Climat : le lyonnais KRÆKEN mise sur la simulation hydraulique pour anticiper les risques d’inondations

Inondations, sécheresse, pollution... L’actualité des derniers mois a le mérite de dresser un constat assez clair des problématiques de gestion de l’eau qui se dessinent aujourd’hui et risquent de s'amplifier demain avec le changement climatique. Des enjeux que certaines entreprises subissent quand d’autres, comme la société lyonnaise ÆGIR, s’en saisissent. Développée depuis dix ans, sa solution de simulation hydraulique 3D, nommée KRÆKEN, permet de visualiser et les mouvements exacts de l’eau et prédire ses conséquences sur son environnement. Un outil aussi intéressant pour les banques et les assurances que les collectivités et les acteurs du bâtiment.
La société lyonnaise KRAEKEN a développé un modèle de simulation hydraulique 3D qui permet de simuler les risques d'inondation et leurs conséquences sur les ouvrages et le territoire.
La société lyonnaise KRAEKEN a développé un modèle de simulation hydraulique 3D qui permet de simuler les risques d'inondation et leurs conséquences sur les ouvrages et le territoire. (Crédits : G. Poussard / Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse)

Trois ans après des intempéries et des inondations meurtrières, la vallée de la Vésubie s'est à nouveau retrouvée sous les eaux la semaine dernière. Ce, quelques jours à peine après la destruction du village de la Bérarde en Isère, qui n'a heureusement fait aucune victime. Des événements qui se répètent et se multiplient et dont les conséquences s'avèrent aussi coûteuses économiquement que moralement pour les habitants de ces territoires. Et qui interrogent aujourd'hui sur la capacité des collectivités, des entreprises et des particuliers à s'en prémunir et vivre avec.

« La première victime du changement climatique est le cycle de l'eau. On va avoir des inondations et des sécheresses plus importantes, le changement climatique va entraîner une plus grande fréquence d'événements extrêmes. La sécheresse et les inondations sont deux choses qui vont de pair », éclaire Priscille Béguin, cofondatrice d'ÆGIR avec Adrien Momplot et présidente de la société à l'origine du logiciel de simulation hydraulique 3D KRÆKEN.

La société lyonnaise, qui travaille depuis 2015 sur ces enjeux, vient de terminer le programme d'accélération Environemental Start-up Accelerator de Microsoft à Station F et de s'élancer, dans la foulée, dans sa première levée de fonds en seed, visant un montant de 2 millions d'euros.

Avec son logiciel KRÆKEN, commercialisé depuis 2018, elle a quelques atouts dans sa poche à faire valoir auprès de ses futurs investisseurs et plus de ses clients actuels. Initialement lancée sur la gestion des eaux d'assainissement - afin d'aider les acteurs du secteur à se mettre en conformité avec le décret de 2015 obligeant à réduire la quantité d'eau polluée déversée -, elle se tourne rapidement vers la gestion des risques liés à l'eau et plus précisément : les inondations.

Sa solution : un logiciel de simulation hydraulique en 3D permettant de prédire et visualiser la manière dont l'eau s'écoule en fonction d'un flux d'eau en fonction de sa vitesse sur une surface donnée (ouvrages, terrain, etc).

« On arrive à créer un jumeau numérique, fonctionnel et physique, comme une maquette. On fait couler de l'eau numériquement, sans prendre de raccourcis », résume fièrement la présidente d'ÆGIR.

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Avant de détailler davantage sa force : « on voit les événements en trois dimensions, en prenant en compte toutes les constructions y compris les ouvrages qui sont censés protéger les villes de ces inondations. On va observer et retirer des informations sur la quantité d'eau par adresse et à quel point elle est capable de détruire ce qui est construit ». Ce, en prenant en compte les dates de construction des ouvrages, leur typologie, etc.

Au final, le logiciel permet alors d'obtenir une carte montrant précisément où l'eau est allée, combien de temps elle est restée, la quantité qu'il y avait, à quels endroits et surtout sa vitesse. Car cette dernière constitue un facteur de risque et d'impact important. Si la société peut effectuer de telles prévisions, c'est grâce à la qualité des données sur lesquelles elle s'appuie, son modèle de calcul et sa puissance.

La puissance de calcul et l'interface

« C'est extrêmement difficile de faire des simulations à large échelle avec la technologie. Ça demande énormément de puissance de calcul, ça demande énormément de stabilité et surtout de maîtriser la partie mécanique des fluides sur le bout des doigts pour que l'eau ne fasse pas n'importe quoi au bout de 150 mètres », contextualise Priscille Béguin.

La société s'appuie sur une carte GPU pour bénéficier de la puissance nécessaire à la réalisation de simulation et de visualisation à la fois fluides et précises.

« La plupart des modèles actuels qui représentent les inondations s'appuient sur des technologies qui datent d'il y a plus de 25 ans et ont des rendus qui sont peu compréhensibles », poursuit-elle. Mettant en avant le travail effectué pour rendre l'interface la plus simple d'utilisation possible, même pour les néophytes.

