Puy-de-Dôme : une trentaine d’agriculteurs veulent construire les deux plus grosses retenues d’eau agricoles de France

Deux réservoirs artificiels d’eau pourraient voir le jour d’ici à 2026 à une vingtaine de kilomètres de Clermont-Ferrand. Différentes études sont en cours de réalisation. Le dossier devrait être déposé dès le début d’année prochaine. S’il aboutit, ces retenues d’eau agricoles deviendraient les plus importantes de France en volume. L’objectif : irriguer 800 hectares de cultures, répartis sur 36 exploitations agricoles du territoire, lors des périodes de sécheresse. Une question de survie et de souveraineté alimentaire défendent les agriculteurs à l’origine de ce projet estimé entre 20 et 25 millions d’euros. Mais les opposants dénoncent un « modèle agricole destructeur ».
Deux retenues d'eau agricoles, plus grandes que celles de Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres (en construction sur la photo), pourraient être construites dans le Puy-de-Dôme.
Deux retenues d'eau agricoles, plus grandes que celles de Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres (en construction sur la photo), pourraient être construites dans le Puy-de-Dôme. (Crédits : Reuters)

C'est un projet qui va, sans conteste, faire beaucoup parler de lui dans les prochains mois dans le département du Puy-de-Dôme. Deux réservoirs artificiels d'eau pourraient voir le jour d'ici trois ans à une vingtaine de kilomètres de Clermont-Ferrand. C'est en tout cas le souhait de 36 agriculteurs, répartis sur 15 communes de la vallée de Limagne, qui se sont rassemblés au sein de l'association syndicale libre des Turlurons.

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Depuis quelques mois, ces retenues d'eau, qui servent à pomper et à stocker l'eau l'hiver pour irriguer les cultures l'été, se multiplient sur le territoire national, suscitant l'opposition d'habitants ou d'associations écologiques qui les qualifient de « mégabassines ». Le cas le plus emblématique est celui de Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres, décrié pour son impact environnemental. Les détracteurs dénoncent notamment une privatisation de l'eau par une minorité d'agriculteurs.

Sécuriser les rendements et les revenus

En Auvergne, les agriculteurs défendent, de leur côté, un projet vital, qui répond à un enjeu de souveraineté alimentaire. Ces bassines de 15 à 18 hectares pourraient leur assurer un meilleur approvisionnement en eau afin d'irriguer, l'été, 800 hectares de culture de maïs, tournesol ou encore d'ail (l'Auvergne assure, pour ce dernier, 5% de la production nationale). Avec un volume de 1,25 million de mètres cubes pour l'une (l'équivalent du volume d'eau de 500 piscines olympiques) et de 1,05 million de mètres cubes pour l'autre, cela en ferait les plus grosses retenues d'eau agricoles en France. Elles seraient situées sur les terres des agriculteurs, dans les communes de Bouzel et de Saint-Georges-sur-Allier, et seraient alimentées par la rivière voisine, l'Allier.

« Nous subissons de plus en plus les aléas climatiques et nos rendements sont incertains. Face à ce constat, nous devions trouver une solution pour sécuriser nos productions et donc nos revenus. Ces filières ont été construites par nos ainés et nous tenons à préserver notre outil de travail. C'est pourquoi ces réservoirs ont du sens », souligne François Coutarel, l'un des agriculteurs, membre de l'association, lui-même à la tête d'une exploitation de 100 hectares.

La Chambre d'Agriculture du Puy-de-Dôme, qui soutient ce projet de bassines, dresse le même constat. « Nous faisons face à des épisodes pluvieux plus intenses mais aussi plus rares. Il faut absolument que l'on stocke l'eau et pas seulement pour l'agriculture, mais pour l'industrie et l'eau potable également. C'est un sujet transversal. Ces réservoirs sont une sorte de système assurantiel », analyse Bertrand Nicolas, vice-président de la Chambre d'Agriculture.

Pompage de l'eau dans l'Allier

Pour l'association syndicale libre des Turlurons, ces bassines sont non seulement nécessaires pour faire face au changement climatique, mais aussi pour développer de nouvelles productions et rendre le métier plus attractif.

