Bureaux réhabilités, logements : la Part-Dieu tente de réussir sa mue au cœur de la crise immobilière

Le quartier d'affaires de la Part-Dieu, à Lyon, connaît depuis plusieurs années une mue sans précédent : transformation d'immeubles de bureaux, démolitions, refonte d'espaces publics. Les grands ensembles tertiaires du quartier, construits dans les années 1960 et 70, doivent désormais répondre aux objectifs du décret tertiaire (-40 % de consommation énergétique en 2030) et de rénovation énergétique. Mais la crise immobilière ralentit quelque peu les opérations, dans ce quartier d'habitude « moteur » de l'immobilier, qui représente 20 % du parc tertiaire de la Métropole.
Le quartier de la Part-Dieu, dans le 3e arrondissement de Lyon, voit ses espaces publics et tertiaires se transformer depuis 2014.
Le quartier de la Part-Dieu, dans le 3e arrondissement de Lyon, voit ses espaces publics et tertiaires se transformer depuis 2014. (Crédits : L. Danière)

Du résidentiel dans le quartier d'affaires de la Part-Dieu, à Lyon ? Si c'est déjà en partie le cas, le phénomène s'accélère. Depuis plusieurs années, la société publique locale Lyon Part-Dieu, qui articule les opérations public-privé du 2e centre d'affaires français, mène un vaste plan de régénération du bâti. Face au changement climatique, accentuant les îlots de chaleur dans ce quartier ultra-artificialisé, mais aussi dans une dynamique de mixité des activités, les grands ensembles de bureaux, construits dans les années 1960-70, sont pour certains démolis, mais surtout réhabilités. De nouveaux espaces de travail sont créés, mais aussi de nouveaux logements. Les élus écologistes promeuvent depuis le début de leur mandat un « rééquilibrage » entre tertiaire et résidentiel. La Part-Dieu compte en effet 2.500 établissements (institutions, entreprises) et près de 60.000 emplois.

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Ainsi, poussés par la réglementation autour de la rénovation énergétique, les projets immobiliers de réhabilitation, plus sobres en carbone, mais bien plus coûteux que la démolition-reconstruction, essaiment dans le 3e arrondissement. Déjà 125.000 m2 de surfaces ont été réhabilitées. De même, 120.000 autres m2 sont en cours de transformation jusqu'en 2026 et 300.000m2 sont qualifiées de « surfaces mutables », d'ici à 2029. Au total, l'objectif fixe une rénovation de près la moitié du parc de bureaux sur le périmètre de la concession d'aménagement d'ici à la fin de la décennie. Le décret tertiaire, imposant une réduction des consommations énergétiques de 40 % par rapport à 2010, oblige en effet les propriétaires. De même, le secteur doit réduire ses émissions de gaz à effet de serre d'au moins 53 % pour atteindre l'objectif de neutralité carbone en 2050.

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Qu'est-ce que le décret tertiaire ?

Le décret éco-énergie tertiaire (entré en vigueur en 2019), concerne tous les bâtiments de bureaux d'une surface supérieure ou égale à 1.000 m2. Il impose une réduction progressive de la consommation d'énergie dans les bâtiments de 40 % en 2030 par rapport à 2010, puis de 50 % en 2040 et de 60 % en 2050.

En 2022, une modification du décret spécifie que le raccordement à un réseau de chaleur - il existe un réseau collectif de chaud et de froid urbain à La Part-Dieu - représente jusqu'à 23% de réduction de consommations d'énergie, en fonction du mode de chauffage initial.

Pour rappel, le secteur du bâtiment représente 43 % des consommations énergétiques annuelles françaises et génère 23 % des émissions de gaz à effet de serre.

En parallèle, tous les projets de nouvelles tours de bureaux ont été abandonnés. La dernière en date, la To-Lyon, qui sera officiellement inaugurée en 2024, serait bien la dernière empreinte de l'extension de La Part-Dieu, pensée comme une « skyline à la lyonnaise » par la précédente majorité menée par Gérard Collomb.

« La méthode Part-Dieu »

Pour mener à bien ce vaste projet, la Société Publique Locale (SPL) Lyon Part-Dieu se veut médiatrice. Comment convaincre les investisseurs ? Comment faire venir de nouveaux promoteurs, au cœur d'une crise immobilière ? « Nous avons changé de paradigme », dépeint Florent Sainte-Fare-Garnot, directeur-général, à propos de la transition énergétique et du contexte inflationniste. Mais le coordinateur décrit des outils qui ont largement fait leurs preuves. Déjà une quarantaine d'acteurs économiques ont été rencontrés, pour les trente bâtiments concernés par le décret tertiaire.

« Historiquement, nous sommes les héritiers de « la méthode Part-Dieu », sans foncier, mais avec une grande confiance réciproque. Et c'est un anti-modèle : nous disons non pas que la réglementation est l'obligation, mais plutôt qu'elle est une opportunité de faire de l'urbanisme. C'est une aventure écologique, économique, architecturale et urbanistique »

La Part-Dieu

L'Opération Audessa-Vertuo, qui réhabilite l'ancien siège de Réseau de transport d'électricité (RTE), rue des Cuirassiers, en est l'un des exemples. Cette opération des co-promoteurs Icade Promotion et de Sogeprom vise à transformer les 17.500 m2 de l'ancien site en nouveaux bureaux, en commerces et en 38 logements, dont une quinzaine (40%) en part de locatif social et intermédiaire. La partie tertiaire (« Audessa ») serait la première livrée, en 2025, au profit d'une opération « 50 % moins émettrice en CO2 », soutiennent les promoteurs : « Nos trois piliers, au cœur de Lyon, sont la mixité de fonctions, la construction et l'usage bas carbone, et la renaturation », synthétise Emmanuel Desmaizières, directeur général d'Icade Promotion, pour qui le projet « a réussi à trouver un équilibre par sa qualité RSE ».

