A Grenoble, la sortie des véhicules les plus polluants pour lutter contre la pollution de l'air, demandée par la Loi Climat et Résilience, devait se matérialiser par l'interdiction de circulation des véhicules utilitaires et professionnels classés Crit'Air 2 à compter de janvier 2025, qui étaient les premiers ciblés au coeur des métropoles.
Ce ne sera finalement pas le cas : après une période de tergiversations au cours des derniers mois, durant laquelle l'Etat français avait lui-même opéré un rétropédalage (considérant que seules les villes de Paris et Lyon, soumises à des dépassements réguliers, devraient respecter le calendrier initial), les 45 agglomérations de plus de 150.000 habitants dont Grenoble n'étaient, de fait, plus placées comme des territoires jugés « prioritaires ». Du moins jusqu'à une révision de la valeur des seuils de dépassements, le Parlement et le Conseil européen ayant établi en février dernier de nouvelles normes de qualité de l'air pour 2030, plus proches des lignes directrices de l'organisation mondiale de la santé (OMS), à savoir un abaissement du seuil de dioxyde d'azote de 40 µg/m³ à 20 µg/m³ d'ici six ans.
Car dans les grandes agglomérations de plus de 150.000 habitants qui respectent de manière régulière les seuils réglementaires de qualité de l'air (dites désormais « territoires de vigilance »), les collectivités n'ont en effet plus qu'une seule obligation prévue par la loi, comme le rappelle le Ministère de la Transition écologique sur son site internet : « la mise en œuvre d'une restriction de circulation sur leur territoire permettant de réduire les émissions de polluants atmosphériques, sur un périmètre couvrant au moins 50% des habitants de l'EPCI le plus peuplé du territoire ».
Mais jusqu'ici, la Métropole grenobloise conduite par le socialiste Christophe Ferrari n'avait pas bougé et confirmait encore son propre calendrier, qui prévoyait une sortie des véhicules utilitaires et poids lourds Crit'Air 2 à compter de janvier 2025 du périmètre de 27 communes (sur les 49 que compte la collectivité) où s'applique sa ZFE. Le calendrier était alors jugé ambitieux et avait suscité, lors de son annonce en 2022, des échanges houleux et un grand nombre d'inquiétudes au sein du tissu économique.
Et ce, alors que les mesure d'interdictions ciblant la circulation des véhicules détenus par les particuliers poursuivent toujours leur propre calendrier, plus progressif, à savoir une interdiction des véhicules Crit'Air 4 depuis le 1er janvier 2024 (hors dérogations) sur un périmètre plus restreint de 13 communes, suivis par les Crit'Air 3 en janvier 2025.
Une décision « pragmatique »
Finalement, la collectivité grenobloise s'est rendue à l'évidence ce jeudi, en annonçant qu' « en l'absence de solutions adaptées et des calendriers observés dans les 300 villes européennes ayant des zones à faibles émissions » et « après consultation des 27 communes du périmètre ZFE VUL PL », elle allait, « en responsabilité et par pragmatisme », « entamer la démarche de modification du calendrier et le décalage de l'interdiction des véhicules utilitaires légers (VUL) et poids lourds (PL) Crit'Air 2 de juillet 2025 à juillet 2028 ». Avec à la clé, une dérogation à l'attention des véhicules classés EURO 6D jusqu'en 2030 maximum.
Avec comme principal argument avancé, le fait de « permettre aux professionnels de voir l'offre s'étoffer et entrer en adéquation avec leurs besoins, tout en homogénéisant son calendrier avec celui de la Métropole du Grand Lyon à proximité, et dans laquelle les acteurs économiques peuvent être amenés à se déplacer également ».
Joint par La Tribune, le vice-président en charge de la qualité de l'air, de l'énergie et du climat à Grenoble Alpes Métropole, Pierre Verri, affirme : « Nous avons été la première métropole à mettre en oeuvre une ZFE en 2019 et à ne pas avoir touché depuis, notre échéancier. Mais il nous semblait cohérent d'appliquer les mêmes interdictions qu'à Lyon, car on ne peut pas dire aux camionneurs qui traversent l'Europe pour livrer dans les deux villes qu'ils peuvent circuler dans l'une et pas dans l'autre... »
Une inadéquation entre l'offre et les besoins
Cinq ans après l'instauration de sa Zone à faibles émissions, la collectivité en profite pour dresser un état des lieux en demi-teinte : car elle juge en premier lieu que cette mesure aurait déjà « produit des résultats », contribuant à « l'amélioration de la qualité de l'air constatée sur le territoire métropolitain (...), notamment, sur les niveaux de dioxyde d'azote, polluant très majoritairement émis par le trafic routier, qui diminuent. »
Mais son vice-président à la qualité de l'air estime que c'est du côté des moyens que le bât blesse, avec « une inadéquation encore trop importante entre l'offre disponible, bien que grandissante, et les besoins des entreprises », et des « véhicules inadaptés à l'activité (problème d'autonomie, charge utile insuffisante, etc) et/ou jugés trop chers ». Il regrette aussi amèrement que la politique en faveur du biogaz n'ait pas été suivie, ni encouragée par l'Etat, comme une alternative au diesel :
« Dès le début, nous sommes engagés dans la production de BioGNV, fourni par la station d'épuration Aquapôle du Fontanil-Cornillon (qui se pose comme la première station d'épuration urbaine à injecter du biométhane dans le réseau de gaz exploité par GRDF, ndlr) et par un projet de production à partir de déchets fermentescibles, qui nous permettait de produire jusqu'à 30 GwH localement », observe Pierre Verri.