« Nous aimerions nous diversifier encore plus, faire de la pomme de terre, des plantes aromatiques et médicinales, augmenter la production d'ail, des cultures à forte valeur ajoutée. 80% de nos productions sont destinées à l'alimentation humaine et la majorité de notre blé et de notre maïs est transformée localement, » tient à préciser Vincent Delarbre, autre agriculteur engagé dans le projet.

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Après avoir lancé la réflexion autour de ces réservoirs en 2012, l'association s'est créée en 2016. Différentes études, qu'elles soient économique, géologique ou paysagère, sont désormais en train d'être menées. Le dossier devrait être déposé au premier semestre de l'année prochaine auprès de la Direction départementale des Territoires et l'association espère pouvoir commencer les travaux en 2025, pour une mise en service des réservoirs en 2026.

« La loi nous autoriserait à pomper entre novembre et mars, quand l'Allier a un débit important, supérieur à 47,5 mètres cubes par seconde. Nous pomperions l'eau qui s'écoule dans la rivière », argue Philippe Planche, céréalier et éleveur bovin à Billom.

« On est dans l'agro-industrie » selon les opposants

Et ces agriculteurs l'assurent. Derrière ce projet, il y a un enjeu de maintien d'un modèle agricole familial, « à taille humaine », sur le territoire. Dans le contexte de dérèglement climatique, sans ces retenues d'eau, une exploitation sur trois disparaîtrait dans les prochaines années selon eux. Car l'absence d'irrigation n'inciterait pas à la reprise des exploitations.

« Lors de la sécheresse de 2019, nous avons par exemple perdu 30 à 50% de notre production et donc de notre chiffre d'affaires. C'est très compliqué. J'ai repris l'exploitation familiale en 2013 car il y avait déjà de l'irrigation sur une partie de la ferme ce qui permettait de faire du maïs semence (production de semis de maïs, vendu au semencier Limagrain, ndlr). Cette production est plus rémunératrice », témoigne Vincent Delarbre.

Tous ces arguments, Pierre, membre du Collectif Bassines Non Merci 63, les connaît et entend les déconstruire. Pour ce farouche opposant au projet de retenues, il s'agit d'un discours de justification qui mérite d'être contextualisé.

« Ils ont un discours de façade pour faire passer la pilule en disant qu'ils vont produire des herbes aromatiques ou de l'ail. Mais la réalité, c'est que cette irrigation va leur permettre d'étendre leur culture de maïs semence, qui demande beaucoup d'eau l'été et rapporte plus d'argent. Derrière ce projet, il y a surtout le groupe Limagrain, quatrième semencier mondial. Le maïs semence est un marché international très lucratif. D'ailleurs, le président de Limagrain est l'un des agriculteurs à l'origine du projet. On est dans l'agro-industrie », affirme Pierre, qui ne souhaite pas révéler son nom.

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Des affirmations que veut rectifier Limagrain. Le groupe assure que, certes, certains des agriculteurs sont adhérents à la coopérative mais que cette Association syndicale libre s'est constituée « indépendamment ». Il ne compte d'ailleurs pas financer directement le projet. Dans un communiqué fourni à La Tribune, le semencier précise que ces retenues « sont l'une des solutions pour limiter les conséquences du changement climatique et permettre aux agriculteurs de continuer leurs activités en Limagne ». L'entreprise écrit aussi qu'elle s'engage « dans l'expérimentation de pratiques agronomiques résilientes ».

Différences avec Sainte-Soline

Mais pour la cinquantaine de membres actifs du Collectif Bassines Non Merci 63, c'est le modèle entier qu'il faut changer. Ils militent pour une « agriculture paysanne ». Pour eux, l'« agriculture chimique », telle qu'elle est pratiquée depuis 60 ans dans ces champs, a détruit la structure des sols. Résultat, ces derniers ne retiennent plus l'eau.

« Nous ne livrons pas bataille contre ces agriculteurs mais contre le système. Ces céréaliers ont, de fait, besoin de ces bassines parce qu'ils manquent d'eau, mais c'est un cercle vicieux. C'est une fuite en avant. On ne peut pas cautionner ce système destructeur dans lesquels ils sont enfermés », continue Pierre.