« Il y a vraiment un gap technologique entre ce que nous sommes capables de faire en termes de précision. On a des modèles précis à 90% par rapport à la réalité : on sait qu'on représente la réalité et on est capable de calculer notre marge d'erreur » et donc de la prendre en considération. Cette fiabilité provient également du choix des données.

Prévoir le risque et sa probabilité de survenir

« Le changement climatique est extrêmement brutal et il s'accélère. Le climat en France et le régime des pluies et des inondations est complètement différent de ce qu'on avait dans les années 2000 et 1990. Analyser les risques futurs à l'aune des statistiques des 70 dernières années n'a aucun sens car elles ne représentent pas ce qui va se passer », pointe la présidente d'ÆGIR.

Et poursuit : « On construit la ville pour les 150 prochaines années, pas pour les 150 années qui viennent de s'écouler. Il faut absolument qu'on puisse avoir cette vision prospective à la fois dans le climat et à la fois dans le risque que cela va impliquer ».

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KRÆKEN s'appuie sur des modèles de climat qui sont dans la médiane des modèles issus du consensus scientifique en partenariat avec le BRGM pour les sécuriser.

Car « un des experts du GIEC qui a écrit la partie du rapport sur les modèles de climat travaille au sein du BRGM. C'est avec lui qu'on échange pour sécuriser cette partie du modèle et cette partie prospective sur le climat », glisse t-elle. Puis, ces données sont combinées à des modèles d'aléas permettant d'estimer la probabilité qu'un événement se produise.

Les modèles hydrauliques sont construits en interne grâce aux concepts de la mécanique des fluides. Et permettent de faire couler de l'eau numériquement en reproduisant un jumeau numérique de ce qui se passerait réellement sur le terrain...à 10% d'erreur près.

Les seules informations externes qu'utilise ÆGIR sont les données topographiques, c'est-à-dire, les cartes en 3D du terrain produites par l'IGN et le BRGM. Et qui sont extrêmement récentes et précises, l'IGN ayant lancé un projet de cartographie de la France, à 20 cm près, l'an dernier.

Banques et assurances comme première cible

Le modèle économique de la société sur ce produit se base sur deux jambes : un DaaS (vente de données) et un SaaS (solution de service) car les cibles sont multiples.

Les assurances et les banques sont frappées de plein de fouet par les catastrophes naturelles : sécheresse, inondations, grêles... Et cherchent, à l'instar de Groupama, à mieux anticiper ces risques pour les prévenir et construire de nouveaux contrats d'assurance.

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« Le but du jeu, c'est d'observer des portfolios à très large échelle et d'analyser comment le risque économique évolue avec le temps pour que ces entreprises, banques et assurances, puissent créer des stratégies et être plus résilients aux risques climatiques », développe Priscille Béguin.

La société lyonnaise vend donc les données acquises via ses simulations à cette première cible de clients. Si l'entreprise lyonnaise préfère rester discrète, elle reconnaît déjà avoir signé un grand nom du secteur et connaître une très belle traction sur ce segment. Ce que Priscille Béguin explique simplement :

« Il y a des zones qui deviennent à haut risque d'inondation et qui ne sont plus rentables économiquement par rapport à leur business model. Elles doivent donc retravailler leur stratégie et leur modèle d'assurance. Notre but, c'est de les équiper pour qu'ils puissent continuer à assurer les citoyens et les entreprises ».

Encore en phase de POC, la société continue à améliorer son logiciel afin de pouvoir proposer une version plus mature et automatisée. Afin de s'attaquer aux grandes entreprises et leur pôle de gestion des risques qui s'intéressent de plus en plus aux enjeux et conséquences du changement climatique. Mais aussi, dans un troisième temps aux bureaux d'étude d'ingénierie, et derrière eux, les collectivités.

Car l'enjeu est plus que jamais d'adapter les territoires aux aléas climatiques, sécheresse ou inondation, que ce soit pour réhabiliter des sites, en végétaliser d'autres ou encore construire de nouveaux ouvrages. L'idée étant alors de leur vendre, non plus de la donnée mais leur brique technologique à travers leur logiciel.

Si pour le moment ce modèle économique reste à affiner, la cofondatrice souffle un prix entre un et cinq euros par adresse en fonction du volume des demandes notamment.

Une concurrence encore limitée

Et malgré le développement de nombreuses assurtech, peu se sont emparées des inondations comme ÆGIR le fait, estime l'entrepreneure.

« Il y a des entreprises qui sont spécialisées dans les données liées à la sécheresse, à la grêle par exemple, ou peuvent fournir de la donnée quand l'inondation est déjà arrivée. Il y a plein d'entreprises qui sont positionnées sur ce créneau avec de la donnée satellitaire, avec de l'IA, etc. La partie innovation est vraiment un grand bouillon de culture, reconnaît-elle. Par contre, sur la donnée prospective en cas d'inondation, il y en a peu ».

Seules trois entreprises seraient aussi lancées sur ce créneau, en raison du nombre d'années de R&D requises et de la complexité du process, selon elle.

D'où sa volonté d'accélérer sur son développement et donc de lever 2 millions d'euros auprès d'investisseurs. Ce, afin de muscler l'équipe et ses recherches : la société ne comptant que cinq membres.

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