depuis sa création en 1901, fait désormais face à un contexte de marché délicat : entre la hausse des prix de l'énergie, l'accélération de la concurrence chinoise ainsi que la baisse des parts de marché du groupe, aujourd'hui détenu par le fonds de pension américain Dada Holdings, la société Niche Fused Alumina vient d'être placée en redressement judiciaire le 23 avril dernier.

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Laissant ainsi ses 180 salariés (principalement des CDI) dans l'expectative : car après de nombreux changements de propriétaires (dont les industriels Péchiney Ugine Kulhman, Alcan, Rio Tinto) ainsi que le refus des autorités européennes d'un rachat par le groupe Imerys enregistré en 2016-2017, c'est désormais l'avenir du site savoyard, fortement implanté sur le bassin local, qui est menacé.

Avec sa production de corindon blanc, l'un des minéraux les plus abrasifs et les plus durs après le diamant, Niche Fused Alumina produisait jusqu'ici pour les différents marchés de l'aérospatiale, de l'automobile, du médical, des réfractaires (céramiques carrelages...), et plus récemment, des parquets laminés. Le tout, à partir d'une alumine électro-fondue provenant principalement de l'usine Altéo de Gardanne (Bouches-du-Rhône), et d'un site comprenant sa propre centrale hydroélectrique.

Une « loi anti-dumping » comme condition de survie

Mais l'une des plus anciennes usines de la Tarentaise, qui pèse fort sur l'emploi local avec son ancrage dans un village de seulement 2.000 habitants, est désormais en danger. Face à un renchérissement de la concurrence chinoise, observée notamment depuis la relance de la production post-Covid en Asie, Niche Fused Alumina peine à suivre la course et perd des parts de marchés.

En l'espace d'un an, soit entre 2022 et 2023, celui qui se positionnait encore comme le leader mondial des laminés aurait perdu 25% de chiffre d'affaires. Dans un entretien à la presse locale, le directeur général du site industriel, Pierre le Cacheux, remettait ses difficultés à l'aune de la situation économique du marché européen : «  L'économie européenne est en grande difficulté, à l'image de l'Allemagne, l'un de nos plus gros clients. Nous demandons du protectionnisme », affirmait-il.

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En l'absence d'une marge suffisante pour demeurer rentable, l'entreprise savoyarde a été placée le 23 avril dernier en redressement judiciaire pour une période d'observation de six mois, avec depuis le 3 mai, l'ouverture du dossier à des repreneurs potentiels. Avec un délai toutefois serré puisque le dépôt des offres a été fixé au 10 juin prochain, devant le tribunal de commerce de Chambéry (Savoie), tandis que la prochaine audience est fixée au 24 juin.

« La situation économique a justifiée que l'on prenne une décision au plus vite », estime Carine Francina, déléguée CGT Niche Fused Alumina, qui représente le collège des ouvriers (et partage la représentation des ingénieurs-cadres avec la CFE-CGC). Pour autant, si les syndicats militent auprès du gouvernement pour une « loi anti-dumping » qui permette de taxer à l'entrée les produits importés en provenance de la Chine au sein de l'Union européenne, comme condition sine qua none pour sauver la production française et assurer son avenir à terme, c'est également du côté de la stratégie de l'entreprise qu'il militent pour la transformer :

« Depuis septembre 2022, nous avons ressenti une baisse des parts de marché mais celle-ci n'est pas inéluctable. Nous avons besoin d'une stratégie plus offensive et de l'accompagnement d'un industriel capable de nous développer et nous amener sur des marchés porteurs, alors que notre actionnaire actuel a plutôt eu une stratégie confiscatoire », ajoute Carine Francina.

Car selon la CGT, l'invasion des produits chinois pourrait ainsi être contrecarrée en partie par le renforcement de la recherche et développement (R&D) en interne pour aller chercher de nouveaux marchés, ainsi que par la montée en compétences de la partie commerciale, à travers notamment le recrutement de technico-commerciaux.

Des offres de reprise sur la table ?

Depuis quelques semaines, les salariés ont donc amorcé un nouveau combat social avec la tenue d'un premier blocage de l'usine le jeudi 25 avril à l'appel de la CGT, puis d'une manifestation le 1er mai dernier.

Mais d'ici le 10 juin, rien n'est encore marqué à l'agenda : « nous nous concentrons sur la production car si nous avons eu des mesures de chômage partiel en 2023, le contexte de 2024 n'est plus le même. Notre carnet de commandes pour cette année est de nouveau bien rempli et même si nous ne gagnons pas d'argent, il y a beaucoup de travail » ajoute Carine Francina, représentante CGT. Et ce, d'autant plus qu'un précédent plan de réorganisation amorcé en 2023 avait eu pour effet de ne pas reconduire la majorité des contrats saisonniers.

Du côté des offres de reprise, rien n'a cependant filtré à ce stade : « On ne sait pas s'il y a des marques d'intérêts : tout juste sait-on qu'il y a du mouvement sur l'accès aux informations sur le site de mise en vente... », glisse la déléguée CGT, qui espère que cette étape rouvrira la porte à des candidatures d'industriels ayant une assise internationale. Une autre source proche du dossier nous précise cependant qu'il existe bien « un certain nombre de marques d'intérêts » déjà été émises, et dont le nombre pourrait encore évoluer d'ici le 10 juin prochain.

