À Lyon, comment les réseaux de chaleur urbains tentent de sortir du gaz fossile (chaleur fatale, ENR...)

ANALYSE. La Métropole de Lyon porte dans ses cartons l’immense chantier des réseaux de chaleur urbains. Parmi les projets de la mandature écologiste : l’extension de l'un des sept réseaux existants, mais aussi la création de deux nouveaux, dont l’un prévoit d’alimenter en calories 14.500 équivalents logements supplémentaires. Et ce, avec de l’énergie décarbonée ou récupérée, ce qui constitue encore un défi à la fois technique et économique, pour rompre avec les 34 % de gaz fossile toujours distribués dans la Métropole.
Pour réduire la part de gaz fossile dans les réseaux de chaleur urbains, la Métropole de Lyon entend renforcer la part d'énergie fatale des industries dans son mix énergétique. Elle est pour autant confrontée à la lenteur de cette démarche dans le privé : pour l'heure, seule l'usine Tokai Cobay distribue sa chaleur fatale à deux réseaux lyonnais.
Pour réduire la part de gaz fossile dans les réseaux de chaleur urbains, la Métropole de Lyon entend renforcer la part d'énergie fatale des industries dans son mix énergétique. Elle est pour autant confrontée à la lenteur de cette démarche dans le privé : pour l'heure, seule l'usine Tokai Cobay distribue sa chaleur fatale à deux réseaux lyonnais. (Crédits : PIXABAY COM Zapan09)

Il s'agit de l'un des projets phares de ce milieu de mandat : le réseau de chaleur urbain du sud-ouest lyonnais, qui permettrait d'alimenter quelque 14.500 équivalents logements en chauffage collectif à partir de fin 2025, se rêve comme l'un des plus grands réseaux de chauffage collectif de la Métropole de Lyon.

Il entend en effet distribuer chaque année près de 140 GWh d'énergie thermique, entièrement renouvelable ou récupérée, aux habitants des communes  d'Oullins-Pierre-Bénite, de Saint-Genis-Laval et de La Mulatière, au sud-ouest de la capitale des Gaules. Et ce, afin de réduire la part de gaz fossile dans le mix énergétique, qui représente encore 34 % des calories distribuées en moyenne dans les sept réseaux de chaleur en activité du Grand Lyon.

Un dossier d'envergure, chiffré à 350 millions d'euros pour 25 ans d'exploitation, dont l'attribution le 29 janvier dernier à la société Coriance a notamment suscité des soupçons de « favoritisme », après l'envoi d'un courriel anonyme. Mais si la polémique désenfle peu à peu - notamment après le rejet du recours de la société concurrente Idex devant le tribunal administratif - elle a mis un coup de projecteur sur les deux ans de négociations de ce dossier, là où les réseaux de chaleur sont vus comme une des solutions dans la main des zones urbaines pour réduire les émissions de carbone du chauffage : elles représentaient en effet près de 78 % des émissions de CO2 des logements en 2021, indique l'Etat.

À Lyon, étendre les réseaux et augmenter la part d'ENR

Car les réseaux collectifs tendent peu à peu vers davantage d'énergies renouvelables et récupérées : chaleur fatale (jusqu'alors perdue par certaines industries), utilisation de la biomasse (chutes de bois, biogaz)... Ces ressources représentent aujourd'hui 66 % des calories distribuées en moyenne dans les réseaux de chaleur de la Métropole de Lyon (40 % proviennent de la chaleur fatale des incinérateurs de Gerland et de Rillieux-la-Pape et 26 % de la filière bois-énergie).

Après avoir déjà grapillé quelques points supplémentaires depuis 2020 (passant de 60 à 66 % aujourd'hui), la collectivité se fixe désormais pour objectif d'augmenter cette part d'énergies renouvelables ou récupérées à 75 % du mix en 2030. Puis à 100% avant 2045. Et ce, en révisant peu à peu l'équation énergétique, donc économique, des réseaux de chaleur : diversifier les sources d'énergies avec, comme l'un des principaux leviers,  le captage de la chaleur fatale des industries. Mais ce n'est pas encore gagné.

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Ce secteur, jusqu'ici assez peu exploré, constitue l'une des voies privilégiées par l'Agence de la Transition écologique (Ademe) pour sortir du gaz fossile. « Nous voyons arriver plus de projets de chaleur fatale, remarque ainsi Emmanuel Goy, directeur régional adjoint de l'Ademe Auvergne-Rhône-Alpes. Même si le bois-énergie reste le moyen le plus important pour décarboner la production de chaleur de ces réseaux ».

