AOP Noix de Grenoble : « Etats-Unis, Chili : une distorsion de concurrence qui nous force à nous organiser »

INTERVIEW. Détentrice d’une AOC depuis 1938, puis d’une AOP depuis 1996, la filière de la Noix de Grenoble est l’une des deux seules variétés de son domaine à être protégée par une appellation à l’échelle française. Et face à la concurrence féroce que représentent les deux principaux mastodontes à l’export (Etats-Unis et Chili), elle est désormais entrée en discussions avec sa voisine du Périgord afin de bâtir une filière nationale de la noix. Objectif : lui permettre de porter ses revendications à l’échelle européenne.
En plus de travailler à la structuration d'une filière interprofessionnelle à l'échelle nationale, la Noix de Grenoble planche également sur un projet de mettre également ses cerneaux sous appellation, alors que son AOP visait jusqu'ici uniquement les productions en coque.
En plus de travailler à la structuration d'une filière interprofessionnelle à l'échelle nationale, la Noix de Grenoble planche également sur un projet de mettre également ses cerneaux sous appellation, alors que son AOP visait jusqu'ici uniquement les productions en coque. (Crédits : DR/Ginette-CING)

La Tribune - La Noix de Grenoble est connue à l'échelle française mais aussi internationale avec son Appellation d'origine contrôlée (AOC), convertie en Appellation d'origine protégée (AOP) depuis bientôt 30 ans. Pour autant, elle ne représentait encore qu'une fraction minime du marché mondial (5% en 2022), avec 16.500 tonnes produites dans des exploitations familiales ?

Nathalie Gaillard, coordinatrice du comité de la Noix de Grenoble (CING) : « Notre appellation regroupe en effet 700 producteurs répartis sur trois départements : l'Isère, la Drôme et la Savoie. Ce sont environ 6.800 hectares qui sont cultivés chaque année, avec trois principales variétés : la franquette, la maillette et la parisienne. Mais nous demeurons un joueur de petite taille, lorsque l'on compare les 12.000 à 14.000 tonnes produites chaque année ici aux 40.000 tonnes de noix produites annuellement sur le marché français (tous labels confondus).

Sur la scène mondiale, nous faisons face à des acteurs comme les Etats-Unis ou la Chine, qui produisent respectivement 700.000 et un million de tonnes de noix par an, pour une production mondiale estimée à 3,2 millions de tonnes (tous labels confondus).

Notre filière reste très dépendante des cours mondiaux car elle aussi très exportatrice : environ 60% de notre production part sur le marché européen. Or, depuis 2018, les prix ont commencé à chuter et ont poursuivi leur dégringolade en 2022 en raison de la forte concurrence venue des Etats-Unis et du Chili sur nos deux principaux marchés (Allemagne et Italie) ».

Vous vous retrouvez donc dans les revendications des agriculteurs évoquées au cours des dernières semaines : avec quelles attentes de la part de l'Etat ?

Nathalie Gaillard : « Nous avons nous aussi des enjeux de distorsion de concurrence, car nous faisons face à des pays qui produisent de manière plus intensive et utilisent des produits interdits par le droit français, jugés trop dangereux pour la santé et l'environnement.

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Ils développent également des méthodes d'irrigation et de fertilisation très différentes, en choisissant de fertiliser en fonction des besoins de la plante, sans évaluer les apports du sol. L'ensemble de ces paramètres font qu'ils arrivent à proposer des prix au kilo en dessous des 2 euros au départ des stations de première mise en marché, là où nos productions se situent plutôt à 2,80 euros le kilo.

Le Chili est par exemple un pays qui a multiplié par dix sa production en l'espace une dizaine d'années grâce à des fonds d'investissements qui, voyant que le marché de la noix était porteur, ont investi massivement dans des milliers d'hectares. Mais s'ils voient que d'ici 10 à 15 ans le marché ne prend pas suffisamment, ils arracheront tout ! Alors que chez nous, nous avons l'habitude de dire que nous plantons pour trois générations. »

Vous demandez à la fois « l'application de clauses-miroirs » pour que la France et l'Europe interdisent certaines importations qui ne respectent pas les normes européennes, mais aussi « un durcissement des droits de douane » afin que la Noix de Grenoble AOP reste compétitive face à ses concurrentes ?

