Transport par câble. Après le « moteur » de la neige, l’accélération de l’urbain pour Poma ?

Bien que son métier ait démarré avec la neige, l'urbain a pris une place de plus en plus importante pour le constructeur isérois Poma, qui a déjà livré près 8.000 installations pour le domaine des transports, dont les ¾ à l’export. Et la crise sanitaire n’a fait qu’accélérer cette tendance déjà naissante, comme on vient de le voir avec les enveloppes annoncées mercredi dernier par Jean Castex. Plusieurs villes comme Toulouse, Grenoble et peut-être demain Lyon, envisagent désormais très sérieusement de sauter le pas. De quoi « remplacer » son moteur historique que représente la neige ?
Le projet de métrocable grenoblois conduit par la SMMAG, et pour lequel Poma a été choisi à la suite d'un appel d'offres, vient de recevoir la confirmation d'une subvention de l'Etat français de 5,1 millions d'euros, sur un montant total estimé à 55 millions. De quoi faire peser davantage l'urbain dans son modèle face à son moteur historique lié à la neige, après l'hiver particulièrement difficile qu'ont connu les stations ?
Le projet de métrocable grenoblois conduit par la SMMAG, et pour lequel Poma a été choisi à la suite d'un appel d'offres, vient de recevoir la confirmation d'une subvention de l'Etat français de 5,1 millions d'euros, sur un montant total estimé à 55 millions. De quoi faire "peser" davantage l'urbain dans son modèle face à son moteur historique lié à la neige, après l'hiver particulièrement difficile qu'ont connu les stations ? (Crédits : DR/Poma)

D'ici début 2022, Poma inaugurera un projet de téléphérique urbain, le plus long de France avec ses 3 kms, à Toulouse. Ce projet emblématique de par sa longueur, mais aussi son interconnexion au réseau urbain de manière à accueillir 8.000 usagers chaque jour, fera passer l'isérois à un autre stade.

Et c'est sans oublier la récente annonce réalisée par le Premier ministre Jean Castex qui a confirmé, à travers le 4 appel à projets de l'Etat en matière de transports collectifs, le soutien du gouvernement à deux projets de téléphériques urbains en Auvergne Rhône-Alpes. Dont celui, déjà engagé, de la métropole grenobloise, où Poma a justement remporté l'appel d'offres pour une mise en service à compter de 2024.

Car si Poma était, depuis 85 ans, principalement issu d'un ADN marqué par les activités liées à la neige, et notamment aux remontées mécaniques, « l'urbain a commencé d'abord par un grand pan développement lié à des projets touristiques, comme en Chine dans les années 1990 et plus récemment avec la télécabine du zoo de Beauval », indique son président du directoire Jean Souchal.

Sans oublier de premières incursions réussies dans des projets urbains symboliques, comme la rénovation du téléphérique de New-York en 2010, mais aussi avec son offre de minimetros déployées au Caire et à Miami, ainsi que les metrocables déployés au sein de plusieurs villes d'Amérique du Sud.

Désormais, c'est le marché français qui s'ouvre à lui, avec un projet phare bien engagé à Toulouse (82 millions d'euros), mais aussi un dossier en cours à Grenoble (55 millions d'euros). Ou encore Saint-Denis de la Réunion, où Poma construit actuellement une ligne de 2,7 km.

Elle comprendra notamment cinq stations, "reliant le quartier du Chaudron (à l'est du centre-ville) au quartier de Bois de Nèfles Sainte-Clotilde (au nord), en passant par le quartier de Le Moufia, et sera connectée au réseau de transport Citalis existant, de plus de 21 millions de voyageurs annuels", précise l'équipementier.

Car en même temps que la crise sanitaire a frappé de plein fouet son marché historique des remontées mécaniques, on assistait, un peu partout à travers le globe, mais aussi en France, à un appétit renouvelé pour les initiatives en matière de transport décarboné.

