STMicroelectronics : à Crolles, l’acceptation sociale de la « mégafab » au cœur d’une concertation publique

ENJEUX. Le bouclage en grande pompe des 7,5 milliards d'euros d'investissements (dont 2,9 milliards d'aides de l'Etat) nécessaires à la mégafab de STMicroelectronics associé à GlobalFoundaries, n'était qu'une première étape. Car après avoir mené une première phase d'enquête publique en août 2023, la Commission nationale du débat public (CNDP) a estimé que le processus se devait de mener une véritable concertation avec les citoyens, dans le cadre de son autorisation environnementale. Celle-ci vient de débuter le 22 mars, dans un climat tendu avec les associations citoyennes et environnementales. Explications.
Après la tenue d'une première enquête publique, l'autorisation environnementale demandée pour le projet de la mégafab de STMicroelectronics a conduit la CNDP à demander la mise en place d'une concertation publique, qui vient de démarrer le 22 mars dernier dans un climat tendu avec les associations de riverains.
Après la tenue d'une première enquête publique, l'autorisation environnementale demandée pour le projet de la mégafab de STMicroelectronics a conduit la CNDP à demander la mise en place d'une concertation publique, qui vient de démarrer le 22 mars dernier dans un climat tendu avec les associations de riverains. (Crédits : DR)

(Publié le 05/04/2024 à 11:30, actualisé à 13:30)

Réunions publiques, webconférences, rencontres de proximité... Du 22 mars au 19 avril prochain, la vallée du Grésivaudan (Isère) va pouvoir se renseigner et exprimer son avis sur le projet d'extension du site de Crolles de STMicroelectronics, le fabricant franco-italien de composants électroniques.

Ce projet de « mégafab » coporté par STMicroelectronics et son partenaire américain GlobalFoundries, avait été officiellement annoncé lors d'un déplacement du président Emmanuel Macron en juillet 2022.

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Avec à la clé, la promesse d'un investissement XXL de 7,5 milliards d'euros et la création d'un millier d'emplois  directs (et 3.000 emplois indirects) pour venir alimenter cette nouvelle unité de production de semiconducteurs sur plaquettes, qui vient encore élargir l'emprise du site actuel, estimé à une quarantaine d'hectares. Le tout déployé avec un soutien de l'Etat à hauteur de 2,9 milliards d'euros, dans le cadre du volet semi-conducteurs du plan France 2030, et dans celui du « Chips Act », le programme de l'Union européenne destiné à renforcer la place de cette dernière sur le marché.

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Mais ce dossier, annoncé sur les chapeaux de roue il y a deux ans dans un contexte mondial de pénurie de semiconducteurs, rencontre désormais plusieurs obstacles sur sa route, alors même que les premiers bâtiments sont déjà sortis de terre. Après le dépôt d'une demande d'autorisation environnementale, une enquête publique s'était tenue durant un mois et demi en août 2023, à la suite de laquelle la commission d'enquête avait en premier lieu rendu un avis favorable.

Pourtant, la CNDP a à son tour estimé fin 2023 qu'il manquait un débat avec les citoyens« La procédure de demande environnementale suit son cours avec l'administration », précise STMicroelectronics, qui réfute toute suspension à ce stade de l'autorisation demandée auprès de La Tribune. « Après avoir mené une première phase d'enquête publique, la Commission nationale du débat public (CNDP) a recommandé que ST la saisisse pour la mise en place d'une participation préalable du public à travers une véritable concertation avec les citoyens. ST a donc saisi la CNDP ».

« L'idée est d'expliquer le projet et les enjeux pour le territoire à toute la population, complète STMicroelectronics. Selon les modalités définies par la CNDP [Commission nationale du débat public, ndlr], des webconférences, des ateliers et des rencontres de proximité sont organisés pour que le public soit informé. En plus des réunions publiques, des présentations à des étudiants, à des collégiens, mais aussi à l'ensemble du personnel de ST France ont été planifiées. A chaque fois, les trois garants de la CNDP sont présents, écoutent, recueillent les questions et les contributions ».

