Photowatt : une cession par EDF toujours à l'agenda, sur un marché mondial plus agité que jamais

ENQUETE. Après avoir été racheté par l'énergéticien EDF en 2012 sous l'impulsion de l'ex-président Nicolas Sarkozy, l'avenir de l'isérois Photowatt, qui se pose comme l'un des derniers fabricants de panneaux photovoltaïques français, n'est toujours pas assuré. Depuis plus d'un an, la branche EDF Renouvelables dont il dépend ne cesse de rechercher un candidat à sa reprise et s'apprête même à fermer un nouvel atelier. Avec, comme dernier espoir en date, la gigafactory du lyonnais Carbon, qui compte s'installer d'ici 2026 à Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône). Mais les dés sont loin d'être jetés, sur un marché du photovoltaïque aujourd'hui asphyxié par la concurrence chinoise.
Depuis de longs mois, l'avenir de l'un des derniers fabricants français de wafers de silicium pour la fabrication de modules photovoltaïques est incertain en Nord-Isère. Reprise en 2012 par le groupe EDF, Photowatt cherche toujours un repreneur et s'apprête à fermer un nouvel atelier.
Depuis de longs mois, l'avenir de l'un des derniers fabricants français de wafers de silicium pour la fabrication de modules photovoltaïques est incertain en Nord-Isère. Reprise en 2012 par le groupe EDF, Photowatt cherche toujours un repreneur et s'apprête à fermer un nouvel atelier. (Crédits : DR/Photowatt)

Qui veut encore s'associer à Photowatt ? Depuis de longs mois, l'avenir de l'un des derniers fabricants français de wafers de silicium pour la fabrication de modules photovoltaïques est incertain. Car depuis son rachat par EDF en 2012, soutenu en pleine campagne présidentielle par l'ex-président Nicolas Sarkozy, le dossier n'en finit pas de rebondir.

Car l'équation pour EDF semble aujourd'hui impossible : forcé d'intégrer à son offre de développeur d'énergies renouvelables un volet de production qu'il n'a toujours pas réussi à valoriser dans ses missions, l'énergéticien français cherche, depuis plusieurs années déjà, à se départir de la société iséroise Photowatt, présentée à la fois comme stratégique pour la souveraineté française, mais aussi structurellement déficitaire.

Et le contexte mondial de l'industrie photovoltaïque n'y aide pas : tiraillé d'une part entre le besoin de relocalisation incarné par les grandes ambitions des projets de gigafactories hexagonales Carbon et HoloSolis, et de l'autre, par le dumping des acteurs chinois qui, faute de débouchés sur la marché américain après l'application de l'Inflation Reduction Act (IRA) protégeant la production locale, déversent leurs stocks à bas prix sur le marché européen, l'équation semble impossible. Et ce n'est pas l'application d'un critère carbone à l'achat des panneaux solaires qui aura suffi jusqu'ici à protéger ses acteurs des soubressaults du marché.

Lire aussi Énergie : face à l'ogre chinois, l'Europe veut relocaliser ses panneaux solaires

« Depuis 2023, les fabricants français et européen ont été pris en étau entre le dumping chinois et le protectionnisme américain. Car en adoptant l'IRA et le Uyghur Forced Labor Prevention Act, les Etats-Unis ont instauré un avantage à la production de panneaux sur leur sol pour muscler des industries jugées stratégiques. Et en contrepartie, les acteurs chinois se sont retrouvés pris de court et cherchent désormais à écouler leurs productions à prix coûtant sur le marché européen », explique à La Tribune Damien Callet, directeur d'études à Xerfi Intelligence stratégique.

Un dossier toujours en négociations

C'est dans ce contexte qu'en Nord-Isère, le dossier Photowatt (175 salariés) patine. Ou presque, car si officiellement, EDF et sa branche dédiée aux ENR (EDF Renouvelables) « tentent toujours de trouver la meilleure solution pour Photowatt », la liste de candidats s'amincit. Après avoir ouvert un temps les discussions - qui n'ont finalement pas abouti - avec un fabricant de fours industriels isérois, ECM Technologies, EDF serait désormais toujours en échange avec le projet lyonnais Carbon, qui prévoit d'ouvrir en 2026 une gigafactory sur la zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône).

Un projet à 1,6 milliard d'euros, qui pourrait offrir des synergies avec l'isérois Photowatt puisqu'il nécessiterait de remettre sur pied l'ensemble de la chaîne de valeur nécessaire à la création de panneaux photovoltaïques. Des compétences de plus en plus rares en France, avec le basculement du coeur de l'industrie vers l'Asie, et qui faisaient jusqu'ici pencher la balance en faveur de l'isérois.