Après plusieurs décennies marquées par l'essor du tramway et des métros, le climat semble que plus que jamais favorable à la transition engagée par l'isérois Poma, dont le transport urbain représente, pour l'heure 20%, de son chiffre d'affaires.

Des atouts en milieu urbain

« Le transport par câble a plusieurs atouts à faire valoir en milieu urbain, car il s'agit d'un mode de transport vertueux, qui s'inscrit bien dans la transition énergétique, et qui permet de franchir par ailleurs un certain nombre d'obstacles naturels ou de pallier à des problématiques rencontrées en milieu urbain, comme le franchissement de routes ou de lignes à haute-tension », indique Jean Souchal.

Et d'ajouter : « ce mode de transport peut s'avérer de plus compétitif en coûts, lorsqu'il évite de devoir construire des infrastructures lourdes comme des tunnels ou grands ponts ».

Et même si certains projets comme le téléphérique de Toulouse auront accusé quelques mois de retard en raison, entre autres, de difficultés d'approvisionnement croissantes sur les marchés mondiaux des matières premières, le président du directoire de Poma cite l'exemple du projet grenoblois qui, après une décennie de discussions au sein de la métropole PS, a finalement été actée l'an dernier pour une mise en service à compter de 2023.

« A Grenoble, le projet de metrocable qui vise à traverser non seulement l'Isère et le Drac, mais aussi des lignes de chemin de fer, deux autoroutes et trois lignes de tram, est la quintessence de ce qu'amène le transport par câble par rapport aux autres modes ».

Résultat ? Cette mobilité s'inscrit désormais dans une réflexion autour de l'intermodalité, en complément des tramways et bus à haut niveau de service (BHNS). « C'est aussi une manière de lancer des lignes assez rapidement, sans devoir paralyser la circulation et la ville durant des travaux de voirie, qui pourraient prendre deux à trois années pour d'autres modes de transport », abonde Jean Souchal.

« Le même type d'expérience de voyage que dans un TER », la vue en plus

Car après une première incursion de ce mode de transport par les airs au début du 20e siècle, « où plusieurs centaines de projets tournaient en France (comme à Rouen, Lyon, ou Montmartre) », ce sont surtout des projets comme le metrocable de Medellín en Colombie, au début des années 2000, qui ont tracé une nouvelle voie :

« Il s'agissait d'un véritable pari à l'époque, car il était difficile d'imaginer un système qui devrait travailler de 18 à 19h par jour sans interruption, et ce toute l'année. Mais l'on a vu avec l'expérience, et grâce aux solutions de pilotage que nous apportons avec nos équipements et nos ingénieurs, qu'il est tout à fait possible d'opérer de telles lignes de manière fiable, toute l'année », estime Jean Souchal.

Poma urbain

Et ce n'est pas l'exemple Brestois qui, après une mise en service en 2016 par son constructeur BMF, a connu une série d'arrêts de services, viendra lui démontrer le contraire. A Toulouse, l'opérateur Tisséo positionnés aux côtés du fabricant isérois avait lui-même commenté : "On n'a pas voulu se précipiter. Brest, où le téléphérique est d'une conception en outre expérimentale, a voulu forcer le calendrier et cela a été catastrophique".

Car en plus de proposer désormais une technologie dite 3S, basée sur trois câbles différents, jugée plus stable et plus silencieuse, Poma compte également sur des solutions de pilotage développées avec sa filiale, la SEMER, basée en Haute-Savoie, qui se spécialise dans les automatismes et le traitement de données issues de l'intelligence artificielle.

A l'image des métros ou même des projets de navettes autonomes, le développement de solutions de pilotage digitales a également pris davantage de place dans le transport par câble, car son ambition est bien d'être entièrement automatisé, et « fiabilisé » à l'année : « face à des conditions climatiques qui se détériorent, avec les inondations qui ont eu lieu récemment dans le métro sur la côte Est des États-Unis, on a par exemple constaté que le transport par l'air n'avait pas été touché, et a même pu continuer de fonctionner », illustre Jean Souchal.