Ainsi, l'Agence finance notamment le projet de raccordement de l'usine spécialisée dans la cuisson d'électrodes en carbone et en graphite, Tokai Cobex, située à Vénissieux (Rhône), aux réseaux de chaleur Vénissieux/Saint-Fons et Centre Métropole (Lyon) à horizon 2025. Le tout, pour une production de 21 GWh par an en moyenne, soit entre 2 et 4 % du mix énergétique de ces réseaux.

Un dossier présent dans les documents cadres de la collectivité depuis « au moins 2019 » et « compliqué à faire sortir », détaille Philippe Guelpa Bonaro, vice-président de la métropole, notamment délégué aux réseaux de chaleur.

« Récupérer de la chaleur, c'est bien, mais il faut un engagement de fournir cette chaleur pendant au moins vingt ans. Les enjeux économiques et la transition actuelle font qu'il n'est pas évident de motiver un industriel à faire des investissements pour qu'il nous revende de la chaleur », remarque l'élu, qui ajoute avoir déjà approché d'autres industries de la métropole, dont la raffinerie Total Energies, à Feyzin.

Mais pour l'instant, sans succès : « Cela aurait nécessité des investissements qu'ils n'ont pas souhaité faire (...) Nous pensons pourtant qu'il y a un potentiel important et nous travaillons auprès des acteurs de la Vallée de la chimie pour en évaluer le potentiel. Mais il y a tellement de mutations de modèles économiques en ce moment, que je ne suis pas certain que beaucoup d'entreprises soient capables de s'engager ». 

Selon Emmanuel Goy (Ademe), si la frilosité économique des acteurs privés prévaut encore, cet investissement s'avère tout de même « de plus en plus intéressant » :

« Il faut d'abord que ce soit techniquement pertinent : que l'usine ne soit pas trop éloignée des réseaux et que la quantité de chaleur soit suffisante. Et puis il faut se mettre d'accord sur un tarif. Mais en général, la chaleur fatale est très rentable pour tout le monde. Dans les zones très denses, c'est du gagnant-gagnant ».

Des réseaux de chaleur « basse température »

De la même manière, les énergies renouvelables, comme le solaire thermique, la géothermie, ou encore le biogaz (compris dans la biomasse, mais encore faiblement représentatif aujourd'hui), ont aussi leur carte à jouer en ville. D'abord pour boucler le mix.

Ce sera notamment le cas à partir de 2029, grâce au « méthaniseur XXL » annoncé par la Métropole, qui alimenterait en partie le futur réseau de chaleur du sud-ouest lyonnais grâce à la méthanisation des boues de la station d'épuration de Pierre-Bénite : soit 11 GWh de chaleur distribuée au réseau, en plus des 77 GWh d'énergie supplémentaire produits en moyenne chaque année par l'ouvrage (l'équivalent de 300 bus, ou de 13.000 logements). Énergie qui serait soit vendue, soit autoconsommée par la collectivité (bâtiments publics, transports).

De même, la Métropole veut installer des pompes à chaleur à absorption au niveau de la station d'épuration de Pierre-Bénite.

Pour autant, mobiliser ces énergies renouvelables, dont certaines sont moins caloriques que le bois-énergie ou le gaz, nécessite de réduire le régime de températures des réseaux de chaleur. Ce qui reste un défi technique :

« Le solaire thermique, la géothermie, la chaleur fatale, sont des sources très performantes pour produire de la "moyenne température", à 60-70 degrés, mais les régimes des réseaux de chaleur sont souvent plus élevés. L'un des enjeux consiste, dans les années à venir, à réduire la température des réseaux de chaleur pour qu'ils puissent accueillir ces sources en plus grand nombre », ajoute Emmanuel Goy.

Diversification jusqu'au solaire qui, à Lyon, n'apparaît pas le plus pertinent pour l'exécutif métropolitain, qui « n'a pas encore réussi à trouver la place du solaire thermique » dans son mix, ajoute le vice-président aux réseaux de chaleur, Philippe Guelpa-Bonaro :

« Le foncier a sans doute une valeur qui mérite autre chose que du solaire thermique pour produire 5 à 10 % de la chaleur d'un réseau », estime l'élu.