Lire aussi Photowatt : et si l'avenir de la filiale d'EDF se jouait en 2023 aux côtés d'une gigafactory ?

Début 2023, un interlocuteur proche du dossier Carbon rappelait ainsi à La Tribune que Photowatt n'est autre que « la plus ancienne entreprise du solaire à l'échelle mondiale. C'est un dossier symbolique et sensible, ce qui fait dire que la manière dont il sera traité pourrait potentiellement dire beaucoup de chose sur l'avenir de la filière pv en France ».

Car avec à la fois ses compétences, mais également ses équipements (machines-outils pour la découpe des wafers en silicium), Photowatt pourrait bien constituer un maillon déterminant, dans une filière où les futurs besoins en recrutements et en formation sont jugés importants pour accompagner la transition énergétique en cours.

« Photowatt maîtrisait l'ensemble de la chaîne de valeur : même s'ils ont fait le choix de se rencentrer plutôt sur la découpe et les lingots, il reste un savoir-faire mobilisable dont Carbon a tout intérêt à se rapprocher. Et pour Photowatt, s'intégrer dans une gigafactory et un nouvel écosystème en cours de création pourrait représenter une porte de salut. Auquel cas, le risque est que l'entreprise soit condamnée à être démontée ou à vivoter sans réels investissements », rappelle Damien Callet.

Sauf que pour l'heure, aucun des deux acteurs ne s'avance désormais sur la nature et le stade des discussions. « Des discussions se poursuivent sans que l'on ne puisse donner de noms », glisse entre à ce jour la maison-mère ERF-Renouvelables, jointe par La Tribune. De son côté, une source proche de la direction du projet Carbon ne souhaite faire « aucune annonce ni déclaration » à ce stade, tandis que son projet de gigafactory avance pas à pas quant à lui : il a débuté la phase de concertation publique, qui doit déboucher sur une enquête publique et une demande d'autorisation environnementale courant 2024, pour un démarrage des travaux espéré début 2025.

Une situation qui se dégrade

En parallèle, la situation de Photowatt ne cesse de se dégrader : sur son bassin du Nord-Isère, les salariés voient quitter peu à peu les fonctions de productions jusqu'ici réalisées en France, les unes après les autres. Avec comme dernier exemple en date, la fermeture désormais annoncée pour 2024 de son atelier de création de ligots de silicium, qui constitue l'une des premières étapes très en amont du process de fabrication des panneaux solaires, avant que ceux-ci ne soient coulés sous la forme de wafers puis intégrés dans des cellules.

« La direction nous a annoncé une restructuration sans diminution d'effectifs, avec une soixantaine de personnes qui seront concernées par la fermeture de l'atelier de lingots et qui seront redirigées sur la partie wafering », précise Émilie Brechbuhl, déléguée syndicale CFE-CGC, le second syndicat représenté au sein du groupe Photowatt.

Une situation qui inquiète les représentants des salariés, puisque « Photowatt perd à nouveau une étape de fabrication historique et se rendra doublement dépendant, en allant acheter à la fois ses consommables et des opérations de sous-traitance à l'étranger, et notamment en Asie ». En contrepartie, EDF-Renouvelables devrait investir dans de nouveaux équipements de production afin de faire grimper les capacités de découpe des wafers sur site.

« On sent qu'EDF investit uniquement pour pouvoir continuer à suivre les tendances du marché et à vendre Photowatt, et non pas pour rechercher une rentabilité ou un projet de long terme », regrette également Barbara Bazer-Bachi, déléguée syndicale CFE-CGC.

Selon les derniers chiffres communiqués, Photowatt perdait environ 22 millions d'euros par année, pour un chiffre d'affaires qui était estimé à 27,2 millions d'euros en 2020. Et ce déficit s'est fortement creusé puisque, selon des chiffres obtenus par La Tribune, le déficit du fabricant isérois s'élèverait désormais à 36 millions d'euros, pour un chiffre d'affaires de 14 millions en 2023...

Vers un nouveau repositionnement de marché

En parallèle, sa maison-mère EDF-Renouvelables compte également en profiter pour opérer un changement de marché : après avoir été longtemps dépendante des grands appels et tarifs de la CRE (commission de régulation de l'énergie) sur le marché des centrales solaires au sol, Photowatt compte désormais se repositionner sur le marché des installations dédiées aux particuliers, qu'elle avait quitté depuis 2018.

Une manière de vendre des produits plus petits et plus léger, et aussi de moins s'exposer aux risques de concurrence chinoise.

