À Lyon, les réseaux de froid urbains remplacent les climatiseurs

Dans le quartier d'affaires de la Part-Dieu, à Lyon, plus d'un million de m2 de bureaux et de commerces sont reliés à l'un des deux réseaux de froid urbains de la Métropole, opérés par Dalkia (filiale d'EDF). Le circuit, qui utilise des eaux jusqu'ici perdues, permet d'économiser 50 % d'électricité par rapport à un parc de climatisations autonomes et de rompre avec les îlots de chaleur. Ce système est l'un des leviers de la régénération du deuxième quartier tertiaire français, qui doit décarboner ses consommations de 40 % d'ici à 2030.
Le quartier de la Part-Dieu doit atteindre réduire ses consommations d'énergies de 40 % d'ici 2030.
Lyon Part-Dieu
Le quartier de la Part-Dieu doit atteindre réduire ses consommations d'énergies de 40 % d'ici 2030. (Crédits : DR/ML)

À l'abri des regards passants, ceux des quelque 125 000 voyageurs quotidiens de la gare de La Part-Dieu à Lyon (Rhône), les vibrations du réseau de froid urbain de Mouton-Duvernet, enfoui à 12 mètres sous terre, produisent la fraîcheur nécessaire à l'activité de 60 000 employés du quartier d'affaires de la capitale des Gaules. Les compresseurs s'emploient toute l'année à refroidir le circuit collectif. Celui-ci alimente plus d'un 1 million de m2 de bureaux (Le Crayon, les tours Silex 2 et Sky 56), de commerces (le centre-commercial de la Part-Dieu, plus grand de l'Hexagone en nombre de boutiques), de bâtiments publics (la Métropole), dédiés à la santé (cliniques du Parc et du Tonkin), et de logements, dans un quartier hyper-urbanisé, en proie aux fortes chaleurs.

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Le système n'est certes pas nouveau - le circuit fonctionne depuis 1971 - mais l'arrivée d'une nouvelle station de conversion en 2019 a permis au pôle tertiaire de revoir la copie en matière de prélèvements en eau et d'efficacité énergétique. En effet, l'opérateur Dalkia (EDF) utilise désormais les eaux d'exhaure de la nappe phréatique profonde de la ville pour refroidir ses compresseurs, lesquels créent la fraîcheur qui sera ensuite distribuée à 4 degrés en circuit fermé.

Auparavant, le réseau de fraîcheur ponctionnait dans la nappe phréatique de surface. « Il y a plus de mille piquages de forage », relève Philippe Guelpa-Bonaro, vice-président de la métropole (EELV), en charge de l'énergie. « Cela engendre un réchauffement de la nappe, ce qui pose d'abord un problème environnemental et sanitaire ».

« Valoriser une énergie qui aurait été perdue »

Surtout - et le système est unique en France - les eaux d'exhaure, dites "fatales" car issues des infiltrations dans le parking souterrain de la gare, seraient perdues si elles n'étaient pas utilisées. « Elles sont de toute façon captées contre le risque inondation. On valorise donc une énergie qui aurait été perdue », dépeint Gérald Campbell Robertson, directeur d'exploitation du site pour Dalkia.

Le rendement de l'opération s'avère aussi très intéressant : pour une puissance maximale de 22 mégawatts (MG) -10 MW de production, et 12 MW de stockage-, l'usine consomme 2 MW d'électricité. Et si la centrale de Mouton-Duvernet, qui a doublé sa production cet été 2023, réalise l'essentiel de sa production lors des fortes chaleurs, elle ne s'arrête pas en hiver pour autant. « Le réseau continue de fonctionner, notamment pour refroidir les data centers et les blocs opératoires », ajoute Gérald Campbell Robertson, là où les hôpitaux du 8e arrondissement de Lyon s'avèrent selon lui « très intéressés » par l'extension progressive du réseau, soutenue par la Métropole.

Une nouvelle unité de production de froid a d'ailleurs ouvert dans le quartier Gerland à l'automne 2022. Elle utilise cette fois une nappe d'accompagnement du Rhône, qui se remplit en hiver, et raccorde 300 000m2 de bureaux supplémentaires, dont ceux de l'académie lyonnaise de l'Organisation mondiale de la santé. Coût de l'opération : 18 millions d'euros, en plus des 22,5 déjà investis par Dalkia à la Part-Dieu.

