Après l'IGP, les fromages de Savoie en route vers l'AOP dans un souci de consolidation

Réunis sous trois Indications géographiques protégées (IGP) depuis 2017, les fromages de Savoie (Raclette, Tomme et Emmental) déposent cet automne une demande de reconnaissance en Appellation d'origine protégée (AOP). Pour cette filière d'environ 680 exploitants, déjà bien organisée, ce label européen constituerait une nouvelle reconnaissance face à la concurrence. Elle espère, grâce à l'aboutissement d'un long travail commun, éviter les écueils du passé et s'affirmer auprès des distributeurs.
La Tomme de Savoie fait partie des trois fromages dont la demande de reconnaissance en Appellation d'origine protégée (AOP) vient d'être déposée auprès de l'INAO.
La Tomme de Savoie fait partie des trois fromages dont la demande de reconnaissance en Appellation d'origine protégée (AOP) vient d'être déposée auprès de l'INAO. (Crédits : @SavoieMontBlanc-Bijasson)

Du goût des participants, ce dossier, vieux d'une trentaine d'années, a enfin trouvé la bonne formule pour être officiellement présenté. La filière des trois fromages de Savoie à Indication géographique protégée (IGP), à savoir la Raclette, la Tomme et l'Emmental, finalise en ce moment les contours de son dossier pour le dépôt d'une demande d'obtention de trois nouvelles Appellations d'origine protégée (AOP), délivrées par l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO). Après trois années de travail pour leur conception commune, et leur concertation auprès des quelque 680 exploitants laitiers associés, l'heure est enfin au franchissement de la première étape en direction d'un gage de qualité et de reconnaissance de ce savoir-faire géographique. Cinq appellations existent déjà pour d'autres fromages dans la région, à savoir le Beaufort, le Reblochon, l'Abondance, la Tome des Bauges et le Chevrotin.

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Une candidature collective pour trois AOP

Déposée dans les prochains jours auprès de l'institution référente, cette candidature collective se veut d'abord singulière : elle réunit en effet les trois produits, donc trois savoir-faire et trois dossiers dans un même objectif de reconnaissance et de qualité. Les sujets ont pour point commun la similarité de leur cahier des charges sur la production laitière, comme c'est déjà le cas des IGP actuelles. Type d'herbages, races de vaches, temps au pâturage... les critères sont non seulement renforcés (la part d'herbages dans l'alimentation passerait par exemple de 50 % à au moins 70 %), mais aussi étendus, avec la formalisation de nouveaux aspects, comme le bien-être animal (avec la définition d'un espace minimum en bâtiment). Pour le reste, notamment la fabrication et l'affinage, chaque produit disposerait d'un cahier des charges propre (sur les temps de chauffe, le moulage ou encore les quantités). Le tout, « en ne laissant personne sur le côté », souligne Thomas Dantin, président de l'IGP Raclette de Savoie.

L'aboutissement d'une « bonne entente »

Car malgré des oscillations historiques dans les volontés des trois filières, et surtout l'échec du dossier en Appellation d'origine contrôlée, déposé dans les années 1980, les représentants d'exploitants se sont finalement rapprochés au profit d'une stratégie commune. Dans la continuité de l'obtention des trois IGP, décision a été prise en 2019 d'entamer cette nouvelle longue route vers l'AOP, cette fois main dans la main. Car le chemin s'annonce sinueux, ponctué d'allers-retours avec les autorités européennes. Son issue ne s'annoncerait que dans « plusieurs années », pas même nommées, déclare Céline Pignon, directrice de Savoicime, l'Organisme de défense et de gestion (ODG) de la filière.

« Nous nous inscrivons dans une démarche au long cours. Il y avait déjà un historique de travail entre la Tomme, la Raclette et l'Emmental de Savoie, du fait d'opérateurs en commun et très souvent engagés dans plusieurs de ces trois appellations IGP. Cet historique de travail commun s'est transformé avec la possibilité de créer un syndicat pour plusieurs produits en la création de Savoicime, en 2008 », poursuit Céline Pignol.

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Se renforcer à la distribution

Désormais, il s'agit surtout de « renforcer » l'existant, le consolider, face à une concurrence venue notamment des autres régions de France, et dans un contexte agricole de montagne contraignant, en mutation avec le changement climatique. « Nous avons toujours des noms génériques, précise Thomas Dantin. Il faut être toujours plus ou mieux que les autres pour se faire repérer ».

« La reconnaissance en AOP, c'est aujourd'hui un projet stratégique, collectif, et pas uniquement agricole. C'est un projet de territoire où il faut anticiper les attentes sociétales, le changement climatique. On a identifié plusieurs facteurs externes et internes à la filière. Déjà, c'est une meilleure représentation au niveau national et européen, avec une vision politique beaucoup plus importante. Il y a aussi un meilleur référencement par les distributeurs », explicite Thomas Dantin.

