Jusqu'ici, ce sont plutôt les projets d'éoliennes ou de retenues collinaires qui avaient fait parler d'eux, comme celui de la retenue collinaire voisine de la Clusaz... Mais désormais, c'est également un projet de centrale hydroélectrique de petit format qui se place au cœur de l'attention : en premier lieu du Tribunal administratif de Grenoble, qui vient d'annuler une autorisation permettant l'installation d'une centrale hydroélectrique, dont les travaux de 6 millions d'euros venaient tout juste d'être complétés il y a quelques semaines.
Une situation dénoncée par le maire divers droite de la commune, qui rappelle que l'équivalent de 20% des ménages de la commune devaient être alimentés par ce barrage « à l'année » (soit 1.200 foyers), depuis sa mise en service le 5 décembre dernier. Mais dans sa décision, ce sont les impacts sur la biodiversité qui sont notifiés par la décision du Tribunal administratif de Grenoble, qui vient de se prononcer sur ce dossier à la demande de France Nature Environnement.
L'association dénonce en effet les impacts environnementaux des projets d'implantation de micro-centrales comme celle de Sallanches, en jugeant leur coût environnemental trop élevé par rapport à l'énergie produite (en estimant que « la petite hydroélectricité ne représente que 10% de la production hydroélectrique et à peine un peu plus d'1% de la consommation électrique »), mais surtout la non-conformité d'un tel projet au titre du Droit de l'Environnement, au vu de son impact sur des tronçons de cours d'eau classés en "liste 1" :
« Les tronçons classés en liste 1 sont des cours d'eau encore préservés et qui constituent, la plupart du temps, des réservoirs biologiques pour les espèces aquatiques. Il s'agit d'une disposition qui est bien mentionnée dans le Sdage, qui demeure le document-cadre pour l'aménagement des cours d'eau du bassin Rhône-Méditerranée », explique à La Tribune Corentin Mele, pour France Nature Environnement 74. C'est d'ailleurs par peur qu'une jurisprudence ne se développe à ce sujet que l'association aurait mené ce recours auprès du Tribunal administratif.
Et fait rarissime dans ce type de dossier, le Tribunal a penché en faveur des arguments de l'association FNE 74, et notamment d'un avis émis par l'Agence française de la biodiversité joint au dossier, en relevant que la micro-centrale entraînerait « une réduction du débit de l'eau de 50%, préjudiciable pour la biodiversité », « d'autant plus qu'elle est installée en amont d'une zone classée réservoir biologique ».
Des voies de recours qui n'étaient pas épuisées
De quoi motiver selon lui l'annulation de l'autorisation préfectorale délivrée à ce projet, en requérant non seulement son démantèlement, mais aussi la remise en état du site tout juste livré.
Selon l'avocat de France Nature Environnement, Anne Lassman-Trappier, sollicitée par Freance 3 Alpes, les porteurs de projets « n'ont pas été assez prudents en débutant des travaux avant l'épuisement de toutes les voies de recours ». Corentin Mele abonde : « Nous avions alerté les plusieurs commissions au sein des instances de concertation sur le fait que ce projet nous semblait illégal, jusqu'à l'enquête publique où nous n'avons pas été écoutés ».
Une décision incompréhensible pour l'élu Georges Morand, aux commandes du projet depuis 2004 et qui avait obtenu une première fois gain de cause en 2020. « Il s'agit d'exploiter les eaux de la Sallanche pour produire une électricité locale et propre, l'étude d'impact prouve que la biodiversité n'est pas en danger », argumentait-il au sein de la presse locale. La préfecture de Haute-Savoie ainsi que la commune de Sallanches ont d'ores et déjà indiqué leur volonté de faire appel, cette dernière arguant qu'elle irait même si nécessaire jusqu'au Conseil d'Etat pour faire entendre sa voix.