Doubler le nombre de logements raccordés en cinq ans

Ainsi, la Métropole de Lyon s'est fixée un objectif : passer de 95.500 équivalents logements raccordés aux réseaux collectifs en 2021, à plus du double en 2026. Cela, notamment en obligeant depuis juin dernier le raccordement des nouveaux logements aux réseaux communs - sauf dérogation : « sur un périmètre donné, les copropriétaires, les bailleurs de fonds et tous les propriétaires de bâtiments ont l'obligation de se raccorder dès lors qu'ils réalisent une extension significative, une rénovation du système de chauffage ou une nouvelle construction », détaille Philippe Guelpa-Bonaro.

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De même, la collectivité envisage un futur projet du côté de l'Ouest lyonnais. Dans l'idée, in fine, d'accompagner la réduction des émissions de CO2, à « prix stables et compétitifs », remarque l'élu, face à l'instabilité des cours actuels des énergies fossiles.

En effet, « les réseaux de chaleur possèdent le gros avantage d'avoir une bonne visibilité et une bonne stabilité du prix, grâce à leurs ressources renouvelables et locales », ajoute Emmanuel Goy.

Mais tout cela doit encore être harmonisé avec les rénovations énergétiques. Car « la consommation énergétique des bâtiments va diminuer. C'est une difficulté potentielle pour l'exploitant du réseau », remarque le directeur régional adjoint de l'Ademe, qui souligne cependant que cette baisse de la consommation est aussi une opportunité, car elle « dégage des marges de manœuvre pour raccorder d'autres consommateurs ».

À Lyon, le décret tertiaire, imposant une diminution de -40 % des consommations énergétiques entre 2010 et 2030, vient à ce titre accélérer les rénovations des bureaux. Dont certains sont par ailleurs transformés en logements, notamment dans le quartier de la Part-Dieu.

À Lyon, les réseaux de froid urbain, comme « objets de recherche des deux prochaines années »

Les réseaux collectifs d'énergie ne servent pas qu'au chauffage : le froid urbain est lui aussi identifié comme un service essentiel au regard du changement climatique. Un enjeu particulièrement identifié à Lyon, où les températures estivales pourraient se rapprocher de celles de Madrid en 2050, selon les projections du plan climat de la métropole.

Ainsi, là où les climatiseurs ordinaires consomment énormément d'énergie et créent des « îlots de chaleur » en ville, d'autres solutions émergent, dont les réseaux de froid urbain. Ceux-ci utilisent notamment des sources d'eaux fatales afin de transformer des calories en frigories, puis les distribuer dans des réseaux collectifs.

Ainsi, il existe déjà un premier réseau de froid urbain, décarboné depuis 2018, dans le quartier de la Part-Dieu. Opéré par Dalkia (filiale d'EDF), il alimente le centre-commercial et les tours de bureaux. Un deuxième réseau, situé dans le quartier Gerland, est également opérationnel depuis l'automne 2022, afin de refroidir les bâtiments tertiaires. Tandis qu'un troisième, dit « tempéré » (de chaud et de froid) en utilisant les eaux usées, verra le jour dans le futur quartier de La Saulaie, à Oullins-Pierre-Bénite.

Mais désormais, « l'un des enjeux concerne le parc résidentiel, il faut oser y aller », estime Philippe Guelpa-Bonaro :

« Il faut des systèmes de rafraîchissement, comme nous avons des systèmes de chauffage dans les logements ». Ce qui demandera de « challenger les constructeurs et les promoteurs ».

Mais comment produire du froid pour des milliers d'habitants ? Puis le distribuer dans des bâtiments pour beaucoup non adaptés ? « Il faut de l'eau pour rafraîchir les compresseurs. Et pouvoir rejeter l'eau quelque part, sans qu'elle ne perturbe l'écosystème. Cet entremêlement de contraintes fait qu'on ne pourra pas créer des réseaux de froid partout en France avant 2050, c'est sûr et certain ».

Cependant, l'élu place cet enjeu comme « objet de recherche de la Métropole » pour les deux prochaines années. Et réfléchit notamment à une application dans le quartier de la Part-Dieu, en pleine régénération, notamment grâce à son mix de bâtiments tertiaires-résidentiels, pour certains compatibles avec ces réseaux collectifs.

Mais pour Emmanuel Goy, de l'Ademe Auvergne-Rhône-Alpes : « le gros enjeu pour le froid de confort l'été, c'est d'abord la réduction des besoins. Cela se fait par la réduction des apports solaires : des brises soleil, des casquettes, de la végétalisation, pour mettre les bâtiments et en priorité les vitres à l'ombre ».

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