Industrie, mobilité pour les JO 2030 : le double pari de Lhyfe avec un projet d'hydrogène vert en Savoie

C'est un protocole d'accord qui se discutait depuis plusieurs mois en coulisses. En Savoie, le producteur d'hydrogène vert Lhyfe vient d'officialiser une entente avec l'aciériste Ugitech (groupe Swiss Steel). A la clé : le lancement des études de faisabilité pour la création d’une unité de production d’hydrogène vert à Ugine. L'ambition est double : décarboner une partie des activités industrielles de l’aciériste, mais aussi contribuer aux enjeux de mobilité locale liés au tourisme d'hiver. Quitte à en faire une vitrine pour les Jeux Olympiques d'hiver de 2030 ?
Construite en 2020, l'usine hydrogène de Bouin en Vendée est le premier site de production d'hydrogène vert français on shore de Lhyfe. En Auvergne Rhône-Alpes, un nouveau projet savoyard pourrait devenir la seconde implantation du groupe, avec des débouchés principalement attendus dans le domaine de l'industrie.
Construite en 2020, l'usine hydrogène de Bouin en Vendée est le premier site de production d'hydrogène vert français "on shore" de Lhyfe. En Auvergne Rhône-Alpes, un nouveau projet savoyard pourrait devenir la seconde implantation du groupe, avec des débouchés principalement attendus dans le domaine de l'industrie. (Crédits : DR/Lhyfe)

Après l'annonce de la création d'un site de production d'hydrogène vert, contractualisé pour la mi-2025 avec la société Hympulsion au Cheylas (Isère), c'est une seconde implantation qui pourrait bientôt voir le jour en Auvergne Rhône-Alpes.

Car depuis plusieurs mois, le producteur d'hydrogène vert nantais Lhyfe discutait en toute confidentialité avec un industriel de taille dans la région : l'aciériste Ugitech, membre du groupe Swiss Steel, qui produit chaque année jusqu'à 200.000 tonnes aciers inoxydables entrant dans la fabrication d'une multitude de pièces (vannes, composants de turbines, baguettes de soudure, instruments chirurgicaux...)

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Dans le cadre de la feuille de route pour décarboner ses activités, Ugitech souhaitait se tourner vers l'hydrogène vert pour remplacer le gaz naturel utilisé dans certains de ses équipements thermiques. Le groupe avait pour cela entamé le projet Hydreams, bénéficiant d'une subvention de la part du fonds européen RFCS, aux côtés de neuf partenaires européens, afin de démontrer la faisabilité de cette substitution. Et avec, pour ambition, d'éviter à terme l'émission de 16.000 tonnes de CO2 par année.

« Ce projet, démarré en avril 2023 et se terminant en octobre 2027, permettra de vérifier que la combustion hydrogène n'aura pas d'impact négatif sur les procédés et les produits. L'étape suivante consistera à déployer cette nouvelle solution sur l'ensemble des outils pour lesquels l'électrification directe n'est pas compatible. C'est l'objet de ce protocole d'accord avec Lhyfe », confirme le directeur du développement chez Ugitech, Frédéric Perret, par voie de communiqué.

Un regroupement d'usages sous un même toit

Ce partenariat s'affiche comme « gagnant-gagnant » à plus d'un titre : car en permettant de décarboner les activités d'un leader de l'industrie métallurgique, ce nouveau site de production représenterait un nouvel emblématique pour la société Lhyfe (195 salariés ; déjà présente dans 12 pays) et ses débouchés croissants dans le secteur de l'industrie.

Le producteur Lhyfe le rappelle d'ailleurs volontiers : il s'agit du « premier accord visant à remplacer des énergies fossiles par de l'hydrogène vert dans le secteur de l'acier inoxydable en Europe ». Un hydrogène « décarboné » car pour rappel, issu d'un procédé d'électrolyse de l'eau, associé à une source d'énergie électrique renouvelable.

Il comporterait aussi un tout autre symbole, puisqu'une extension des usages est envisagée pour nourrir à la fois les besoins des industriels locaux, mais aussi de la mobilité hydrogène jusqu'aux stations de ski, notamment dans le cadre de la candidature des Alpes aux Jeux Olympiques 2030, qui prévoit de réaliser les premiers « jeux durables ».

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« Les JO d'hiver sont une occasion d'accélérer et d'accompagner les usages de l'hydrogène vers le secteur de la mobilité : les besoins sont présents, la solution est déjà connue et validée. La difficulté demeure de pouvoir obtenir un nombre de véhicules adaptés rapidement et on espère que la possibilité de recharger puisse aussi permettre d'accélérer la dynamique », considère Frédéric Naudi, directeur des grands comptes industriels de Lhyfe.

Prévu pour monter jusqu'à une capacité de 12 tonnes d'hydrogène vert par jour (soit une capacité d'électrolyse de 30 MW maximum), ce nouveau site visant à sortir de terre entre 2028 et 2030 flécherait en réalité les deux tiers de sa production directement à la consommation d'Ugitech, via un pipeline.

Un tiers de sa production restante pourrait cibler d'autres clients potentiels : que ce soit dans un environnement proche, afin d'alimenter une station de recharge ou un autre industriel à proximité sous forme de pipeline, ou bien dans un rayon plus large de 200 à 300 kilomètres, avec une livraison par la route, via des tubes trailers.

« Sur tous les projets, nous étudions les externalités venant améliorer le modèle économique de départ, comme de pouvoir répondre aux besoins d'autres acteurs de la métallurgie, très présents dans la région, ainsi que des stations de recharge de véhicules lourds, les flottes captives, les véhicules communaux, bennes à ordures, bus et camions, et pourquoi pas du ferroviaire », précise Frédéric Naudi.

