Face à l’immense défi de la décarbonation, la Vallée de la Chimie se met en ordre de marche

Les industries de la Vallée de la Chimie, qui représentent 25 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) de la Métropole de Lyon, formalisent en ce moment leur décarbonation. Elles devront en effet réduire de 40 % leurs émissions de GES d'ici à 2030, puis de 80 % en 2050. Hydrogène, biogaz, solaire : le projet « DeClyc », porté par l'Ademe et une douzaine d'industriels, flèche des études vers des infrastructures énergétiques communes aux différents sites de production. Mais il reste à « convaincre » les investisseurs, et à articuler des modèles économiques à grande échelle.
Porté par les pouvoirs publics et douze industriels de la plateforme, le projet « DeClyc » vise à réduire de 40 % les émissions de GES de la Vallée de la Chimie lyonnaise en 2030, puis de 80 % d'ici à 2050, par rapport à 2015.
Porté par les pouvoirs publics et douze industriels de la plateforme, le projet « DeClyc » vise à réduire de 40 % les émissions de GES de la Vallée de la Chimie lyonnaise en 2030, puis de 80 % d'ici à 2050, par rapport à 2015. (Crédits : Laurence Danière-Métropole de Lyon)

Le défi est encore immense, et tous ses obstacles ne sont pas franchis : le secteur industriel, dont les activités représentent environ 20 % des émissions de gaz à effet de serre en France, doit en effet mettre en œuvre la décarbonation de ses procédés.

Le cap, dernièrement fixé par le gouvernement : changer de sources énergétiques et « transitionner » des ressources fossiles aux renouvelables (électrique renouvelable, biomasse), dans l'objectif, pour les cinquante sites les plus polluants en France (représentant à eux seuls 10 % des rejets de CO2), de réduire de 45 % leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) d'ici à 2030 par rapport à 2019. Le tout, pour une enveloppe d'investissements totale estimée entre 50 et 70 milliards d'euros.

Au sud de Lyon, la Vallée de la Chimie entre elle aussi dans le dur de ces grandes transformations. Le secteur, complété par les industries du nord de l'Isère, de la région grenobloise et de la Savoie, figure en effet à la cinquième place des régions industrielles les plus polluantes de France avec le Nord et le Pas-de-Calais (hauts fourneaux de Dunkerque), les Bouches-du-Rhône (Fos-sur-Mer), la Seine-Maritime (Le Havre et Rouen), mais aussi la Moselle.

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25 % des émissions de gaz à effet de serre de la métropole

Cette zone industrielle de 2.000 hectares, étalée sur 14 communes au sud de Lyon, regroupe en effet 500 organisations dont 18 grands comptes (une raffinerie Total Energies, un site de production de gaz fluorés d'Arkema, mais aussi les plasturgistes Kem One et Domo). Autant d'activités qui représentent, à elles seules, un quart des émissions de gaz à effet de serre des 58 communes de la collectivité, sans compter les autres rejets polluants, notamment dans l'eau, avec les perfluorés.

Un enjeu métropolitain, donc, investigué depuis plus d'une dizaine d'années par les pouvoirs publics : la « Mission Vallée de la Chimie » met déjà tous les acteurs autour de la table depuis 2010. Tandis que le plan « Pacte pour l'impact 2023-2030 », lancé par la nouvelle majorité écologiste, veut renforcer le dialogue autour de grandes lignes : décarboner, maîtriser le foncier et l'impact territorial. Mais comment œuvrer et amorcer concrètement cette transition énergétique ?

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« Démontrer aux industriels qu'ils doivent co-investir »

L'enjeu principal, selon Emeline Baume, vice-présidente de la Métropole de Lyon déléguée à l'économie et à l'industrie, reste de « mutualiser » les ressources, publiques et privées, « dans une démarche d'écologie industrielle et territoriale, même si ce terme n'est plus vraiment à la mode ».

Autrement dit : faire travailler ensemble les différents échelons et ramener les grands groupes à leurs obligations territoriales. D'où la naissance du dernier plan en date, nommé « DeClyc » pour « Décarboner Lyon Vallée de la Chimie » : porté par les pouvoirs publics et les douze acteurs les plus polluants de la plateforme* (89% des émissions globales de la vallée de la chimie, soit 1,6 million de tonnes de CO2 par an), il vise à réduire de 40 % leurs émissions de GES en 2030 par rapport à 2015, puis de 80 % d'ici à 2050 (date à laquelle la France s'est engagée à atteindre la neutralité carbone). Et ce, notamment en lançant des études sur des infrastructures énergétiques communes, dont les investissements viendront ensuite.

« Ces études visent à démontrer l'impact de la mutualisation d'outils de décarbonation ou de circularité, remarque en effet Emeline Baume. Pour démontrer aux industriels qu'ils doivent co-investir. Et cela reste un enjeu, notamment parce que ces grands opérateurs industriels peuvent avoir des stratégies de décarbonation internationales, et/ou européennes, et/ou nationales, mais pas sur le site de production, en propre. »

* Les douze industriels engagés dans le projet DeClyc : Total Energie, Arkema, Domo, Solvay, Symbio, Elkem, IFP Energie nouvelle, GRT Gaz, Kem One, Suez, Adisseo et Vicat.

