Rhône-Méditerranée : face au changement climatique, l'Agence de l'eau tente de financer l'adaptation et la sobriété

Sécheresses, inondations, pollutions domestiques ou industrielles : la ressource en eau est soumise à de nombreux enjeux, au cœur de multiples convoitises. Car elle est aussi essentielle que fragile. D'où les diverses actions menées par l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse dans le cadre de son programme pluriannuel visant à garantir un « bon état écologique » des eaux. C'est-à-dire fournir à chacun la quantité et la qualité d'eau nécessaire à son activité.
Près de 60 % des aides versées en 2023 par l'Agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse étaient dirigées vers des mesures d'adaptation au changement climatique.
Près de 60 % des aides versées en 2023 par l'Agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse étaient dirigées vers des mesures d'adaptation au changement climatique. (Crédits : Licence CC0 Creative Commons)

Après une année 2022 placée sous le signe de fortes sécheresses, la ligne directrice de l'Agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse a été, en 2023, celle de l'adaptation au changement climatique. Preuve en est : 60 % des aides accordées par l'Agence ont directement contribué à des politiques d'adaptation, dépassant de loin l'objectif initial de 40 % fixé dans son onzième programme d'intervention (2019-2024, 2,64 milliards d'euros).

Ce qui représente 282 millions d'euros distribués en un an aux collectivités ou encore aux syndicats gestionnaires de l'eau, hors primes et intégrant les crédits du Fonds vert versés par l'Etat. Cela, sur un budget total de 518,4 millions d'euros pour l'année 2023.

Car ce grand bassin allant de Belfort à Nice et aux Pyrénées orientales, notamment caractérisé par la présence des fleuves Loire et Rhône, mais aussi de rivières comme la Saône ou encore l'Isère, devra affronter de grandes évolutions climatiques aux desseins différents entre ses parties nord et sud : à Lyon, les températures estivales pourraient en effet atteindre celles de Madrid à l'horizon 2050, selon les schémas directeurs de la métropole. Ce, alors que les débits d'étiage moyens du Rhône ont baissé depuis soixante ans et pourraient encore diminuer de 20 % au cours des trente prochaines années, selon l'Agence de l'eau.

De même, le pourtour méditerranéen est l'une des zones géographiques qui subit les plus fortes évolutions liées au changement climatique, comme l'a expliqué le climatologue et co-président du premier groupe de travail du GIEC, Robert Vautard, invité à Lyon par l'Agence de l'eau en octobre dernier.

Enfin, les épisodes de pluie exceptionnels s'accentuent également, à l'instar des violents orages qui ont touché les Alpes ces dernières semaines, jusqu'à provoquer des crues destructrices à La Bérarde (Isère).

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Des changements qui se répercutent directement sur la ressource en eau, à la fois en termes de quantité et de qualité. Le Grand Lyon se prépare ainsi à des investissements majeurs sur les teneurs en polluants et en micropolluants (pesticides, résidus médicamenteux, PFAS) dans l'eau, qui ont tendance à se concentrer davantage lorsque les débits s'affaiblissent. Un sujet qui constitue toujours le premier poste d'investissement de l'Agence de l'eau, avec 186,4 millions d'euros attribués en 2023 à la gestion de la « pollution domestique » (assainissement, gestion du temps de pluie), contre 156,1 millions d'euros en 2022.

D'autant que l'Agence ambitionne de passer à la vitesse supérieure sur le « bon état écologique » des eaux : aujourd'hui, 51 % des cours d'eau du bassin sont classés en « bon état ». L'objectif est fixé à 67 % d'ici à 2027.

Autant d'enjeux, liés aussi bien à la quantité qu'à la qualité de l'eau, dont les financements pourraient à nouveau être bousculés en raison du contexte politique actuel.

Déjà, en fin d'année dernière, le gouvernement était finalement revenu sur la taxe annoncée sur les pesticides pour financer les six Agences de l'eau en France, à l'aube de la crise agricole.

Pour autant, l'Etat a parallèlement accordé une rallonge de 475 millions d'euros aux six Agences de l'eau pour l'année 2024, dont 65 millions d'euros à l'Agence Rhône Méditerranée Corse, afin d'accompagner la mise en œuvre des priorités du « plan eau, visant d'abord à réduire de 10 % les prélèvements entre 2023 et 2030.