« Mais l'Europe en a décidé autrement à ce sujet, en estimant que l'usage du biogaz serait réservé en priorité aux industriels et a envoyé ce signal aux fabricants de camions, qui se sont tous désengagés de ce segment, à l'exception d'Ivecco », ajoute-t-il. Une situation qui, couplée au retard accumulé sur le marché du rétrofit, a conduit la Métropole de Grenoble à retarder ses propres objectifs :
« Nous aurions pu conserver l'interdiction des Crit'Air 2 pour les véhicules utilitaires et poids lourds à 2025, et mettre tout le monde en dérogations, mais il faut être réaliste ».
Grenoble Alpes Métropole espère notamment que d'ici 2028, l'offre sur le marché des camions sera « plus mature », « avec l'hydrogène vert qui aura probablement un rôle à jouer sur le transport lourd et qui pourrait être issu de la récupération de chaleur fatale, avec des rapprochements encore à faire avec certaines plateformes industrielles et chimiques ».
Un sujet qui demeure politique
Pierre Verri ne cille cependant pas sur la question des cibles fixées aux véhicules détenus par les particuliers, qui bénéficiaient déjà jusqu'ici d'un calendrier plus souple : « dès janvier 2025, ce sont près de 35.000 à 40.000 véhicules Crit'Air 3 qui devront sortir du périmètre de la ZFE, et que nous devrons accompagner, en aidant notamment à l'achat de titres de transports gratuits pendant trois ans pour les familles qui s'en sépareraient, ou par une aide à l'achat des véhicules, permettant de doubler le montant de la prime offerte par l'Etat, en allant jusqu'à 7.000 euros d'aide à l'achat. »
Et bien que le périmètre négocié avec les communes membres de la métropole soit plus restreint (13 au lieu de 27 pour les véhicules professionnels), « cela reste une bonne échelle puisqu'avec 13 communes, nous regroupons 90% des déplacements réalisés par les métropolitains, assure l'adjoint métropolitain à la qualité de l'air. Et cela, sans interdire les circulations sur la Rocade grenobloise, qui est empruntée pour traverser la ville par les habitants des territoires voisines, et qui ne représente finalement que 15% des déplacements à l'échelle de l'agglomération ».
En parallèle, Grenoble Alpes Métropole ne s'avoue pas vaincue et continue de militer pour un abaissement des seuils des principaux polluants dont le dioxyde d'azote (NO2) et les particules fines (PM10). « Nous souhaiterions que l'Etat aille plus loin et abaisse ces seuils avant l'échéance de 2030, car il en va d'une question de santé publique », rappelle son vice-président Pierre Verri.
En pleine campagne électorale pour des législatives anticipées, la collectivité conduite par le socialiste Christophe Ferrari en profite d'ailleurs pour dévoiler son carnet de doléances au gouvernement : en plus de regretter le faible développement de la filière du rétrofit (elle-même soumise à d'importants enjeux réglementaires, ndlr), celle-ci en profite pour « rappeller que le gouvernement a abandonné ou presque les ZFE, maintenu une fiscalité très favorable aux carburants fossiles, et n'a donné aucune possibilité aux territoires de contrôler les ZFE, réduisant ainsi leur efficacité et leur crédibilité tout comme les transitions industrielles et économiques qui s'opèrent autour des ZFE ».
Le calendrier de la ZFE grenobloise Scindée, comme la plupart des métropoles, en deux calendriers, l'un dédiée aux véhicules professionnels (utilitaires et poids lourds) et l'autre dédiée aux véhicules détenus par les particuliers, la ZFE grenobloise s'était fixée plusieurs types d'échéances : -Avec, pour les véhicules professionnels, une mise en place, depuis janvier 2019, sur un périmètre de 27 communes. A ce jour, l'interdiction de stationnement et de circulation dans ces communes concernait les véhicules utilitaires et poids lourds Crit'Air 3, 4 et 5. C'est l'application aux véhicules classés Crit'Air 2 qui vient d'être repoussée de janvier 2025 à janvier 2028. -Pour les véhicules détenus par les particuliers, la ZFE ne concerne que 13 communes et a débuté en juillet 2023. Elle interdit déjà de circulation et de stationnement les véhicules Crit'Air 4 et 5, et bientôt les Crit'Air 3 en janvier 2025. L'exclusion des Crit'Air 2 n'est pas encore prévue à ce stade.
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