« On réveille un modèle tombé en désuétude à la fin du siècle dernier »

Dans les bureaux, la fraîcheur ventilée fait son effet. « C'est un grand flux d'air, avec une impression plus naturelle que la climatisation », détaille Florent Sainte Fare Garnot, directeur général de la SPL Lyon Part-Dieu, qui organise les opérations publiques-privées du deuxième quartier d'affaires français. Cette technologie, moitié moins consommatrice d'énergie qu'une climatisation classique, intéresse le secteur à l'aune de ses engagements de décarbonation avec le décret Eco Energie Tertiaire, qui vise une économie d'énergie finale du parc d'au moins 40 % en 2030 par rapport à 2010.

L'objectif est également de rompre avec les îlots de chaleur, liés aux rejets d'air chaud des climatiseurs. « Progressivement, on va vers une bascule où les raccordements constitueront la solution technologique principale », analyse Florent Sainte Fare Garnot. D'autant que le quartier amorce un virage vers la régénération de 25 % de sa surface tertiaire d'ici 2030.

« C'est aujourd'hui l'aventure immobilière principale, avec une condition d'adaptation aux standards contemporains. On est en train de vivre la résurrection du modèle des réseaux de chaud et de froid des grands ensembles des années 1960, 1970 et ce, pour des raisons différentes, qui sont désormais climatiques. Il y a des vagues de générations techniques. Aujourd'hui, on réveille un modèle tombé en désuétude à la fin du siècle dernier ».

Florent Sainte Fare Garnot - Directeur général de la SPL Lyon Part-Dieu

Un usage majoritairement tertiaire

En 2022, 35 circuits de froid urbains étaient opérationnels dans l'Hexagone, contre 898 pour les réseaux de chaleur. Ils se dirigent à 88 % vers le secteur tertiaire, indique le syndicat national du chauffage urbain dans son rapport 2022, « en particulier les bureaux, les hôpitaux, les université, les aéroports ». À Lyon, ce taux atteint même les 96 % de la production de frigories. Le secteur résidentiel reste un bénéficiaire largement minoritaire (0,3 % au niveau national, contre presque 12 % pour l'industrie). Mais déjà des réflexions émergent.

« Contrairement aux réseaux de chaud, ceux de froid sont pour le moment cantonnés à des sites tertiaires denses. Pour autant, je pense que dans une réflexion prospective de plus long terme, on va être obligé de se poser la question de rafraîchir les logements, notamment les moins adaptés au climat de demain et dans lesquels on ne peut pas végétaliser. 80 % de la ville de 2050 est déjà là. Et si des bureaux se transforment en logements, et que ça coûte plus cher d'enlever la climatisation que de la laisser, autant les laisser connectés au réseau. »

Philippe Guelpa-Bonaro, vice-président de la métropole de Lyon (EELV), en charge de l'énergie

Pour Florent Sainte Fare Garnot, si « l'équation économique n'est pas la même" entre le tertiaire et le résidentiel, "dans les années à venir, on aimerait contribuer à un cycle de réhabilitation du parc résidentiel, lequel passera évidemment par la question énergétique, et pas seulement l'isolation. Est-ce que la densité est suffisante pour que le raccordement au réseau de chaud et de froid soit une solution ? Je n'ai pas encore la réponse, mais cela fait partie des questions urbaines de demain. »

Un triplement de la production d'ici à 2030

Si ce modèle reste pour l'instant en marge, car coûteux et dépendant des ressources en eau, avec 0,78 TWh de livraisons de froid en 2021 d'après le syndicat national du chauffage urbain, des objectifs sont inscrits dans le scénario de la stratégie nationale bas carbone du ministère de la Transition écologique. Aujourd'hui, les besoins de froid de confort sont estimés à environ 19 TWh. La feuille de route précise qu'il atteindrait 34 TWh en 2050. L'Etat a d'ailleurs inscrit dans sa dernière loi de programmation pluriannuelle de l'énergie l'objectif de tripler les capacités de ces réseaux de froid d'ici à 2030, là où la rénovation énergétique des bâtiments constitue un axe majeur de la transition écologique des années à venir.

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