Économies d'eau, « une dynamique en berne » dans le Sud-est

Un objectif qui concerne plus ou moins directement les différents usagers, en fonction d'une stratégie qui a depuis été élaborée non seulement par l'Agence, mais aussi par le comité de bassin Rhône Méditerranée (composé d'élus, de représentants de l'Etat, des usagers économiques et non économiques) à travers son « Plan de bassin d'adaptation au changement climatique » (PBACC), adopté en décembre.

Ainsi, « l'objectif fixé pour le secteur industriel est fixé à 16 % d'économies d'eau » d'ici à la fin de la décennie, indique Nicolas Mourlon, nouveau directeur de l'Agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse, arrivé en février 2024.

En parallèle, celui-ci est de 15 % pour les collectivités, tandis qu'un « rééquilibrage » est effectué pour le secteur agricole « en compensant les besoins supplémentaires d'irrigation par la réduction des volumes consommés à l'hectare, grâce à la modernisation des systèmes d'irrigation et l'évolutions des pratiques agricoles », indiquait en décembre dernier le comité de bassin dans son PBACC.

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En effet, selon Patrice Pautrat, notamment chargé du suivi des projets « eau » dans le périmètre de la Métropole de Lyon : « il y a une telle tension sur pour l'irrigation agricole que l'objectif de notre bassin, c'est qu'il y ait suffisamment d'adaptation pour qu'il n'y ait pas d'augmentation des prélèvements ».

« Cela veut dire un travail sur les retenues collinaires, sur le choix des techniques de couverture des sols afin d'arriver à augmenter les réserves utiles. Nous essayons de nouer des partenariats avec les chambres d'agriculture. Mais les sécheresses, notamment en 2022, n'ont pas facilité les progrès et la mise en œuvre d'actions. »

De même, les centrales nucléaires situées en bord de Rhône sont également concernées. L'Etat demande en effet à EDF « d'engager des études technico-économiques pour réduire les prélèvements et les rejets thermiques des réacteurs fonctionnant en circuit ouvert, afin de permettre une prise de décision à l'horizon 2030 pour les sites de Bugey et de Tricastin ».

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Car ces impératifs de sobriété, déjà amorcés ces dernières années, n'ont pas été remplis en 2023. Dans son dernier rapport d'activités, l'Agence de l'eau indique en effet que « seul un tiers de l'objectif annuel d'économies d'eau, fixé à 20 millions de mètres cubes pour le bassin Rhône-Méditerranée, est atteint », ajoutant même que « cette année marque le pas sur cet enjeu pourtant majeur ».

Si les politiques des premières années du 11ème programme avaient pourtant réussi à rallier ce plancher, cette fois, les raisons de cet échec seraient avant tout conjoncturelles :

« La principale raison est la rareté des projets à forte capacité d'économie d'eau, notamment dans le secteur agricole », écrit ainsi l'Agence de l'eau dans son rapport, pointant notamment « le décalage à 2024 du dépôt des projets dans le cadre des aides européennes agricoles (PSN, ex-FEADER) ».

De même, Nicolas Mourlon explique cette tendance par des raisons administratives : « Il y a eu vraisemblablement plus de signatures dans les années précédentes que l'année dernière. Nous avons aussi des systèmes qui font que les objectifs d'économies ne sont pas facilement annualisables. »

Pour Patrice Pautrat, l'inflation aurait également joué un rôle sur les capacités d'investissements des collectivités territoriales. Pour autant, celles-ci contribuent tout de même à 69 % des 6,7 millions de litres d'eau économisés l'année dernière dans le bassin, grâce à 336 projets accompagnés sur 360 au total.

Les activités économiques et industrielles y ont, quant à elle, participé à hauteur de 23 %, contre 8 % pour les usages agricoles.

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Et si Nicolas Mourlon pointe bien « une prise de conscience » des différents acteurs, il reconnaît tout de même qu'il y a « aussi, manifestement, encore des gisements » d'eau à économiser.

Tout en nuançant : « Si on met de côté les canaux d'irrigation, le prélèvement agricole est équivalent aux prélèvements industriels. Mais si vous prenez les canaux, une partie de l'eau agricole qui s'y trouve sert elle aussi à l'eau potable ».

« L'habitude du dialogue et de la prise en compte de l'ensemble des usages pour l'eau est séculaire dans le bassin du Rhône. C'est différent dans des territoires où l'émergence de la pénurie en eau est récente », soupèse le directeur.

