Réindustrialisation : comment Fifteen avance sur le chemin du vélo fabriqué en France

Avec 60.000 vélos en circulation, l’entreprise lyonnaise se revendique leader européen des services publics de vélos en libre-service. Des vélos dont elle veut désormais amplifier le mouvement de relocalisation de production, entamé il y a quelques mois. Après le lancement d’une ligne d’assemblage mi-2023 dans le Pas-de-Calais, elle franchit un pas supplémentaire en co-développant une batterie avec l’Auvergnat GCK. La production de celle-ci est en cours de démarrage.
Fifteen confiait déjà la production d'un certain nombre de composants et de pièces à des industriels français mais elle veut accélérer le pas sur la relocalisation de sa production.
Fifteen confiait déjà la production d'un certain nombre de composants et de pièces à des industriels français mais elle veut accélérer le pas sur la relocalisation de sa production. (Crédits : DR)

50% de la valeur ajoutée liée à ses produits devra être réalisée en France d'ici la fin de l'année prochaine. C'est en tout cas l'objectif affiché par le Lyonnais Fifteen (issue de l'acquisition de Zoov par Smoove en 2021). Aujourd'hui, l'entreprise spécialisée dans les services publics de vélos en libre-service (60.000 vélos essentiellement électriques actuellement en circulation notamment à Marseille, Saint-Etienne, Auxerre, Epinal, Helsinki, Lima, Vancouver etc) affirme être positionnée à une proportion proche des 40%.

« La relocalisation est une priorité sous plusieurs aspects : notre empreinte carbone, notre réactivité, la sécurité des approvisionnements, une meilleure capacité d'innovation avec des co-développements locaux, etc », énumère Benoit Yameundjeu, directeur général de Fifteen.

Pour y parvenir, Fifteen s'est d'abord mise en ordre de marche sur la question de l'assemblage de ses vélos. Depuis mai 2023, Fifteen assemble donc l'essentiel de ses vélos dans le Pas-de-Calais, via la co-entreprise F2J Bike qu'elle a créée avec la société F2J Industrie (équipementier de l'automobile). Ses vélos étaient jusqu'ici assemblés, pour l'essentiel, à Taïwan.

Dès cette année, cette nouvelle unité (investissement d'un million d'euros, dont 450.000 euros financés par la Bpi) devrait monter 5.000 à 10.000 vélos, avec une dizaine de collaborateurs. Sous trois ans, elle devrait atteindre un rythme de 45.000 vélos par an, assemblés par une cinquantaine de salariés.

L'assemblage comme première étape

Cette première étape désormais finalisée et opérationnelle, Fifteen déroule la suite de son plan.

« L'assemblage des vélos n'est pas une fin en soi car en termes d'empreinte carbone, l'assemblage ne représente pas le plus gros problème, c'est bien à la relocalisation de la fabrication des composants à laquelle nous devons parvenir au bout du chemin. Mais pour cela, maîtriser l'assemblage en France est une étape incontournable. Il est facile de comprendre qu'il serait inutile de produire des pédales ou des freins en France pour ensuite les envoyer de l'autre côté de la planète pour l'assemblage. Puis, de les faire revenir en France... ».

Déjà, Fifteen confie la production d'un certain nombre de composants et de pièces à des industriels français : les roues sont fabriquées par le Ligérien Mach1 par exemple, les cartes électroniques par Cofidur dans les Pays de la Loire et Seprolec dans le Calvados, les stations de charge par le Vendéen Systèmes Attum... Depuis décembre 2023, les électro-aimants sont produits par la PME Luxalp (Haute-Savoie).

Industrialisation imminente en France de la batterie

Un nouveau pas de relocalisation, décisif, vient d'être franchi. Il s'agit d'un élément essentiel du vélo électrique : sa batterie. Fifteen, qui faisait jusqu'ici venir cet élément depuis l'Asie, travaille sur le sujet depuis deux ans avec GCK Battery, filiale du groupe GCK (200 salariés). Implanté en Savoie et dans le Puy-de-Dôme, GCK est spécialisée notamment dans le rétrofit électrique et hydrogène de véhicules lourds ainsi que dans le développement de nouvelles technologies liées à la mobilité.