« La concertation est un peu biaisée »

« Sur le principe, une concertation, c'est toujours une bonne chose, et nous jouons le jeu, souligne Philippe Dubois, président de France Nature Environnement (FNE) 38, contacté par La Tribune. Le problème, c'est qu'en face, la concertation est un peu biaisée : ils ont déjà commencé les travaux ! Comme si la concertation n'était qu'une espèce de validation démocratique d'une décision déjà prise... »

L'association, qui avait déjà émis un avis dans le cadre de l'enquête publique, estime qu'il faut absolument que la qualité des rejets d'eau dans l'Isère ou dans l'air, soit la même que la qualité au moment du prélèvement. « On considère que la rivière est une valeur en soi. Au nom des générations futures, on ne peut pas la polluer comme ça. Elle doit être respectée et l'eau doit être rendue dans son aspect original », appuie Philippe Dubois.

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Outre la question de la ressource en eau - ST devrait utiliser 7 millions de mètres cubes d'eau par an après l'extension - et la question des pollutions de l'eau et de l'air, les associations s'inquiètent pour l'aménagement du territoire : logements, saturation des voies d'accès au site. « On espère que les garants joueront un rôle indépendant de l'Etat, de l'Europe et des lobbys industriels, pour sortir de cette concertation des avis neutres, indépendants et pertinents », résume Philippe Dubois.

Les associations dénoncent des manquements

D'autres associations, à l'image d'Actionnaires pour le climat, insistent sur ce qu'ils considèrent comme des « manquements » dans la procédure.

« Le projet doit être irréprochable, car il bénéficie de près de trois milliards d'aides publiques ! Nous avons été très clairs lors d'un entretien préalable avec les trois garants sur les modalités requises sur les éléments indispensables pour qu'on ne soit pas dans de la com' RSE, mais dans un véritable exercice de transparence », appuie Pierre Janot, président d'Actionnaires pour le climat et conseiller régional écologiste, contacté par La Tribune.

L'association a écrit au président de la CNDP, mercredi 3 avril, réclamant « la communication [de] documents et une prorogation des délais de la concertation préalable, sans laquelle la transparence des débats ne pourra pas s'opérer ». Parmi les documents attendus : le contrat entre l'Etat et STMicroelectronics, le plan de sobriété hydrique, le plan de prévention des risques industriels (le site est classé Seveso), ainsi qu'une étude d'impact complète.

« Nous avons déjà obtenu un avis favorable de la CADA, la commission d'accès aux documents administratifs, sous réserve de cacher les passages sur les secrets industriels. », précise Pierre Janot. L'association, qui fait de l'entrisme institutionnel, pour tester les institutions censées assurer le processus démocratique, entend interroger la CNDP sur son rôle.

Les agriculteurs inquiets pour le bassin du Grésivaudan

Du côté des agriculteurs, la Confédération Paysanne s'est également déjà prononcée contre le projet d'extension de STMicroelectronics, en s'appuyant à la fois sur la consommation d'eau envisagée, ainsi que la pression foncière qui continue de s'exercer par les industries :

« Ce nouveau projet, qui s'ajoute à celui porté par l'industrie voisine de Soitec, consomme des terres agricoles qui sont réputées pour être l'une des terres les plus fertiles de France, alors que nous subissons déjà une pression foncière plus forte que celle d'autres bassins », affirme Léa Perrotin, membre de la Confédération Paysanne.

La consommation d'eau inquiète particulièrement les agriculteurs, qui ont subi de fortes restrictions de consommation d'eau à l'été 2022, date d'annonce du projet de STMicroelectronics : « Pour l'instant, ST consomme 20.000 m3 d'eau par jour et viendrait également piocher 14.000 m3 supplémentaires dans la nappe phréatique du Grésivaudan. Or, nous nous situons sur un territoire où l'un des enjeux est déjà de préserver les ressources pour permettre le maintien d'une agriculture rurale », ajoute-t-elle.