Quitte à intéresser à nouveau des acteurs comme le producteur minier Imerys ? Retoquée par les autorités de la concurrence européennes lors d'une première offre de rachat en 2016-2017, la multinationale spécialisée dans la production et la transformation des minéraux industriels pourrait-elle à nouveau déposer une candidature ? « Les temps et le contexte économique ont changé », veulent croire certains acteurs du dossier. Contactée, Imerys n'a pas souhaité émettre de commentaire à ce stade.

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De son côté, le président de l'intercommunalité Coeur de Tarentaise et vice-président du conseil régional, Fabrice Pannekoucke, rappelle que le dossier aura des répercussions locales importantes : « la Région suit avec beaucoup d'intérêt la situation de Fused Alumina, et l'agence économique Auvergne Rhône-Alpes Entreprises a été mobilisée pour accompagner le sujet et aller en quête de futurs repreneurs. » Au plus haut sommet de l'Etat, une banque d'affaires a également été missionnée pour étudier et prendre contact avec des repreneurs potentiels.

Une chose est sûre : un atout est susceptible d'intéresser tout particulièrement les futurs candidats, puisque l'usine de la Bâthie possède sa propre centrale hydroélectrique afin d'alimenter une grande partie de sa consommation. « La centrale fait partie des éléments que l'on peut améliorer et discuter avec le futur repreneur, car celle-ci nous donne un avantage compétitif et environnemental dans le cadre d'une production déjà électrointensive », souligne Carine Francina. Mais les syndicats préviennent qu'ils n'accepteront pas un projet qui ne favoriserait que la reprise de cette énergie particulièrement convoitée, sans la production de l'usine qui y est associée.

L'amorce d'un combat social à l'aube des Européennes

A l'aube des Européennes, le sujet pourrait aussi devenir éminemment politique : alors que les principaux échelons politiques du niveau local ont été sollicités par les salariés de l'usine, le dossier a été porté jusque sur le bureau du ministère de l'Industrie par plusieurs politiques, dont le député LR de la 2e circonscription Savoie, Vincent Rolland.

« Ce que nous demandons, c'est une extrême vigilance de la part du gouvernement sur la situation de Fused Alumina. En sachant que d'une part, près de 200 emplois sont concernés et de l'autre, il s'agit du dernier producteur de corindon blanc en France qui entre dans la fabrication de nombreux produits, dont certains stratégiques comme pour le secteur de l'aviation », rappelle le député de la 2e circonscription de Savoie.

Et d'ajouter que l'une des conditions de la reprise sera certainement l'accélération de la procédure anti-dumping à l'égard de la Chine. Pour autant, sur ce point, une source gouvernementale contactée par La Tribune demeure plus prudente : « pour mettre en place une procédure anti-dumping, il faut qu'une plainte émane d'un industriel. Or, il n'existe pas à ce stade de plainte déposée en ce sens ».

« Aujourd'hui, nos productions sont très déloyalement concurrencées par la Chine, c'est une situation inacceptable. Les dossiers anti-dumping prennent souvent du temps auprès de Bruxelles, mais il faut tenir compte de l'urgence de la situation pour Fused Alumina », brandit pour sa part Vincent Rolland, qui ajoute : « le consensus sur ce dossier est important : même certains groupes politiques qui s'opposent au projet de reprise de Ferropem par Ugi'ring sont favorables au maintien du site de la Bâthie. »

L'enjeu est de taille : en plus d'être stratégique pour la production de corindon française, le dossier de Niche Fused Alumina l'est aussi pour le village de 2.000 habitants, dont une large proportion vit directement ou indirectement des activités de l'usine, mais aussi pour vallée de la Tarentaise, qui a déjà connu la fermeture de l'usine Ferropem de Château-Feuillet en 2022. Contactées, la mairie de la commune et la communauté de communes Arlysère ne se sont toutefois pas exprimées à ce stade.

« Cette unité de production de corindon blanc est utilisée pour fabriquer entre autres des revêtements de papiers abrasifs : c'est une production sur laquelle nous avons une vigilance, y compris de par le nombre de salariés concernés. La localisation de l'usine, qui est située sur un bassin industriel historique ayant déjà connu de précédentes restructurations, nécessite également que toute l'énergie soit mise ensemble pour la sauvegarder », nous précise le cabinet de Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'industrie et de l'énergie.

Contactée, la direction de l'usine n'a pas donné suite à nos demandes d'interview.

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Commentaires 2
à écrit le 23/05/2024 à 18:50
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Triste la situation de beaucoup d'entreprises Françaises ....la rentabilité maximum pour les actionnaires , ils ne connaissent que cela .... en plus capitaux étrangers ....Le président Macron et son "choose France" ferait mieux de réfléchir un peu pl...

à écrit le 23/05/2024 à 16:52
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Une usine qui possède sa propre usine électrique (j'imagine hydraulique) et qui en arrive à faire faillite ? N'y a-t-il pas eu de gigantesques détournements de fonds de la part de cet actionnaire américain (fond de pension américain) depuis de nombre...

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