Quand on fait le parallèle avec les bassines de Sainte-Soline, le militant reconnaît des différences. « Nous ne sommes pas sur le même type d'exploitations, ici c'est vrai qu'elles sont de taille modeste. Techniquement, c'est aussi différent. Ce ne sera pas un pompage dans les nappes phréatiques comme à Sainte-Soline. En revanche, il y aura aussi des dégâts et ils seront proportionnels à la quantité d'eau stockée. Le projet prévoit de bâcher 33 hectares avec du plastique, » s'insurge ce membre du Collectif Bassines Non Merci 63, allié à la Confédération paysanne.

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Parmi les autres critiques formulées par les opposants : les effets de ces pompages sur le milieu aquatique ou encore l'accaparement de la ressource, sans compter que ces bassines favoriseraient l'évaporation de l'eau stockée. Sur ce point, les agriculteurs prévoient l'installation de panneaux photovoltaïques flottants sur l'eau pour limiter le phénomène et produire, en même temps, de l'électricité verte (20.000 mégawattheures par an).

« Nous entendons les critiques et sommes ouverts au dialogue. Nous avons conscience qu'il faut prendre soin de l'eau. Nous ne ferons pas n'importe quoi avec l'irrigation... Aussi parce que cela a un coût », pointe Philippe Planche.

Projet estimé entre 20 et 25 millions d'euros

Car pour pomper l'eau dans l'Allier, les agriculteurs devront s'acquitter d'une taxe auprès de l'agence de l'eau Loire-Bretagne. Sans compter les investissements nécessaires pour construire ces bassines et les réseaux de redistribution, entre les pompes et les canalisations. Pour boucler le projet, l'association compte sur des subventions venant de l'Union européenne, de l'Etat et de la Région et sur le mécénat d'entreprises.

« Sans aide, nous ne pourrions pas financer le projet. Avec les études, les travaux, le coût du pompage nous estimons la facture entre 20 et 25 millions d'euros », calcule Philippe Planche.

Enjeu de communication

Et au-delà de cet enjeu financier, l'association syndicale libre des Turlurons sait qu'elle doit communiquer auprès de la population car ces bassines suscitent déjà des interrogations. « C'est peut-être l'ampleur du projet et la taille de ces retenues qui fait peur aux gens. Mais il est plus vertueux de faire un projet collectif que d'avoir 36 retenues individuelles. Ce serait moins viable et moins sécurisé », argumente Bertrand Nicolas de la Chambre d'Agriculture du Puy-de-Dôme. Le projet risque, à coup sûr, de générer des tensions et le spectre de manifestations qui dégénèrent, comme à Sainte-Soline, est dans toutes les têtes.

« Nous craignons que le débat se déplace au niveau national et que l'on devienne un symbole pour les opposants à ce type de retenues. Nous sentons bien que le sujet est sensible, mais nous faisons les choses dans les règles et en toute transparence, » conclut François Coutarel.

Les opposants au projet ont déjà annoncé qu'ils déposeraient des recours en justice dès que le dossier serait lancé administrativement. De leur côté, les élus du conseil communautaire de Clermont-Ferrand Métropole ont appelé, fin septembre, à un moratoire sur le projet auvergnat, en attendant que soit organisé un débat citoyen sur la priorisation des usages de l'eau. Cela reste pour l'instant un vœu (à l'origine formulé par les élus écologiques de la collectivité).

 Les retenues illégales seront détruites

Une réunion de travail avait lieu en début du mois de novembre autour du ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau, pour évoquer la mise en œuvre du volet agricole du « plan eau ». A cette occasion, le ministre est revenu sur le sujet controversé des réserves de substitution, qualifiées de mégabassines par les détracteurs aux projets. Marc Fesneau a rappelé que celles qui sont illégales seront détruites, dans le « respect de l'autorité de la chose jugée ». En revanche, elles seront maintenues lorsqu'elles sont estimées « utiles » au niveau territorial. Selon le ministère, les réservoirs ne sont qu'« un outil parmi d'autres » pour répondre au défi de la raréfaction de la ressource, au même titre que l'efficience et l'adaptation des pratiques culturales, promet le gouvernement.