Cette nouvelle batterie, décrite comme « plus performante, plus durable et plus réparable » que la batterie jusqu'ici montée sur les vélos Fifteen, va entrer sous peu en production sur le nouveau site industriel de GCK, à Lempdes (63). Une nouvelle ligne d'assemblage automatisée destinée à la fabrication de batteries pour les VAE, a été installée par GCK (investissement d'1,2 million d'euros) et sera associée au recrutement d'une quinzaine de personnes. Dès cette année, l'Auvergnat produira 5.000 batteries qui seront ensuite acheminées vers le site d'assemblage de Fifteen dans le Pas-de-Calais. À terme, cette ligne devrait avoir une capacité de production de 140.000 batteries par an (pour Fifteen et d'autres marques de vélos électriques).

« L'enjeu de cette nouvelle batterie était de la rendre plus facilement réparable et plus durable. Sa conception permet un démontage rapide des principaux composants. Nous avons supprimé les faisceaux pour diminuer le risque de panne et nous avons développé un système électronique (battery management systèm) optimisé, pour une meilleure remontée des informations sur l'état de santé de la batterie afin d'optimiser sa durée de vie. Sa consommation d'énergie en veille a également été fortement réduite. Avec cette démarche d'éco-conception, 85% des batteries défectueuses pourront être réparées », promet le DG de Fifteen (150 salariés ; chiffre d'affaires non communiqué mais en croissance de 40% en 2023 par rapport à 2022, selon l'entreprise).

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Au total, l'entreprise lyonnaise collabore désormais avec une dizaine d'industriels français. Il lui reste désormais à travailler sur le sujet des freins, particulièrement problématique, sur le reste des volumes de cartes électroniques qui n'ont pas encore été rapatriées ou encore sur le cadre en aluminium de ses vélos. Sur ce dernier point, jugé prioritaire, Benoit Yameundjeu espère aboutir d'ici deux ans.

Augmenter les volumes

Fifteen discute par ailleurs avec d'autres marques de vélos sur la standardisation de certaines de leurs pièces afin de disposer de volumes suffisants, en commun, pour intéresser des industriels français à des prix compétitifs par rapport aux tarifs affichés par les pays low-cost.

De fait, la montée en puissance des volumes à produire sera un point clé pour un réel changement d'échelle de la relocalisation en profondeur de la filière française du vélo, analyse Vincent Monatte, consultant en économie et politiques cyclables, par ailleurs vice-président de la filière mobilité active du cluster CARA. Selon lui, Fifteen s'inscrit bien dans un mouvement global de relocalisation de la filière. Global mais lent.

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« Aujourd'hui, 95% des vélos assemblés arrivent de Chine. La conséquence est directe pour les acteurs du vélo souhaitant produire en France : ils ont du mal à disposer de volumes suffisants, surtout dans le contexte actuel de tension sur la filière, pour assurer à des industriels sous-traitants des commandes suffisantes qui les inciteraient à investir dans des lignes de production dédiées. Les sous-traitants de l'automobile, qui sont en train de faire leur transition, disposent de capacités de production mais ils demandent à la filière vélo de commander en grande quantité. Et pour l'instant, c'est problématique pour elle ».

Pour l'expert, il est pour le moment complexe de trouver en France des sous-traitants industriels pour la transmission, les dérailleurs ou le cadre.

« Des acteurs historiques comme Shimano ou Bosch ont verrouillé des volumétries dans le monde entier, il est difficile de lutter. Aujourd'hui, faire un vélo 100% français reste très compliqué. Ceci étant dit, certains acteurs se lancent et des solutions émergent de plus en plus autour des freins notamment, des batteries, des pédales. En résumé, est-ce qu'on a les capacités techniques et technologiques en France ? Oui, sans aucun doute. Est-ce qu'on a les capacités industrielles ? La réponse est moins affirmative. Petit à petit, je pense que nous y arriverons en ajoutant les efforts de chacun ».

Vincent Monatte pointe d'ailleurs le poids de Décathlon dans ce mouvement :
« Décathlon produit plus de deux millions de vélos. Si demain, il décide de produire sa pédale en France, il intéresserait évidemment des industriels français... ».

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