Des chiffres réfutés par l'industriel, qui rappelle que sa consommation d'eau quotidienne s'élevait à « 12.000 m³ par jour en 2022, selon les données certifiées publiées dans notre déclaration environnementale », alors que « les projections sont de 19.000 m³ d'eau (potable ou industrielle) par jour à l'horizon 2030 ». Et rappelle quant à lui qu'il vise « un doublement des volumes d'eau recyclée pour les porter à 6 millions de m3 par an à terme, tout en limitant les besoins en eau potable, pour les fixer de 4,5 millions de m3 en 2022 à un maximum de 7 millions de m3 par an. » Ceci, en s'appuyant notamment sur la mise en place d'une ligne pilote de recyclage, en cours de qualification, « qui permet de recycler une partie de l'eau usée (...) pour la réutiliser dans le circuit de production sous forme d'eau ultrapure. »

Pour les agriculteurs du bassin, un autre enjeu demeure cependant : « Nous savons que d'autres communautés de communes comme le Pays Voironnais subissent déjà des manques d'eau, et auraient besoin de se raccorder potentiellement au réseau grenoblois qui provient de la nappe de la Romanche. Or, les ressources ne sont pas illimitées », ajoute Léa Perrotin.

Par ailleurs, le groupe franco-italien avait précédemment communiqué dans ce dossier ses propres prévisions, évoquant un besoin de prélèvement de 33.600 m3 par jour d'ici 2035. De quoi représenter « une augmentation d'environ 190 % par rapport à la consommation de 2021 », relevait alors la Mission régionale d'autorité environnementale dans un avis rendu en février dernier et rapporté par nos confrères du Monde.

Vers une nouvelle enquête publique après la concertation ?

Plus radicaux, les militants du collectif STopMicro, qui dénoncent eux-aussi le fait de ne pas pouvoir accéder à de nombreux documents essentiels, refusent de participer à la concertation, considérant qu'il s'agit d'un « processus qui relève d'un spectacle de légitimation de décisions », qui serait « entaché de nombreuses irrégularités ». En conséquence, STopMicro appelle les garants de la CNDP à « [se] démettre de [leur] mission ». « La consultation aurait dû avoir lieu en amont, avant l'enquête publique », affirme Robin, membre du collectif.

Plusieurs associations estiment d'ailleurs qu'une nouvelle enquête publique devrait avoir lieu après la concertation, à l'image de la Confédération Paysanne : « Tout le processus a été fait à l'envers :  l'industriel a d'abord lancé la construction de son extension, puis l'enquête publique qui devait déterminer justement s'il pouvait construire », dénonce Léa Perrotin.

L'objectif affiché par ST Microelectronics dans son dossier de présentation reste pourtant de mettre les nouveaux bâtiments en exploitation dès le « deuxième semestre 2024 », sous réserve d'avoir obtenu les autorisations nécessaires. Contactée, la CNDP n'avait pas répondu, au moment de boucler ces lignes, à nos demandes concernant le processus en cours.

Le spectre d'un désengagement de GlobalFoundaries

Autre facteur qui pourrait venir téléscoper ce dossier : selon des informations de L'Usine Nouvelle, le partenaire de STMicroelectronics sur ce dossier, GlobalFoundries, ne participerait pour l'instant pas à la construction ni à l'équipement en salles blanches de la nouvelle « mégafab » promise, et n'aurait pas envoyé « les dizaines de salariés » également prévus sur le site.

Tandis que de son côté, STMicroelectronics indiquait que « le projet se poursuit », GlobalFoundries affirme adapter « le rythme d'expansion des conditions du marché ».

Ces questionnements interviennent alors que le mois dernier, le ministère américain du Commerce a annoncé une enveloppe d'aides de 1,5 milliards de dollars pour accompagner l'expansion des installations de GlobalFoundries à New York, dans le cadre de la loi américaine Chips and Science Act. Une somme qui s'ajoute aux 620 millions, déjà promis, par le plan Gren Chips de l'État de New York, et qui devrait ainsi permettre de créer plus de 1.500 emplois dans le secteur manufacturier et près 9.000 emplois dans le secteur de la construction pour faire sortir de terre ces projets.