Lire aussi Photovoltaïque : la concurrence asiatique (et les gigafactories) auront-elles la peau de Photowatt ?

Fin 2022, l'énergéticien avait réinjecté, sans bruit, 7,6 millions d'euros dans l'outil industriel (en plus des 350 millions investis depuis sa reprise en 2012) avec un objectif bien précis : maintenir la compétitivité de l'outil industriel en faisant passer deux de ses fours à un standard du marché actuel (des wafers 210mm²), en vue « d'accompagner les besoins du marché photovoltaïque de demain » et de réviser notamment la taille des plaques de silicium qui composent ses panneaux.

« Nous sommes toujours dans la même situation, à savoir sur un marché très compétitif, dominé par la concurrence asiatique, et où l'on n'arrive pas à trouver un équilibre économique. Et on peut dire que l'émergence du conflit en Ukraine a rendu les objectifs encore plus compliqués à atteindre, avec l'inflation, la hausse des coûts des matières premières et de l'énergie... », soutient pour sa part la direction d'EDF-Renouvelables, qui rappelle qu'elle cherche « toujours à assurer un avenir à Photowatt », étant donné qu'elle n'a pas vocation à assurer elle-même son activité. « Nous sommes en effet sur deux métiers très différents : EDF développe, met en service et exploite des parcs solaires, tandis que Photowatt fabrique des panneaux solaires ».

« Photowatt n'a jamais vraiment trouvé sa place »

Dans un contexte d'accélération des énergies renouvelables et de décarbonation du mix énergétique annoncés par la France et l'Europe, l'argument d'EDF-Renouvelables suscite toutefois encore de fortes incompréhensions et questionnements stratégiques sur la scène locale.

« C'est l'un des rares dossiers où, sur le papier, tout le monde est d'accord sur le fait qu'il est inadmissible de laisser perdre des compétences industrielles mais où pourtant, rien ne bouge », atteste la députée Renaissance Marjolaine Meynier-Millefert, en charge de la 10e circonscription de l'Isère (dont dépend le siège de Photowatt) et vice-présidente de la Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire à l'Assemblée nationale. « Le consensus politique est tellement important qu'EDF qui souhaite se débarrasser de Photowatt n'y arrive pas ».

Elle fait partie des élus mobilisé sur ce dossier depuis plusieurs années, à l'image du maire Vincent Chriqui qui avait lui-même alerté Bruno Le Maire, ainsi que de l'ex-députée de la sixième circonscription de l'Isère Cendra Motin ou du sénateur de l'Isère Didier Rambaud. Un dossier où le conseil municipal de Bourgoin-Jallieu et le conseil communautaire de la Communauté d'Agglomération Porte de l'Isère avaient par ailleurs adopté un « vœu de soutien ».

Marjolaine Meynier-Millefert ajoute : « Je comprends bien qu'à l'époque, Nicolas Sarkozy avait tordu le bras à EDF pour qu'il reprenne le dossier, mais EDF ne s'est jamais saisi réellement des sujets industriels et ce sont en partie les choix qui ont été faits qui sont pour partie responsables de la situation actuelle ». Le tout, en rappelant notamment qu'en 2018, coexistait encore quatre ateliers spécialisés et basés en Nord-Isère : l'un dédié à la transformation des lingots, un autre dédié à la découpe des wafers, un à l'assemblage des cellules et enfin un dernier pour l'assemblage des modules. « Trois de ces quatre ateliers sont aujourd'hui fermés ».

Pour Damien Callet, la position d'EDF démontre que « la filière demeure tiraillée entre la volonté de se fournir à bas coûts et à court terme, et celle de répondre aux enjeux de souveraineté. En tant que développeur et exploitant de centrales, EDF a intérêt, tout comme des acteurs comme Total, Engie, etc, à se fournir en modules chinois à bas prix pour faire baisser la facture des projets. » C'est d'ailleurs l'un des éléments qui a souvent été reproché à la maison-mère de Photowatt par ses salariés : à savoir que sur plusieurs centrales, EDF achetait ses cellules en Chine plutôt qu'à Photowatt.

