Soitec et STMicroelectronics : une croissance ininterrompue, mais soumise à l’enjeu de la production (et des chaînes logistiques)

DECRYPTAGE. En Isère, la progression des semi-conducteurs se poursuit, mais la pénurie des composants électroniques en bout de chaîne n'est pas nécessairement prête à s'arrêter pour autant. Alors que les résultats des deux fabricants STMicroelectronics et Soitec sont à nouveau tirés par la demande mondiale, dont celle de l'automobile, tous deux savent qu'il leur faudra produire plus pour assurer l'équilibre entre l'offre et la demande. Pour l'heure, ni la récente coupure de l'alimentation électrique, ni la guerre en Ukraine n'auront impacté les résultats. Mais les regards de ST sont tournés vers les chaînes d'approvisionnements mondiales, mises à risque avec les nouveaux confinements en Asie.
Pour les deux acteurs, la capacité à maintenir une production à hauts volumes sur l'ensemble de l'année 2022 devrait donc constituer, plus que jamais, l'enjeu majeur des prochains mois à venir. La demande dépasse de 30 à 40 % notre capacité de production actuelle et celle prévue pour 2022, confirmait STMicroelectronics.
Pour les deux acteurs, la capacité à maintenir une production à hauts volumes sur l'ensemble de l'année 2022 devrait donc constituer, plus que jamais, l'enjeu majeur des prochains mois à venir. "La demande dépasse de 30 à 40 % notre capacité de production actuelle et celle prévue pour 2022", confirmait STMicroelectronics. (Crédits : DR/STMicroelectronics)

D'un côté, on fait montre d'une implacable croissance. De l'autre, on se félicite, mais on reste prudent. Mais à Soitec comme chez STMicroelectronics, les chiffres sont pour l'heure toujours au beau fixe. Le cycle haussier se poursuit, tiré par la demande mondiale. A commencer pour Soitec, qui se pose comme l'un des leaders mondiaux de la fabrication de substrats semi-conducteurs depuis ses sites de Bernin (Isère) et Singapour, et dont l'exercice décalé vient (à nouveau) de franchir un nouveau cap.

+53% de croissance sur le 4ème trimestre 2021-2022, mais aussi +48% pour l'ensemble de son l'exercice décalé 2020-2021... Désormais, l'isérois vient de franchir le cap symbolique du milliard de dollars de chiffre d'affaires annuel, avec 863 millions d'euros enregistrés sur l'ensemble de l'exercice, et un 4e trimestre qui atteint lui aussi un niveau jugé "record" de  282 millions d'euros.

Ces résultats sont portés à la fois par un effet de change positif de 3%, mais plus largement par une croissance présente sur l'ensemble de ses segments : avec tout d'abord, son premier marché final constitué des communications mobiles, et "qui continue d'être porté par le déploiement de la 5G", mais aussi, par une nouvelle croissance dans l'automobile et l'industrie, "comme en témoigne le niveau soutenu des ventes de substrats Power-SOI et FD-SOI qui continuent de bénéficier de la reprise du marché automobile", précise le fabricant.

Enfin, Soitec a également enregistré une nette progression de ses ventes de substrats FD-SOI à destination des objets connectés et les applications d'edgecomputing ainsi que de ses ventes de substrats Photonics-SOI à destination des centres de données.

Sept trimestres de croissance consécutive

Des chiffres qui marquent même "le septième trimestre consécutif enregistrant une croissance organique séquentielle positive d'un trimestre sur l'autre", rappelle la société, qui avait posé le 31 mars dernier la première pierre de sa nouvelle usine dédiée à la fabrication de nouveaux substrats en carbure de silicium, chargés de répondre aux défis majeurs des marchés du véhicule électrique. Un investissement estimé à près de 400 millions d'euros et 450 emplois, pour une production dont les premiers volumes sont attendus dès le courant de l'année 2023.

Ce ne sera d'ailleurs loin d'être le seul investissement à venir puisque, d'ici 2026, ce sont 1,1 milliard d'euros qui devraient être dépensés pour soutenir la montée en volume de sa production (dont 20% pour le carbure de silicium), avec "au moins une nouvelle usine sera encore nécessaire", confirmait à La Tribune Paul Boudre.

L'isérois projette désormais une croissance de 20% "à périmètre et taux de change constants" sur l'exercice 2022-2023, ainsi qu'une une marge d'Ebitda à un niveau "au moins égal" à l'exercice précédent.

Une prévision relativement prudente au vu du dynamisme du marché, mais qui s'ajoute à une nouvelle cible à plus long terme : car après avoir visé le cap des 2 milliards de dollars US d'ici l'exercice 2025-2026, Soitec rehaussé désormais cet objectif à 2,3 milliards de dollars, associé à un objectif de marge d'Ebitda d'environ 40%.

Et malgré un marché des ventes de smartphones tourné à la baisse au cours du premier trimestre 2021, et qui représente encore l'un des piliers de son offre, Soitec n'est pas inquiet : "Nous avons observé un recentrage sur les gammes de smartphones premiums, situés au-dessus de 400$", a assuré Paul Boudre ce jeudi, lors de sa traditionnelle conférence aux investisseurs. Il accueillera d'ailleurs dès le 1er mai prochain son successeur Pierre Barnabé, pour une nouvelle étape majeure dans la transition de sa gouvernance, désormais apaisée, avant que celui-ci ne prenne les rênes à la mi-juillet.