Même le visage des cabines d'aujourd'hui ne ressemble pas vraiment à celui des remontées mécaniques d'hier : de la conception des projets, nécessitant intégrer l'ensemble des flux de mobilité, au design des cabines, permettant d'accueillir vélos et poussettes, ou encore au cheminement des voyageurs... Poma travaille désormais à dessiner une offre qui intègre aussi wifi, lumière de nuit, avec un objectif : « offrir le même type d'expérience de voyage que dans un TER », la vue en plus.

Toulouse, un vecteur de développement "par la preuve"

Quant à la question de l'acceptabilité sociale, qui se pose actuellement l'un des enjeux majeurs au regard de certains projets comme à Lyon, où des riverains et même des élus s'opposent à ce projet porté par la majorité écologiste, ou même à Grenoble, où le dossier de metrocable aura mis une décennie à voir le jour, Jean Souchal se montre cependant confiant :

« Il s'agit d'une solution qui fait finalement peu de bruit, qui survole certes des maisons, mais sans comprendre non plus de plancher en verre... Le plus important, c'est de démystifier ce mode de transport et d'expliquer les choses de manière simple ». A ce titre, il estime d'ailleurs que le projet toulousain va être « un véritable vecteur de développement par la preuve ».

Avec un positionnement qui veut désormais campé sur ses années d'expériences à l'export, mais aussi à la montagne, Poma compte donc accélérer sur ce marché, quitte à ce qu'il atteigne au moins 25%, sans toutefois se placer en concurrence directe avec d'autres acteurs du transport comme Keolis ou Transdev, auprès desquels il compte se placer en appui.

« Ce sont les autorités organisatrices de transport qui ont la charge de développer le réseau, notamment à travers des appels d'offres. Et à chaque fois qu'elles le feront, nous serons là », affirme le président du directoire, qui glisse travailler déjà sur une dizaine de projets en simultané, même si la crise sanitaire aura décalé certaines échéances.

De quoi « remplacer »  son moteur historique que représente la neige, après l'hiver particulièrement difficile qu'ont connu les stations, et qui pourrait peser sur leurs investissements ? « Le transport urbain progresse, mais il s'agit aussi d'un marché de temps long, où les décisions peuvent prendre du temps à se construire ».

Mais surtout, Jean Souchal a toujours la conviction que la neige « a encore toute sa place » dans le modèle de la société. Même si côté français, les impacts financiers de la saison blanche se font encore ressentir en cette rentrée.

« Même si certains exploitants et stations comme la Compagnie des Alpes, la SATA ou les Saisies et d'autres ont joué le jeu et soutenu la filière, il nous manque aujourd'hui encore un tiers d'activité, nous sommes dans un Covid long », affiche Jean Souchal.

D'autant que cette crise pose aussi la question de la maintenance des équipements qui n'ont pas été utilisés et qui n'observeront pas le même cycle qu'auparavant. Pour autant, l'isérois reste convaincu que « les skieurs reviendront dès qu'ils en auront la possibilité », tandis que l'export continue d'alimenter les marques de confiance sur le marché du ski.

« Nous sommes encore en plein développement en Chine, et plus largement en Asie. On sent que ça bouge également dans des zones en développement comme le Caucase, tandis que les États-Unis, qui n'ont pas fermé leurs stations, font même une année extraordinaire ».

Et c'est sans compter le marché frémissant (et encore spécifiques) des ascenseurs valléens, sur lequel se positionne également Poma. Des chantiers là aussi de taille, pour ces nouveaux modes de transports visant à relier, par le câble, les sommets à leurs vallées, et pour lesquels le plan Avenir Montagnes ainsi que le plan Montagne II de la Région Auvergne Rhône-Alpes ont toutes deux promis des enveloppes de plusieurs millions d'euros, destinées à accompagner le démarrage de plusieurs projets.

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