L'AOP ouvre en effet des perspectives : une meilleure reconnaissance par le consommateur, et souvent de nouveaux marchés. Mais contrairement à d'autres produits protégés par une AOP, comme le Comté, ou encore l'Huile d'olive de Provence, la production de ces fromages de Savoie reste trop marginale pour véritablement peser à l'export. Le sujet n'est donc pas tant de diversifier la distribution, que de la soutenir, à l'heure où le label « AOP » ferait vraiment la différence auprès des consommateurs et surtout, des distributeurs, explique Céline Pignol :

« Des études ont été réalisées par le Centre national interprofessionnel de l'économie laitière (CNIEL) afin d'évaluer la connaissance par le consommateur des différents types de démarches de qualité. De très loin, l'AOP est placée devant, là où l'IGP n'est pas un signe de qualité connu, alors de là à dire qu'il est reconnu... Il y a une meilleure reconnaissance de la part du consommateur derrière le signe AOP »

« La finalité de la démarche, c'est d'avoir encore, demain, une agriculture locale, de qualité, dans une logique de progrès continu. Si on veut demain être encore différencié d'un point de vue commercial, il faudra être en capacité d'évoluer, de répondre à des nouveaux sujets, aux attentes des consommateurs. Mais aussi renforcer nos produits en termes d'arguments commerciaux pour leur distribution. Avant de convaincre le consommateur, il faut déjà convaincre le distributeur. »

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Côté distribution, les principaux points de vente se situent principalement dans l'ancienne région Rhône-Alpes : rayons à la découpe des grandes et moyennes surface, marchés, spécialistes. Peu de chance de trouver ces produits dans les rayons frais sous cellophane. La concurrence, qui n'en est plus vraiment une, vient de la grande distribution et les prix n'ont, déjà, rien de comparable. Alors, à la question d'une nouvelle augmentation à l'étiquette, d'une « prémiumisation » des fromages savoyards, Céline Pignol mime n'en avoir « aucune idée », s'appuyant par ailleurs sur les contradictions des attentes des consommateurs entre les critères de qualité et le prix à l'achat. Mais les trois fromages en question disposent déjà de leurs propres marchés et d'une base de consommateurs. Leur marche vers l'homologation AOP n'en sera que moins lente, estiment ses acteurs.

Attention à la compétition interne

Le plus grand risque, selon Thomas Dantin, ne concerne pas tant la concurrence des autres AOP, que l'implosion en interne. Car les 450 producteurs IGP représentent déjà 90 à 95 % du volume de fromages fabriqués. De même, près de 30 % de leur lait sert à fabriquer d'autres productions, hors appellation (comme des fromages fumés, aux goûts et aux caractéristiques particulières, hors champ d'homologation). Ce lait peut être remobilisé en cas de besoin, estime la fédération. D'où « l'absence de compétition » sur le lait, avance Thomas Dantin.

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« La plus grosse crainte, ce serait plutôt une compétition interne entre nos trois fromages, qui ont des rendements différents. Mais nous souhaitons les préserver dans leur intégralité, parce qu'ils ont tous un intérêt, avec un affinage et des particularités différents. C'est notamment le cas de l'Emmental, où seulement trois ateliers en produisent 2.500 tonnes par an, contre 15.000 tonnes dans les années 1980. Il y a un enjeu de conservation et on sait qu'une AOP pourra faire progresser ce fromage auprès de nos consommateurs ».

C'est aussi pour pallier ce risque que la candidature commune a été pensée. Elle permet, à ce titre, à chaque exploitant habilité, d'ouvrir une production de l'un des trois fromages reconnus. Mais attention au double effet : si cela permet de mener en même temps plusieurs activités de front, en adaptant la part de chacune, cela pourrait aussi renverser la balance en faveur des plus rentables, Raclette en tête, Emmental en queue du petit peloton. Mais Thomas Dantin voue une confiance en cette filière locale, de Savoie, apparemment résiliente. Maintes fois menacée, elle renaît peu à peu de ses cendres, après avoir traversé l'Hexagone jusqu'à l'Ouest de la France, où elle s'épanchait alors dans les années 1960.

À retenir


  • 6.500 t

    C'est la quantité de Tomme de Savoie IGP produite chaque année, dont 500 tonnes en production fermière.

  • 16.500 t

    C'est la différence entre la quantité annuelle de Raclette produite en Savoie et labellisée IGP (3.500 t) et la Raclette produite en France (20.000 t).

  • 1 %

    C'est la part d'Emmental produit en Savoie et labellisé IGP chaque année (2.500 t), sur la production totale française (240.000 t).

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