Et ce n'est pas l'arrivée du nouveau patron d'EDF, Luc Rémont, un ancien isérois du groupe Schneider Electric, qui a changé la position de l'énergéticien à ce sujet : « Celui-ci poursuit dans la droite ligne de la trajectoire jusqu'ici, qui est de se préoccuper en premier lieu de la relance du nucléaire et des investissements hydrauliques face à l'ouverture de la concurrence annoncée pour l'exploitation des barrages, et qui est loin d'être négligeable également pour EDF. »

Un secteur en attente d'un gros coup de pouce

Photowatt est cependant loin d'être le seul à se frotter au marché complexe du photovoltaïque : le nantais Systovi fait lui aussi partie des derniers fabricants de panneaux solaires, à assembler notamment des composants et cellules importés de l'étranger. La société vient d'annoncer il y a quelques semaines qu'elle se trouvait désormais au bord de la faillite face au dumping chinois, et en recherche active d'un repreneur pour ne pas disparaître.

« Face à la concurrence chinoise qui s'est encore renforcée en 2023, on voit bien que des acteurs comme Systovi, mais aussi Meyer Burger rencontrent des difficultés et ont par exemple annoncé, pour le second, la fermeture d'une usine en Allemagne pour la transférer aux Etats-Unis. Et à côté de ça, on a deux projets de gigafactories comme Carbon et HoloSolis qui visent à sortir de terre en 2025 et 2027 », rappelle Damien Callet à Xerfi.

« On voit bien que les mécanismes de protection français et européen aujourd'hui ne fonctionnent pas, au vu des difficultés que rencontrent également d'autres acteurs comme Systovi. Dans ce contexte, il devient très compliqué de trouver un repreneur à un projet », ajoute Barbara Bazer-Bachi.

A ce sujet, l'annonce « d'un plan de bataille pour le solaire » promis ce vendredi par le gouvernement français *, promet cependant d'activer de nouveaux leviers : à savoir, entre autres, un soutien « massif » à la mise à disposition de foncier avec décret sur l'agrivoltaïsme, des appels à manifestation d'intérêts pour équiper le « délaissé routier », ainsi que la création d'un « Induscore » (précisant, sur le modèle du Nutriscore, le pourcentage de fabrication du panneau en Europe) afin de se saisir des possibilités offertes par le NZIA (Net-Zero Industry Act) dès 2025 pour renforcer la production sur le sol européen.

« L'idée du NZIA est de répondre à l'IRA et d'encourager les achats de panneaux fabriqués en Europe, en imposant notamment l'introduction d'un critère hors prix qui puisse peser lui aussi de 15 à 30% dans la note finale des appels d'offres. Reste à savoir comment les Etats membres se serviront des dérogations prévues, qui pourraient quant à elles limiter in fine la portée du NZIA », conceptualisait néanmoins avant cette annonce le cabinet Xerfi.

* Contacté, Bercy n'a pas retourné nos demandes concernant ce dossier.

(publié le 10/04/2024 à 10:10, mis à jour à 11:21)

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 7
à écrit le 10/04/2024 à 17:16
Signaler
Sans des droits de douane de 60% ou plus sur les importations chinoise Photwatt est condamné et Carbon n'ouvrira jamais. Changer à la marge les critères des appels d'offres ne suffira pas. Et même avec cette protection doaunière rien n'est assuré. D...

à écrit le 10/04/2024 à 17:04
Signaler
C'est interessent comment les français peuvent pas trouver des clients pour leurs produits.Quel est le probleme avec les chinois.L'Inde va jamais acheter des produits chinois, autres pays aussi ne veulent pas des produits chinois, mais seulement pour...

à écrit le 10/04/2024 à 13:40
Signaler
Taxer les panneaux solaires Chinois ? NON? Une installation solaire individuelle est NON RENTABLE même avec des panneaux Chinois à bas coûts. Il faut abandonner cette technologie coûteuse et plutôt consacrer les fonds en construisant 1 ou 2 EPR sup...

à écrit le 10/04/2024 à 12:01
Signaler
Que fout l Europe pour imposer aussi son energy act ?mme Vestager Il est temps que l’ Europe s adapte à son environnement et ses concurrents faute de quoi vous renforceras la défiance et je populisme en Europe …

le 10/04/2024 à 14:44
Signaler
Des entreprises allemandes de ce domaine sont déjà en train de se délocaliser vers les USA. Le destin de Photowatt est le dépôt de bilan puis la fermeture pure et simple...après les élections européennes. Que fait l'Europe ? Elle enquête sur un évent...

à écrit le 10/04/2024 à 12:01
Signaler
Que fout l Europe pour imposer aussi son energy act ?mme Vestager Il est temps que l’ Europe s adapte à son environnement et ses concurrents faute de quoi vous renforceras la défiance et je populisme en Europe …

le 11/04/2024 à 0:49
Signaler
@Gilou - l'Allemagne a trop à perdre avec la Chine comme client. Donc, elle ne poussera pas pour taxer fortement les produits qui arrivent de ce pays.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.