A ce sujet, les yeux sont également tournés vers un autre dossier pris en main par Ugitech : celui de la reprise de l'ex-site Ferropem de La Léchère, distant d'une vingtaine de kilomètres, pour y installer une usine de recyclage de piles alcalines, Ugi'ring. Ce dossier, qui rencontre actuellement une levée de boucliers de la part d'une association de riverains locale, a fait de l'arrivée d'un pipeline en gaz naturel une question stratégique, avec la perspective qu'il soit converti à moyen terme à l'hydrogène. Hydrogène qui pourrait donc, d'ici 2030, être produit localement sur le site d'Ugine.

Plusieurs étapes pour atteindre une livraison d'ici 2028

Sur place, le dossier n'en est cependant qu'à son démarrage : l'accord officialisé la semaine dernière permet aux deux partenaires d'initier dans un premier temps les études de faisabilité du projet d'ici la fin de l'année, qui devrait occuper quelques milliers de mètres carrés à proximité d'Ugitech.

« La mise en œuvre du projet restera subordonnée aux conclusions de cette étude, à l'octroi d'autorisations d'exploitation et de permis de construire ainsi qu'à des décisions d'investissement financier », précise le producteur nantais, qui estime que l'étape suivante serait ensuite d'affiner la solution proposée et de valider les choix technologiques et financiers.

« Nous pourrions passer à une étape de développement plus intensive du projet courant 2025, pour une mise en service entre 2028 et 2030, avec l'objectif de pouvoir fournir de l'hydrogène pour les JO des Alpes 2030, et de pérenniser derrière la décarbonation du territoire », ajoute Frédéric Naudi.

Côté technologie également, la solution n'a pas encore été arrêtée à ce stade mais elle devrait se baser sur la fourniture d'un électrolyseur, couplé à un contrat d'achat d'électricité sous forme de PPA (des contrats d'énergie renouvelable de long terme conclus entre deux parties, ndlr). « Car contrairement à d'autres sites, les contraintes de production à l'échelle industrielle font que ce site ne pourra pas se baser uniquement sur des énergies renouvelables », indique-t-il.

Pour autant, cela n'empêchera pas les deux partenaires d'étudier à la fois la question de la provenance de l'électricité nécessaire au procédé d'électrolyse, dans une région fortement marquée par l'hydroélectricité, mais également d'y ajouter une part d'énergie produite en local, comme le photovoltaïque ou l'hydraulique.

Côté financement également, les enveloppes ne sont pas encore bouclées, mais on parle déjà d'un projet compris dans une fourchette « d'une dizaine de millions d'euros », dans lequel plusieurs parties pourraient mettre la main à la poche : le producteur et exploitant Lhyfe bien entendu, mais également dans une moindre mesure son client principal Ugitech, ainsi que les différents échelons de l'Etat, jusqu'aux collectivités locales, dont le soutien est attendu par Lhyfe pour contribuer à la décarbonation de l'industrie et à rendre l'hydrogène vert compétitif à l'échelle du territoire.

La course aux usages d'un pionnier de l'hydrogène vert

Une nouvelle qui vient doper la stratégie du pionnier de l'hydrogène vert Lhyfe, créé en 2017, et sa stratégie d'expansion, qui s'était faite jusqu'ici à l'échelle française par opportunités : car face à l'ambition affichée de déployer 20 MW de capacités installées d'ici fin 2024, et de disposer de 3 GW d'actifs sous gestion à horizon 2030, Lhyfe dispose quant à lui de trois sites de production en France (à Bouin en Vendée, à  Buléon au Morbihan et à Bessières, en Haute-Garonne) et construit actuellement plusieurs sites en Europe. Il affichait un chiffre d'affaires de 1,3 millions d'euros en 2023.

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« Le secteur de la mobilité nous a permis de démarrer, mais il est certain que la vitesse de déploiement de ce marché est plus lente qu'espéré au départ, même si des choses avancent. C'est pourquoi nous avons en parallèle développé le marché de l'industrie, où les cycles prennent du temps mais où les besoins de décarbonation sont très importants », reconnaît Frédéric Naudi, qui cite en exemple les secteurs de la métallurgie, de la verrerie et de la chimie, comme futures cibles susceptibles d'inclure la molécule H2 dans leur stratégie de décarbonation.

Après avoir connu une première phase de développement commercial « par opportunités » sur les régions des Pays de La Loire et de l'Ouest de l'Hexagone, Lhyfe entrevoit désormais une tendance sur le croissant industriel qui se dessine du Nord au Sud Est de la France. « C'est dans le Nord, l'Est, la région Auvergne Rhône-Alpes et le Sud-Est que devraient se concentrer le cœur de la demande industrielle », estime Frédéric Naudi.

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Même si les récentes données sur les débouchés de l'hydrogène vert, comme l'étude Sisyphe présentée en février dernier par le CEA, pointent une demande des industriels européens en hydrogène décarboné dix fois moins élevée que l'objectif de consommation visé par Bruxelles en 2030, Lhyfe reste confiant :

« Nous sommes aujourd'hui sur une courbe exponentielle : nous travaillons en Allemagne sur une unité d'une dizaine de mégawatts du même type que celle qui est envisagée en Savoie, et qui correspond au présent de Lhyfe. Et nous avons déjà des unités de plusieurs centaines de mégawatts en phase de développement, avec à chaque fois, un facteur de puissance 10 qui nous fait passer à l'échelle supérieure ».

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