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Mutualiser les infrastructures énergétiques

En effet, les douze sites en question utilisent encore à 92 % des énergies fossiles, notamment du gaz, pour générer la vapeur exploitée dans leurs activités, indique le pôle de compétitivité lyonnais Axelera, chargé notamment de faire le pont entre les collectivités, la société civile et les industriels. D'où l'idée de construire des infrastructures communes.

C'est notamment le cas du projet d'électrolyseur HYDOM porté par DOMO et EDF, afin de séparer et capter l'hydrogène contenu dans l'eau, à partir d'électricité, puis utilisé dans la production d'ammoniac. De même, six autres lots thématiques ont été identifiés - dans la continuité du plan national : biogaz, réseaux électriques, vapeur décarbonée, déploiement du photovoltaïque, ressource en eau, captage de CO2.

Le tout, pour se défaire en partie, dans les prochaines années, d'un modèle encore structuré par les énergies fossiles et importées. Et ce, en jouant notamment sur l'efficacité d'outils partagés.

Mais pour l'instant, ces idées ne sont qu'inscrites sur papier. La première étape consiste à réunir les industriels concernés, les concerter et réaliser des études (qui seront attribuées à des bureaux spécialisés au printemps), sur une durée d'environ deux ans.

Le tout, co-financé à hauteur d'un million d'euros par les industriels et de 940.000 euros par l'Agence de l'environnement (Ademe), dans le cadre du nouveau volet de son appel à projets « ZIBaC » (zones industrielles bas carbone). Une labellisation obtenue dès novembre 2022 par les sites de Dunkerque et de Fos-sur-Mer, mais aussi par les ports du Havre et de Saint-Nazaire en 2023.

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Interroger les modèles économiques

Les conclusions seront livrées fin 2025 et « permettront de lancer les investissements privés que l'on aura évalués », assure Emeline Baume. Pourtant, certaines filières subissent des difficultés financières sur le plan de la rentabilité, dont celle de l'hydrogène vert, qui accuse un certain retard à l'allumage. Car, si « les technologies sont désormais bien identifiées », remarquait en novembre dernier Anaïs Voy-Gillis, géographe et économiste, spécialiste de la réindustrialisation, « elles posent la question de leur maturité ».

De l'autre côté du spectre, la concurrence sera rude avec les pays asiatiques sur le plan productif. D'où la question, quasi philosophique si elle n'entrait pas désormais les bilans comptables, de la balance des coûts économiques et climatiques.

Sur ce point, le pôle de compétitivité Axelera, chargé de coordonner les acteurs, a déjà dressé une esquisse des coûts, via une courbe d'abattement marginal (MAC). Selon Gaël Plassart, son président :

« Les premières mesures seront sans doute les moins onéreuses par rapport à la tonne de CO2 évitée. À l'inverse, les dernières tonnes de CO2 à récupérer seront forcément les plus coûteuses. L'idée est d'investir rapidement vers les mesures qui auront le plus d'effet. C'est notamment le cas des chaudières biomasse pour produire de la vapeur. C'est l'un des gros besoins de ces entreprises. »

La filière chimie et matériaux a pour sa part estimé ses besoins en biomasse entre 7 et 8 TWh par an en France dès 2030, et entre 7 et 12 TWh d'électricité bas carbone supplémentaire. Des investissements conséquents, notamment financés par des aides publiques.

À ce titre, le réseau Action climat France (association loi 1901) dénonçait, dans son rapport de juin 2023, l'inefficacité des actions menées jusqu'ici à l'échelle des deux dernières décennies, pour les 50 sites industriels les plus polluants (comprenant aussi des activités métallurgiques, de la cimenterie et du sucre, ndlr) :

« Ces dernières années, en dehors de la réduction des émissions, causée par la diminution de la production pendant la crise économique de 2008, les émissions du secteur n'ont pratiquement pas diminué », constatait l'association.

Et ce, alors que « les industries les plus émettrices de CO2 ont reçu au total plusieurs dizaines de milliards d'euros d'aides de la part de l'Union européenne et de la France (crédits impôt recherche, programmes d'investissement d'avenir, France relance, stratégie nationale pour le développement de l'hydrogène décarboné, France 2030, fonds innovation etc.) ».

En Auvergne-Rhône-Alpes, la région est d'ailleurs bénéficiaire de l'un des six fonds de transition tout justes validés par la Commission européenne, doté de 78 millions d'euros. L'objectif : « atténuer l'impact économique et social de la transition vers la neutralité climatique dans les territoires les plus émetteurs de CO2 d'origine industrielle ».

La recherche lyonnaise travaille sur les procédés industriels décarbonés

Le CNRS et l'établissement public IFPEN Energies nouvelles, situé à Solaize (Rhône), ont lancé en juin dernier un vaste programme de recherche destiné à développer « de nouveaux procédés industriels décarbonés ». Courant sur six ans, il bénéficie d'une enveloppe publique de 70 millions d'euros.

Parmi ses grands axes de travail, figurent notamment la production de chaleur, la séparation du CO2 et le traitement du CO2 résiduel, via la conversion en carburants ou par séquestration géologique. D'autres programmes portent aussi sur l'écologie industrielle et le traitement des sites industriels.

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Commentaire 1
à écrit le 05/02/2024 à 20:32
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Beau défi à relever pour les ingénieurs qui vont devoir faire preuve d'imagination à la hauteur de leurs savoirs .

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