En réponse à ces annonces, le fondeur américain prévoit également d'investir au total plus de 12 milliards de dollars sur les dix prochaines années à destination de ses deux sites américains, en s'appuyant sur des partenariats public-privé et le soutien gouvernemental. De là à y voir un recentrage en marche de ses projets vers le continent américain ?

En attendant, les opposants du projet de l'extension du site STMicroelectronics à Crolles poursuivent leur mobilisation, qui devrait monter d'un cran ce week-end avec l'organisation de trois journées de conférences, débats et manifestations à Grenoble et à Crolles. Avec un événement demandant « De l'eau, pas de puces », ils comptent se positionner « contre l'accaparement des ressources par les industries du numérique et la vie connectée ».

Un projet « stratégique » pour le Chips Act européen

Le ministre de l'économie Bruno Le Maire l'avait lui-même rappelé, en juin 2023, lors de la révision de son enveloppe à la hausse : il s'agit du « plus grand investissement industriel des dernières décennies, hors nucléaire ». Pour rappel, STMicroelectronics avait choisi d'installer son projet d'extension de ses capacités de production sur l'un des sites « les plus avancés du groupe », comme le rappelle lui-même l'industriel.

Basé à Crolles (Isère), en périphérie du bassin grenoblois, ce projet de mégafab, développé conjointement avec le fondeur américain GlobalFoundries, porte sur la création d'une nouvelle unité de production de plaquettes 300 mm de diamètre, basées en particulier sur le FD-SOI, « une technologie née en Isère et qui vise à optimiser la puissance de calcul et à offrir une très faible consommation d'énergie ». Elle s'inscrit dans le cadre du programme Chips Act de l'Union européenne, visant à ce que l'UE atteigne 20 % du marché mondial des semi-conducteurs d'ici à 2030.

Avec, en bout de ligne, des applications attendues dans les domaines de l'automatisation et la sécurité des véhicules, l'intelligence artificielle embarquée, ainsi que les circuits spécialisés pour les systèmes de communication sans fil.

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Commentaires 7
à écrit le 06/04/2024 à 12:46
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Est-ce que le projet est viable si GlobalFoundries se désengage comme il semble probable selon l'Usine Nouvelle? On a l'impression que le Chips Act européen est mal parti et que les seuls gros investissements se feront en Saxe... et qu'on attend que...

à écrit le 06/04/2024 à 6:33
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vue l'état d'esprit du maire et de ses collaborateurs de ce pays .... il vaut mieux créer une administration supplémentaire ....on a tellement d'intellectuels et de copains à placer ....

à écrit le 05/04/2024 à 17:23
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So many réunions publiques, webconférences! Other countries ( especially those neighbouring) would build such profitable megafab quickly in order to ensure new jobs and new contracts for local companies. But not in case of France. Some people want t...

à écrit le 05/04/2024 à 16:18
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C'est ridicule d'investir autant dans une région qui souffre d'un manque d'eau, et d'une élévation de la température. Sans parler des risques sismiques. Une usine de microelectronique à cet endroit aura des besoins de climatisation colossaux, d'une i...

le 05/04/2024 à 16:42
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Au cœur des Alpes, l'eau de qualité abonde, même au cœur de l'été. Il y fait frais toute l'année, sauf peut être en juillet août. Le risque parasismique est faible, et est maîtrisé. Pendant ce temps les ricains construisent des fabs en arizona... et ...

le 05/04/2024 à 17:50
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Les risque sismiques ne posent aucun problèmes au secteurs électroniques taiwanais, japonais, singapouriens, etc. De plus, l'industrie grenobloise spécialisée est déjà engagé dans le recyclage de matières servant la production électronique. Et nos p...

à écrit le 05/04/2024 à 12:10
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C"est ça ou une centrale nucléaire. 😃

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