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Sur le plan économique, la rénovation se révèle tout de même « risquée », remarque Béatrice Lièvre-Théry, directrice générale de Sogeprom (Société générale). Des surprises peuvent apparaître derrière les murs. Et bien souvent, comme ici, des travaux de désamiantage sont à réaliser. Pour autant, l'équation semble avoir été la bonne dans ce projet, car réalisée bien en amont de la crise de l'immobilier actuelle. La partie tertiaire a en effet été vendue en décembre 2022 à l'investisseur allemand Union Investment, qui s'implante pour la première fois à Lyon. Les espaces seront proposés à la location.

« Entre le moment où le foncier a été acheté, et celui où nous avons vendu l'opération à Union Investment, les taux d'intérêt avaient évolué dans le bon sens, ajoute Béatrice Lièvre-Théry. Nous avions intégré en amont un certain nombre d'éléments de programme, dans l'hypothèse de départ. Mais si nous devions sortir cette opération aujourd'hui, avec l'augmentation très forte des taux d'intérêt, ce serait beaucoup plus compliqué. Je ne suis pas sûre que nous y serions arrivés, telle qu'elle est aujourd'hui ».

Hausse des taux d'intérêt :  « un obstacle de rythme, pas d'orientation »

La Part-Dieu

C'est que l'équation ne peut être réussie qu'en s'appuyant sur des filières solides qui, si elles sont soutenues, ont en ce moment du mal à sortir la tête de l'eau. Les opérations immobilières pâtissent bien sûr de la hausse des taux d'intérêt. Les volumes d'investissement seraient cette année « de la moitié de la moyenne décennale », remarque la directrice générale de Sogeprom. Mais Lyon reste une ville « stable et dynamique », exposait en juillet dernier Benoît de Fougeroux, directeur régional BNP Paribas Real Estate Transaction.

Au premier trimestre 2023, Lyon se plaçait en troisième position sur le marché de l'immobilier tertiaire en France avec 44.000  placés, juste derrière Toulouse (45.000 m² placés) et Lille (53.000 m² placés). En matière d'investissements, la capitale des Gaules arrivait également en tête avec 193 millions d'euros investis dans les bureaux, devant Toulouse (103 millions d'euros) et Nantes (64 millions d'euros). Et le quartier de La Part-Dieu prend toujours une bonne part. « Nous avons besoin de cette densité pour trouver un équilibre global », remarque ainsi Emmanuel Desmaizières, dont l'entreprise investit dans une vingtaine d'opérations de logements à Lyon, parmi lesquelles la réhabilitation de l'ancienne tour de Framatome, près des Halles Paul-Bocuse.

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« Ce contexte s'invite comme un obstacle de rythme, mais pas d'orientation, ajoute Florent Saint-Fare-Garnot. C'est déjà parti très fort avec 75.000 m2 sur les 300.000m2 déjà en étude. Il y a beaucoup de puissance dans le moteur immobilier. Sans doute allons-nous connaître un ralentissement. Mais la matrice de demain, c'est bien la rénovation. Opérations qui bénéficient d'un portage politique fort. Et sans doute que les loyers sont suffisamment élevés pour que les opérations soient crédibles. La Part-Dieu est un lieu extraordinaire en ce sens »

Il faut aussi conjuguer avec la transformation socio-économique du tertiaire, dont le télétravail. « Dans l'immobilier tertiaire, le bureau a été très pénalisé, mais moins dans des endroits comme la Part-Dieu où la centralité continue à attirer les actifs. Les besoins sont là, notamment en bureaux revus à l'aune de tout ce qu'on propose dans ce programme », ajoute Béatrice Lièvre-Théry. La part de bureaux vacants est en effet de 4,5 %. De même, la Part-Dieu absorbait encore 30 % du marché lyonnais en surfaces en 2022 (65.500 m² commercialisés, représentant 500 millions d'euros d'investissements), devant les quartiers de Gerland (7e et 8e arrondissement) et de Vaise (9e arrondissement).

Après la régénération tertiaire, celle du résidentiel ?

Alors que la régénération des bureaux de La Part-Dieu est en plein effervescence, la SPL travaille déjà à celle du parc résidentiel, qui pourrait se matérialiser à partir de la fin de la décennie. Les grands ensembles des années 1960 et 1970 pourraient ainsi être les prochains sur la liste des rénovations. « Nous réfléchissons à une étude comparable concernant le résidentiel, explique en effet Florent-Sainte-Fare-Garnot. Il s'agirait d'une deuxième régénération. Il y a beaucoup à faire, et ce serait encore plus technique, avec plus d'ingénierie et d'engagement, car on entrerait dans le champ résidentiel, des copropriétés ».

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