Et l'on sait déjà que celui-ci sera plongé directement dans les aspects très opérationnels d'une production qui monte à pleine régime : "Si nous pouvions produire plus, nous vendrions plus", a confié Paul Boudre aux investisseurs. Sans évoquer encore le contenu de son carnet de commandes annuel, il a confirmé que de nombreux clients passent désormais des accords "de plusieurs années" avec Soitec.

En parallèle, l'isérois a confirmé que ses prévisions de guidante rehaussées incluent les conséquences de l'incendie de plusieurs lignes électriques haute tension locales, survenues dans la nuit du 4 à 5 avril sur le bassin grenoblois, et qui ont généré des coupures de production chez Soitec comme son voisin ST : après une remise en service de ses équipements qui a pu avoir lieu "en fonctionnement totalement normal dès le 9 avril", soit 4 journées après l'incident, cet arrêt temporaire ne devrait avoir "qu'un impact très limité sur ses performances opérationnelles et financières de l'exercice 2022-2023".

17% de croissance et des demandes pour les 18 prochains mois

Du côté de STMicroelectronics, l'ambiance est également à la satisfaction, même si son président du directoire et directeur général, Jean-Marc Chéry, a fait montre d'une certaine prudence, particulièrement remarquée lors de sa conférence délivrée aux investisseurs.

"Nous avons une visibilité sur notre carnet de commandes d'environ 18 mois. La demande dépasse de 30 à 40 % notre capacité de production actuelle et celle prévue pour 2022", a affirmé le PDG du fabricant franco-italien, qui confirme que les réservations de produits "restent fortes pour tous nos clients et toutes les zones géographiques".

Malgré cela, le fabricant de puces, dont l'un des principaux sites de production se trouve en banlieue grenobloise, évoque des résultats satisfaisants pour décrire sa croissance de +17,6% enregistrée au premier trimestre 2021 (soit 3,55 milliards de dollars), tandis que son résultat net a presque doublé, pour atteindre 747 millions de dollars.

Il envisage d'ailleurs une croissance de 16 à 20% pour 2022, ce qui l'amènerait à un nouveau record de 14,8 et 15,3 milliards d'euros de chiffre d'affaires, arguant d'un carnet de commandes déjà rempli à 90% pour les 12 prochains mois.

Car si l'ensemble de sa gamme (hors imageurs) ont tiré la croissance, ce sont nouveau les microcontrôleurs qui poursuivent leur conquête, en particulier à destination du secteur automobile avec l'électrification des véhicules, où ces composants permettent d'optimiser les performances des batteries, mais aussi des objets connectés et des différents équipements électroniques au sens large (ordinateurs, montres et objets connectés, électroménager, etc) qui s'avèrent également fortement dépendants de ces composants.

Et pour y répondre, le franco-italien avait annoncé lui aussi des investissements massifs : à commencer par une enveloppe d'investissement renforcée entre 3,4 à 3,6 milliards de dollars courant 2022, ainsi que plus largement le doublement de ses capacités de production en Europe d'ici 2025 comme il l'évoquait à La Tribune, et qui reposeront sur le renforcement de son site de Crolles (France), de Catane (en Sicile), ainsi que le démarrage d'une nouvelle unité de production en 300 mm à Agrate (Italie).

L'enjeu des chaînes logistiques

S'il ne semble pas à première vue touché par un revers de la médaille -STMicroelectronics serait même devenu cette année le n°1 un mondial des microcontrôleurs à usage général, devant l'américain Microchip Technology, selon Jean-Marc Chéry-, le groupe demeure attentif aux possibles « catastrophes» ou aux « vents contraires ». Et se prépare tout même à tous les grains de sable qui pourraient se trouver sur son chemin.

Car il sait que tout ne dépendra pas complètement de lui : fortement exposé non pas au risque russe, mais à celui de la Chine, STMicroelectronics avait déjà pâti, au démarrage de la crise sanitaire, de la mise à l'arrêt de l'économie mondiale, qui avait impacté sa production. A l'heure où l'Asie représente en effet encore 80% de la production mondiale de la filière, STMicroelectronics réalise lui aussi une partie de ses activités d'assemblage et d'encapsulation dans plusieurs pays asiatiques : en Malaisie, aux Philippines mais aussi en Chine.

Et deux ans plus tard, en mars 2022, la fermeture des usines de Shenzhen (Chine) en raison d'un nouveau confinement vient de lui valoir à nouveau deux semaines de pertes de production. Suivies, fin mars, de celle des aéroports et infrastructures portuaires de la ville de Shanghaï cette fois, qui a à nouveau  pénalisé fortement les chaînes d'approvisionnement et la logistique de la filière, générant un impact négatif estimé à "quelques dizaines de millions de dollars sur le chiffre d'affaires du deuxième trimestre 2022".

Puis début avril, un incendie intervenu sur les lignes à haute tension voisines de son site de Crolles, en Isère, avait coupé durant quelques heures sa production de manière inopinée, alors même que le procédé de production des puces, utilisant des salles blanches à l'environnement ultra-controlé, couplé à des procédés de gravure, s'avère lui aussi particulièrement énergivore.

A ce titre, l'envolée des prix de l'énergie n'est pas non plus une bonne nouvelle pour la filière, même si STMicroelectronics se dit confiant en sa capacité de préserver ses marges, en répercutant pour l'heures ces hausses l'intérieur de ses prix.

Pour les deux acteurs, la capacité à maintenir une production à hauts volumes sur l'ensemble de l'année 2022 devrait donc constituer, plus que jamais, l'enjeu majeur des prochains mois à venir.

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