Les industriels, entre sobriété et lutte contre la pollution

À ce premier enjeu, en découle un second, tout aussi important : la qualité de l'eau. Et dans le contexte actuel, marqué par le scandale sanitaire des perfluorés (dits « polluants éternels ») qui a émergé dans la région lyonnaise en mai 2022 suite à des prélèvements présentant des taux supérieurs aux seuils autorisés, le sujet revêt une importance aussi forte que l'inquiétude provoquée par le sujet.

Au-delà des seuls perfluorés, la pollution tant domestique qu'industrielle, est un enjeu de premier ordre pour l'Agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse, qui se lit clairement dans le montant des aides qu'elle attribue chaque année.

Ainsi, en 2023, 186,4 millions d'euros ont été versés pour lutter contre la pollution domestique, notamment l'assainissement et la gestion du temps de pluie. Quand 14,9 millions d'euros vers la lutte contre les pollutions diffuses et la protection de la ressource en eau ; et 10 millions d'euros pour la gestion des pollutions industrielles.

Malgré des investissements massifs sur ces sujets, la dynamique pour réduire les pollutions accusent malgré tout un fléchissement. C'est notamment le cas dans le secteur industriel, où les actions se sont davantage tournées vers les économies d'eau en 2023, détaille le rapport de l'Agence de l'eau.

Un constat que Nicolas Moulon tempère, rappelant l'appel à la sobriété du gouvernement à l'issue d'une année 2022 marquée par la sécheresse, qui a poussé les industriels à se concentrer sur cet axe.

De même, l'Agence que l'eau indique dans son rapport annuel que « la reprise des investissements environnementaux des industriels, amorcée en 2021 après le ralentissement de l'année 2020 lié à la crise sanitaire, puis confirmée en 2022, a fléchi en 2023 sur l'enjeu de réduction des pollutions ».

« L'une des raisons est la prise de conscience grandissante des industriels de l'impact des tensions sur la ressource en eau sur leurs activités, ce qui les incite à davantage investir sur des opérations visant les économies d'eau, au détriment de la lutte contre la pollution ».

Avant de citer l'exemple de l'entreprise de production de batteries lithium MSSA (anciennement Métaux spéciaux) située à Saint-Marcel (Savoie), en bordure de l'Isère dans la vallée de la Tarentaise, qui rejette du lithium dans l'environnement. La mise en place d'une nouvelle ligne de récupération du lithium, en aval de la station d'épuration, « permettra de limiter les rejets de lithium dans l'Isère à 10 kg/j (soit environ 3,7 t/an) (...) Soit une réduction de 60 à 75 % des rejets de lithium ionique dans le milieu naturel », indique l'Agence de l'eau, qui finance près de 400.000 des 1 million d'euros d'investissement.

Cette opération de « grande ampleur » représente permet ainsi d'éliminer 5,4 tonnes de lithium jusqu'alors rejetées dans le milieu naturel, sur un total de 6,1 tonnes éliminées en 2023.

Ainsi, les 10 millions d'euros d'aides versés par l'organisation ont permis de financer 311 opérations l'année dernière. Et 78 % de ce montant a été consacré à la réduction des molécules toxiques, un ratio stable par rapport à 2022.

Car aujourd'hui, le coût de cette pollution, qui nécessite toujours plus d'aménagements et d'investissements des collectivités pour traiter ces eaux, risque de faire augmenter de plus en plus la facture d'eau des citoyens.

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En parallèle, l'Agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse réfléchit donc à la modélisation de référentiels afin de mieux anticiper et gérer cette pollution industrielle et notamment celle liée aux PFAS.

« Il existe plusieurs options (pour assainir les eaux, traiter les eaux, ndlr) à des coûts extrêmement différents. L'un de nos enjeux est de réussir à construire des référentiels de coûts et de traitement selon les différentes natures de polluants pour éviter qu'une collectivité ne se retrouve à payer des coûts exorbitants », détaille Nicolas Mourlon.

Ces actions nécessitent en effet des financements conséquents. L'année 2024 est ainsi celle de « la finalisation du 12e programme d'interventions 2025-2030 et de la mise en place de la réforme des redevances, deux chantiers majeurs pour soutenir avec ambition les enjeux de la politique publique de l'eau », indiquait Nicolas Mourlon en mars.

Des travaux qui devront s'accélérer à la mesure des évolutions climatiques et réglementaires. Cela, dans un contexte politique incertain.

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