Nathalie Gaillard : « Aujourd'hui, nous misons surtout sur l'application des « clauses-miroirs » qui permettent de ne pas vendre en France des produits qui ne sont pas cultivés dans les mêmes conditions que chez nous. Mais il s'agit d'une discussion qu'il faut avoir au niveau européen également. Et pour cela, il nous manquait jusqu'ici un échelon car nous n'avions pas d'organisme interprofessionnel pour porter nos revendications.

Nous avons donc lancé, depuis l'automne dernier, des discussions avec le second AOP de la filière, la noix du Périgord, en vue de bâtir une filière nationale qui nous permette de porter ensemble notre voix au niveau français et européen. Cela devrait déboucher, nous l'espérons d'ici la fin d'année, sur une forme juridique qui reste encore aujourd'hui à déterminer et sur une feuille de route commune. »

Avez-vous d'autres pistes de travail amorcées au sein de votre filière : pouvez-vous également agir sur la diversification voire la transformation de votre production ?

Nathalie Gaillard : « L'une de nos principales pistes serait d'investir davantage le marché français, où il existe encore une marge de manoeuvre pour booster la consommation. Nous sommes en relation avec le ministère de l'Agriculture à ce sujet afin de développer une campagne de communication pour inciter les Français à connaître les bienfaits et à consommer des noix françaises.

Nous travaillons aussi sur une diversification de notre offre, avec le projet de mettre également le cerneau sous appellation. Car jusqu'ici, la filière avait misé sur la commercialisation de la noix en coque, qui semblait le meilleur moyen d'assurer une bonne conservation des saveurs, mais les modes de consommation ont évolué et le cerneau répond lui aussi aujourd'hui à une demande. »

 À l'image du monde agricole et de la viticulture, la noix de Grenoble a été elle aussi largement secouée par les aléas climatiques au cours des deux dernières années. Quel impact cela a-t-il eu sur vos noyeraies ?

Nathalie Gaillard : « Les épisodes se succèdent depuis quelques années : en 2019, nous avions connu une grosse tempête avait déjà mis à mal 10% du verger, suivie en 2020 d'une nouvelle vague de tempête et de grêle, puis en 2021, d'un important épisode de gel, et en 2022, la sécheresse... L'année 2023 a été un peu moins dramatique.

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Mais paradoxalement, l'année 2022 où la sécheresse a été forte s'est accompagnée d'un niveau de production historiquement élevé (+40% en moyenne, soit 7.500 tonnes). Du jamais vu pour la filière ! Cela s'explique à la fois par le fait que les seuls épisodes de pluie soient arrivés à des moments charnières pour les récoltes, et aussi par l'absence totale d'épisode de grêle sur cette année. »

Le travail d'adaptation au changement climatique a déjà commencé pour votre filière ?

Nathalie Gaillard : « Notre verger aura nécessairement besoin d'une adaptation : le principal enjeu pour nous, c'est que les espèces que nous avons s'installent sur temps long. On plante depuis 75 ans et notre retour sur investissement ne se fait pas avant 10 à 15 ans. Nous avons par exemple entamé un travail avec la Chambre d'agriculture car l'un de nos principaux écueils reste l'accès à l'eau.

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Nous étudions notamment différents moyens de lutte, avec l'utilisation de bandes enherbées, de couverts végétaux ou d'apports organiques afin de mieux retenir l'eau et d'enrichir les sols. Un programme expérimental mené dans le cadre du plan Ecophyto étudie également un ensemble de pratiques pour réduire l'utilisation des pesticides, comme la lutte biologique, les conduites culturales visant à écarter encore davantage les plantations, ou encore le piégeage des insectes afin de mieux cibler et d'espacer les traitements.

Aujourd'hui, nos moyens d'actions se situent davantage sur les méthodes de culture que sur de nouvelles variétés, qui ne rentreraient de toute façon pas dans notre cahier des charges. »

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