La place de la biodiversité face à celle de l'humain
Le dossier prend une tournure toute particulière dans le contexte énergétique actuel, marqué par les tensions et la flambée des prix de l'énergie sur les marchés internationaux, mais également par les craintes de coupures et de délestages désormais présents sur les mois de janvier et février, en raison des fortes tensions pressenties sur le réseau électrique.
La municipalité espère même demander l'autorisation de faire fonctionner cette microcentrale en attendant qu'une nouvelle décision, qui pourrait prendre à nouveau plusieurs mois à plusieurs années, ne soit rendue.
A France Nature Environnement 74, Corentin Mele ajoute : « Beaucoup de gens se sont étonnés que FNE74 s'oppose à une énergie issue des renouvelables, qui soit locale, mais nous leur expliquons que nous nous y sommes opposés pour des raisons d'impact sur son milieu. Il est important de produire une énergie décarbonée, mais ce ne doit pas être à tous les prix ». Et d'ajouter « qu'en pleine Cop15 sur la biodiversité qui se tient à Montréal, les projets ne doivent pas se faire au détriment du vivant ».
Pour l'association Hydro 21, qui regroupe justement les industriels auralpins de l'hydroélectricité, son administrateur Jean-Eric Carré, juge la situation « affligeante », qui serait le « signe d'un système qui dysfonctionne » : « J'ai du mal à comprendre, comment on peut en arriver à des situations comme celle-ci, le projet n'est tout de même pas sorti du chapeau, était passé par des études d'impact, des enquêtes publiques, et un arrêté accordé par le préfet. Il était sur le point d'être inauguré début janvier ».
Selon lui, c'est toute la question de l'acceptation des nouveaux projets ENR qui se cristallise dans ce dossier : « Nous constatons aujourd'hui une logique d'entrer en démarche de contentieux, de la part de FNE notamment, quel que soit le projet à l'échelle française. Quant à savoir si c'est au bénéficie de la société ou non, dans ce cas je ne le pense pas. Il faut considérer aussi l'humain dans la réflexion ».
L'enjeu de la petite hydroélectricité
L'administrateur d'Hydro 21, également président du 4ème producteur d'énergie au sein de l'Hexagone, Hydrocop, rappelle quant à lui « qu'il n'est écrit nulle part qu'il est impossible de faire un aménagement situé en liste 1, de plus en aval de ce projet, ni de modifier son hydrologie. La question qui est posée est celle de l'impact réel d'un projet, et celle-ci a été estimée et appréhendée dans le cadre de l'étude d'impact et le projet a été adapté en conséquence pour respecter la réglementation ».
En France, ce que l'on appelle « la petite hydro » représente un vivier de près de 2.270 centrales installées, d'une puissance totale de 2.200 MW (soit moins de 10Mw par installation) pour 6 TWh de production par année en moyenne. Et un axe de développement fort pour les industriels du secteur, les sites pouvant accueillir des grands barrages ayant déjà été principalement équipés dans les années 1970.
Pour autant, le syndicat national de la petite hydroélectricité, France Hydro Electricité, relevait lui-même dans un document publié en 2018 que « les considérations environnementales ont pris le dessus sur la production d'hydroélectricité » : « le classement actuel des cours d'eau a bloqué les 2/3 du potentiel de développement de nouveaux projets hydroélectriques et contraint les producteurs à réaliser de lourds aménagements environnementaux sur leurs centrales, parfois au péril économique de leur activité ».
France Hydro Electricité jugeait en effet « qu'il existe plusieurs moyens de développer la petite hydroélectricité en France », que ce soit en créant de nouvelles petites centrales inférieures à 4,5 MW ou en modernisant les infrastructures existantes. Avec à la clé, un potentiel global estimé entre de 2,7 à 3,7 TWh supplémentaires, mais tout en précisant que « le classement en Liste 1 des cours d'eau condamne 75 % du potentiel de création de nouvelles petites centrales hydroélectriques, soit 1,9 TWh ».
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