Vacances de février : les aménageurs de la montagne redoutent la double peine

FOCUS. Alors que le top départ des vacances de février devait avoir lieu cette semaine, la fermeture des remontées mécaniques pèse toujours très fortement sur les réservations. Mais cette décision ne plonge pas seulement les stations de sports d’hiver et ses hébergeurs dans la tourmente. En amont, c’est tout le tissu des TPE et PME du secteur de l’aménagement de la montagne qui en subit les répercussions, et qui s’inquiète que les investissements ne soient plongés dans l’abîme durant les deux années à venir.
Nous sommes fortement dépendants du marché français, souligne Patrick Grand'Eury, le président du Cluster Montagne, qui regroupe une grande partie des fournisseurs de stations de sports d'hiver, dont 75% sont des TPE.
"Nous sommes fortement dépendants du marché français", souligne Patrick Grand'Eury, le président du Cluster Montagne, qui regroupe une grande partie des fournisseurs de stations de sports d'hiver, dont 75% sont des TPE. (Crédits : Adbar ((CC BY-SA 3.0))

A l'heure où les stations auraient dû accueillir leur flot de touristes étrangers pour les vacances de février, les stations auralpines sont désespérément vides, ou presque.

Selon l'Observatoire de L'Agence Savoie Mont Blanc, les perspectives de cette période, qui demeure actuellement le second pilier de la saison d'hiver après les fêtes de Noël, ne sont guère réjouissantes. À 48 heures du début des vacances scolaires d'hiver, les prévisions de fréquentation établies tablaient sur un taux d'occupation moyen des hébergements marchands de 37 % sur les quatre semaines du mois de février (contre 81% en moyenne habituellement) sur les 112 stations de Savoie et Haute-Savoie.

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Et le plan gouvernemental de quatre milliards d'euros, consacré aux stations de sports d'hiver fermées et à leurs acteurs, ne rassure pas encore la filière de l'aménagement de la montagne. Ces 450 entreprises - pour 5.500 emplois - fournissent les stations et les exploitants de domaines skiables en enneigeurs, en remontées mécaniques et autres matériels et services, pour un chiffre d'affaires supérieur à un milliard d'euros annuellement.

Cet hiver, les skieurs regardent du côté des massifs voisins, là où les remontées mécaniques sont restées ouvertes. En effet, comme le rappelle le consultant suisse spécialise Laurent Vanat, qui édite chaque année un rapport international sur le tourisme de neige et de montagne, seuls trois pays sur le continent ont fait le choix de fermer leur remontée mécaniques : il s'agit de la France, bien entendu, mais aussi de l'Allemagne et de l'Italie.

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"Partout ailleurs, on constate des ouvertures avec certains aménagements. Comme en Autriche, où les hôtels qui sont fermés modifient le comportement des skieurs, qui ont tendance à moins se déplacer vers les grandes stations habituellement très fréquentées mais éloignées des villes. En Suisse, ce sont restaurants ont refermé leurs portes", cite-il en exemple.

Et comme les skieurs, les entreprises de la filière de l'aménagement de la montagne ne peuvent que se concentrer sur les marchés étrangers.

Survivre avec l'export

C'est le cas de WeSnow, une PME de dix personnes basée à Challes-les-Eaux (Savoie), qui vient de livrer des enneigeurs aux stations de Super Besse et de Super Lioran, dans le massif central. Mais ses activités commerciales françaises se sont estompées au fur et à mesure du prolongement de la fermeture des remontées mécaniques, en raison des mesures sanitaires prises par le gouvernement.

L'entreprise devait présenter ses enneigeurs innovants, capables de récupérer l'énergie utilisée pour produire de la neige de culture par température positive, et de réutiliser cette énergie pour chauffer des locaux en station. Grâce à cette innovation, l'entreprise commence à se faire une place au milieu d'un marché dominé par les géants de l'enneigement artificiel.

« Nous avons été fauchés par la fermeture des remontées mécaniques, explique Bertrand Lambla, le président de WeSnow. On ne peut pas montrer aux clients comment ça fonctionne. Et on se demande dans quel état on va retrouver les stations de basse et moyenne altitude. Je crains qu'elles soient plongées dans une grande détresse. »

WeSnow avait des prévisions de commandes pour d'autres enneigeurs. Mais « il est probable que le marché chute », pointe M.Lambla.

