Budget : le « plan eau » mis à l'épreuve dans la bataille des usages

Après avoir reçu les représentants de la FNSEA en début de semaine, la première ministre Elisabeth Borne a déclaré reporter la hausse des taxes sur les pesticides et l'irrigation agricole dans le projet de loi de finances 2024, représentant 47 millions d'euros. Ces recettes, qui devaient en partie financer la mise en œuvre du « plan eau » par les six Agences de l'eau du territoire à partir de 2025, seraient renégociées l'année prochaine. Une décision tardive qui suscite l'incompréhension des acteurs des bassins Rhône-Méditerranée-Corse, à l'heure où le pourtour méditerranéen fait partie des « hot-spot » face au changement climatique.
L'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse s'étend de la Bourgogne-Franche-Comté à une partie de l'Occitanie, en comprenant par ailleurs le bassin corse.
L'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse s'étend de la Bourgogne-Franche-Comté à une partie de l'Occitanie, en comprenant par ailleurs le bassin corse. (Crédits : G. Poussard / Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse)

C'est une petite révolution à l'aube de la mise en œuvre des mesures du « plan eau », promises par Emmanuel Macron aux abords du lac de Serre-Ponçon (Alpes-de-Haute-Provence et Hautes-Alpes) en mars dernier. Les six Agences de l'eau du territoire, qui opèrent une partie ce plan de réduction de 10 % des prélèvements en eau à horizon 2030, ne se verront finalement pas dotées tout de suites des fruits de la hausse fiscale pourtant annoncée.

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La Première ministre, Elisabeth Borne, a en effet déclaré en début de semaine renoncer à la hausse de 20 % de la redevance pour pollution diffuse (RPD), perçue sur la vente de pesticides (représentant environ 30 millions d'euros de recettes) et du rehaussement du plancher de la redevance sur l'irrigation (environ 17 millions d'euros) dans le projet de loi de finances 2024, après avoir reçu mardi les délégués du premier syndicat agricole, la FNSEA.

« De l'inquiétude et de l'incompréhension »

Ces recettes, d'un montant total estimé à 47 millions d'euros, devaient pourtant abonder en partie la mise en œuvre du « plan eau » par les Agences de l'eau à partir de 2025. Celui-ci prévoit notamment une augmentation de leur budget d'environ 20 % (soit 475 millions d'euros d'aides supplémentaires distribuées chaque année par les six Agences en France). Ou plutôt, une augmentation de leur « droit à prélever » la redevance sur l'irrigation, au même titre qu'une dizaine d'autres taxes collectées auprès des collectivités territoriales, des industriels et des agriculteurs irriguant.

Ce renoncement, qui intervient au lendemain de plusieurs manifestations agricoles (via par exemple le retournement des panneaux à l'entrée de plusieurs communes), constituait une « revendication majeure » de la FNSEA, comme le déclarait alors son président, Arnaud Rousseau. Le premier syndicat agricole milite en effet contre « la marche », jugée trop élevée, de la hausse de la redevance irrigation, qui s'ajoute à l'enveloppe globale de la redevance pour le prélèvement de l'eau. Celle-ci représente environ 6 % des recettes des Agences de l'eau, indique un rapport de la Cour des comptes publié cet été, là où les principaux contributaires restent les consommateurs d'eau potable (à plus de 70 %).

La Cour des comptes observe que « les recettes de redevances pour prélèvements ne sont pas cohérentes avec la pression exercée sur la ressource par les différents usages. La logique de rendement fiscal l'emporte sur la finalité incitative, alors que l'objet de ces redevances est de faire supporter aux usagers le coût de la rareté de la ressource qu'ils prélèvent ».

Un progressivité de la taxation de l'irrigation à l'œuvre

D'où une certaine « incompréhension » des acteurs, comme le signale Martial Saddier, président du Comité de bassin Rhône Méditerranée. En effet, ce plan doit s'accompagner, en aval, d'un « fonds hydraulique agricole » à partir de 2025, financé par les Agences grâce aux recettes fiscales, et dirigé vers les agriculteurs irrigants pour les accompagner dans la transformation de leur modèle.

Ce fonds, d'une enveloppe globale de 30 millions d'euros -- dont 14,7 millions rien que par l'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse, qui compte le plus de surfaces irriguées -- serait même « gagnant » pour les cultivateurs selon le représentant, par ailleurs président du département de la Haute-Savoie. Mais face à cette situation et à l'absence de recettes attendues, le comité a pour l'instant « ajourné à l'unanimité »sa mise en place, « en attendant d'y voir plus clair » : « Tout le monde est prêt à aider le monde agricole, mais dans ce cas-là, on attend de celui-ci qu'il participe un peu à générer des recettes supplémentaires. Cela a été redit à l'unanimité ». 

« Il y a beaucoup d'incompréhension, poursuit le président du Comité. Chez nous, le monde agricole allait payer un petit peu plus, mais toucher quatre fois plus que ce qu'il touche aujourd'hui. Il était ultra gagnant. Dans la proposition qui était faite, il y avait un rapport de 1 à 4... Il y a de l'inquiétude, de l'incompréhension, qui vient se greffer à une ambiance générale qui n'est pas très bonne », détaille Martial Saddier, qui a par ailleurs échangé avec Elisabeth Borne dans la matinée.

Selon nos informations, le gouvernement, sous l'impulsion d'Elisabeth Borne, travaillerait à une progressivité de la taxation pour le monde agricole. Les représentants des Agences de l'eau ont demandé à être reçus dans les prochaines semaines.

Rhône-Méditerranée-Corse : un programme de « 30 défis » en six ans

Dans le Sud-Est de la France, l'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse a voté à l'unanimité, ce vendredi 8 décembre, son Plan d'adaptation au changement climatique (PBACC). Celui-ci, qui courra de 2024 à 2030, prévoit « 30 défis » en direction de la diminution globale de 10 % des prélèvements en eau. La répartition des efforts, fruit de près d'un an de négociations, se fait ainsi : -16 % pour les collectivités territoriales (eau potable), -15% pour les industries et 0% pour l'agriculture. Sur ce dernier point, Nicolas Chantepy, président de l'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse, précise que « plus de 60 % des économies d'eau réalisées ces dernières années ont été faites par le secteur agricole ».

Si en 2024, la feuille de route verra bien le montant de ses aides augmenter de 65 millions d'euros, les années suivantes sont plus incertaines. Car « Il nous faut un programme équilibré en recettes, comme en dépenses », remarque Nicolas Chantepy : « Si on ne lève pas suffisamment de recettes, cela voudra dire qu'on devra baisser un peu l'ambition qu'on a au niveau des interventions des aides ».

En 2024, les aides complémentaires seront fléchées ainsi :

- 35 millions d'euros pour la sécurisation de l'alimentation en eau potable et la réduction des fuites dans les réseaux moins performants.

- 25 millions d'euros pour l'accompagnement des économies d'eau des industries et des acteurs économiques, mais aussi le soutien aux projets innovants.

- 5 millions d'euros pour la préservation des zones humides en soutenant les agriculteurs qui mettent en œuvre des mesures agroécologiques.

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