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Commentaires 19
à écrit le 30/11/2023 à 4:04
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au moins les écolos vont pouvoir se montrer et prouver leur existence

à écrit le 25/11/2023 à 17:37
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Les agriculteurs ou la FNSEA veulent ces bassines ? Les agriculteurs sont mal rémunérés et ils produisent souvent des produits de piètres qalités, des fruits et des légumes sans goût et trop sucrés, des viandes quelconques.

à écrit le 25/11/2023 à 13:25
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Du moment où il n'y a pas de prélevemets des nappes ça mérite au moins d'être évalué, mais quand on regarde l'évolution de notre balance commerciale agro-alimentaire on se pose des questions si un modèle qui nous fait perdre sur les deux plans enviro...

à écrit le 25/11/2023 à 13:12
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L'eau est le sang de l'agriculture. Je soutiens les agriculteurs qui construisent et exploitent ces réserves d'eau avec l'autorisation de l'État. L'eau qui tombe sur NOTRE territoire doit être exploitée au mieux, en tendant vers un optimal. Son accès...

à écrit le 25/11/2023 à 12:16
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L'eau a été depuis longtemps privatisée par l'agro-industrie qui la gaspille et la pollue en masse pour quelques mégas milliardaires tandis que nous avons deux suicides par jour chez les agriculteurs qui pourtant valident les délires de leurs bourrea...

à écrit le 25/11/2023 à 9:27
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avec cela ils vont arroser du maîs pour fournir les methaneries !!!!!!! la nourriture pour l'humain ils s'ent foute !!!!!! on ne resoudra pas la pollution de cette maniere

le 25/11/2023 à 17:40
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bien d'accord avec vous, il faudrait imposer des contraintes, comme ne pas s'en servir pour arroser du maïs au mois d'août

à écrit le 25/11/2023 à 9:17
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Une nouvelle qui va ravir nos écologistes et leur offrir un nouveau terrain de contestation et de jeu cette été

à écrit le 25/11/2023 à 8:21
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Financé par 80% d'argent publique.

à écrit le 25/11/2023 à 1:53
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Afin d'éviter l'évaporation en créant une ombrière, on pourrait utiliser une 2e fois ce foncier en plaçant des panneaux solaires au dessus de l'eau ...!!??!

à écrit le 25/11/2023 à 1:06
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Tres bonne nouvelle, cela reduira la pression sur les nappes phréatiques en été.

à écrit le 24/11/2023 à 20:41
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Soit la réserve d'eau provient d'eau de pluie , c'est ce que l'on voit dans le sud ouest et qu'on appelle retenues collinaires et c'est indispensable quand les ruisseaux sont taris .Soit la réserve est alimentée par une nappe phréatique et là les agr...

à écrit le 24/11/2023 à 20:03
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Ça fait peur.

le 25/11/2023 à 5:04
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Ca ait peur aux bobos parisiens qui préfèrent acheter des légumes espagnols, pays qui a 5 fois plus de bassines que la France.

le 25/11/2023 à 8:49
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Heu les gars vous voulez pas me payer pour m'auto-troller plutôt ? Je ferais un bien meilleur boulot ! ^^

à écrit le 24/11/2023 à 18:21
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Parler de "souveraineté alimentaire" de la part de ces agro productivistes a quelque chose d'indécent. Pour tous ces projets démesurés, il s'agit d'abord de continuer à produire des céréales qui sont massivement exportées (près de 48% des grains prod...

le 25/11/2023 à 13:22
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@BIOMAN : Je vous rappelle qu'il est interdit aux gauchistes de boire de l'eau douce et de consommer des fruits, des légumes et de la viande. Ces aliments NOUS sont réservés ! De plus, les gauchistes doivent s'astreindre à ralentir leur respiration ...

à écrit le 24/11/2023 à 18:19
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Les bassines, pourquoi pas SI on ne les remplit pas avec l'eau des nappes phréatiques.

le 24/11/2023 à 21:12
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C’est toujours le cas. Le long de l’Isère, nous avons un canal artificiel qui sert à l’irrigation, sur des dizaines de kilomètres, l’équivalent de pas mal de megabassines. Le mois dernier l’Isère était en crue, les agriculteurs auraient pu en profite...

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