Les activités événementielles, historiquement à l'origine de l'entreprise, sont quant à elles à l'arrêt depuis un an. Il ne reste pour la PME, que ses projets de développement en Chine et en Arabie Saoudite, où elle développe des concepts de pistes de ski en intérieur. « Heureusement que nous avons ces contrats », souffle Bertrand Lambla, tout en précisant que ce type de projets demeure exceptionnel.

Dépendance envers le marché national

Mais cette réalité est à relativiser à l'échelle de la filière de l'aménagement de la montagne. « Nous sommes fortement dépendants du marché français », souligne Patrick Grand'Eury, le président du Cluster Montagne, qui regroupe une grande partie des fournisseurs de stations de sports d'hiver, dont 75% sont des TPE.

« Nous comprenons la situation sanitaire » précise Patrick Grand'Eury, qui souhaite cependant que la particularité du cycle commercial de la filière soit pris en compte par le gouvernement.

Car les stations passent habituellement commande de leurs investissements au printemps.

Le premier confinement a non seulement signé la fin de la saison 2019-2020 de façon prématurée en mars 2020, mais tous les grands salons ont alors été annulés. « Il y a eu un gros coup de frein sur les investissements », observe Patrick Grand'Eury, sans pouvoir en chiffrer les impacts à ce stade.

Deux années blanches?

Le confinement de mars 2020 a fait perdre 35% du chiffre d'affaires de la filière de l'aménagement de la montagne. Pour les entreprises de services, la chute a pu atteindre 80%.

La fermeture des remontées mécaniques cet hiver fait exploser les pertes de chiffres d'affaires.

« Nos entreprises ne sont même pas sûres d'avoir des commandes au printemps 2021 si les stations ne rouvrent pas, martèle Patrick Grand'Eury. Cela signifie que les prochaines commandes se feraient au printemps 2022. Comment fait-on vivre une entreprise pendant deux ans sans commande ? »

Un risque vital pèse sur la filière. « On risque de perdre des entreprises qui emploient des milliers de salariés et qui font vivre autant de familles », lâche le président du Cluster Montagne.

Les stations investiront-elles?

La décision de fermer les remontées mécaniques demeure contestée.

« Le gouvernement aurait dû être à l'écoute du terrain, regrette Patrick Grand'Eury. Les professionnels de la montagne avaient préparé un dossier avec de nombreuses garanties sanitaires. Mais l'après-ski a fait peur. »

Le président du Cluster Montagne aimerait être « très optimiste à moyen terme ». Des tendances de fond vont s'accélérer, ouvrant de nouvelles opportunités aux entreprises, dit-il, citant l'exemple de la forte attractivité de la montagne l'été dernier. Encore faudra-t-il que les entreprises survivent à la crise actuelle pour pouvoir rebondir demain.

Le plan gouvernemental de quatre milliards d'euros dédié aux stations et aux acteurs des stations ruissellera-t-il vers la filière de l'aménagement de la montagne ?

« Le monde de la montagne a été entendu », relève Patrick Grand'Eury. Une bonne partie des entreprises de l'aménagement de la montagne sont désormais acceptées sur la liste S1 bis, qui permet d'optimiser la couverture du chômage partiel en cas de perte de plus de la moitié du chiffre d'affaires, précise-t-il.

Mais la satisfaction n'est pas totale. « Nous ne disposons d'aucune garantie que ces aides seront versées jusqu'à l'automne 2022 », dit-il.

Et la couverture des charges fixes, réclamée par le Cluster Montagne, se limite à 20% quand le chiffre d'affaires a chuté de 70%. « Mais dans l'industrie, quand on a perdu 70% de son chiffre d'affaires, on est mort », souligne Patrick Grand'Eury.

Ce qui sera décisif pour la filière, ce sera la capacité d'investissement des stations de sports d'hiver.

« En cascade, les stations doivent investir auprès de leurs fournisseurs habituels, préconise Patrick Grand'Eury. Nous sommes dans une situation d'urgence. »

Mais quels seront les investissements des stations et des exploitants de domaines skiables, alors que les aides publiques visent avant tout à les garder à flot ?

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