Semi-conducteurs : l’envolée se poursuit pour STMicroelectronics et Soitec, avant un ralentissement du marché en 2023 ?

Hasard de calendrier, les deux majors des semi-conducteurs installés en Isère, STMicroelectronics et Soitec, ont dévoilé tous deux jeudi dernier leurs résultats trimestriels. Et s'ils sont à nouveau en croissance d'une trentaine de pourcents par rapport à l'an dernier, les deux sociétés demeurent vigilantes face à un contexte mondial annoncé en retrait d'ici fin 2022 - début 2023, notamment en raison de la chute du marché des smartphones et des ordinateurs portables.
Le contexte actuel n'est pas un facteur de risque, car les nouvelles unités de production annoncées en Isère ne rentreront en service qu'en 2024-2025, à un moment où l'inflation sera derrière nous.
"Le contexte actuel n'est pas un facteur de risque, car les nouvelles unités de production annoncées en Isère ne rentreront en service qu'en 2024-2025, à un moment où l'inflation sera derrière nous". (Crédits : DR/ CEA/ C. Morel)

+39% pour le fabricant de substrats semiconducteurs Soitec avec 268 millions d'euros de chiffre d'affaires engrangés ce trimestre, tandis que son voisin STMicroelectronics réalise + 35,2 % (à 4,32 milliards de dollars)...

Le climat 2022 semble toujours au fixe pour les acteurs locaux de la microélectronique, qui demeurent tirés par la demande mondiale, malgré un environnement économique désormais caractérisé par un resserrement du marché des smartphones et plus largement, de l'électronique grand public.

Car après une phase d'euphorie en matière de consommation de biens électroniques, alimentée par la période Covid et ses confinements, la fin de l'année 2022 est maintenant placée sous le signe de facteurs moins propices, avec une inflation galopante, la hausse des prix de l'énergie et des taux d'intérêts qui engagent désormais plutôt les consommateurs à réduire leurs dépenses.

Un contexte cependant encore loin de marquer les résultats du leader mondial des plaquettes de silicium sur isolant Soitec, qui enregistre au contraire en ce 3e trimestre (qui représente en réalité le second trimestre de son exercice décalé) un niveau de ventes grimpant encore de +39% par rapport à la même période l'an dernier :

"La forte croissance réalisée au deuxième trimestre reflète le dynamisme de chacun de nos trois marchés et une bonne performance industrielle. La croissance de notre activité communications mobiles reste portée par les applications de radiofréquence qui bénéficient du déploiement croissant de la 5G", relevait son nouveau directeur général Pierre Barnabé, à l'occasion de ce qui représentait aussi sa première présentation trimestrielle face aux investisseurs, depuis son entrée en fonctions cet été et la passation de pouvoirs avec Paul Boudre.

"Nous avons anticipé la baisse des ventes de smartphones"

Et d'ajouter que pour le second trimestre consécutif, Soitec a enregistré "une forte augmentation de ses ventes de substrats FD-SOI dans chacun de ses trois marchés finaux, ce qui confirme la dynamique d'adoption soutenue de cette technologie".

Tout cela, malgré un contexte mondial plus fragile que rencontré jusqu'ici, puisque le marché mondial des smartphones, qui représente encore 70% du marché de l'isérois, entre dans une phase de rétractation avec une chute annoncée d'environ -8% en 2022, selon les analyses du cabinet Strategy Analytics. 

"Nous avons anticipé la baisse des ventes de smartphones sur les prochains trimestres", a cependant répondu Pierre Barnabé face aux investisseurs, qui affiche même sa confiance à délivrer son plan de croissance "comme prévu" sur l'exercice fiscal 2022-2023, grâce à une "visibilité sur les prochaines ventes de smartphones 5G", mais aussi des composants destinés aux véhicules électriques.

Car on se souvient que depuis plusieurs mois, l'ETI iséroise a multiplié les investissements et la structuration interne autour de ses nouvelles activités sur un segment jugé d'avenir : le carbure de silicium, qui sera justement chargé d'alimenter ses nouveaux marchés liés à la 5G et à l'automobile afin d'en faire de nouveaux relais de croissance.

Une prévision renforcée à 16,1 milliards de dollars pour ST

Côté STMicroelectronics, autre leader mondial sur la fabrication de puces basé à quelques kilomètres de là et qui annonce la création d'une nouvelle unité de fabrication conjointe avec Global Foundaries dès la fin 2023, tous les indicateurs sont pour l'heure au vert : le chiffre d'affaires a lui aussi augmenté de +35,2 %, associé à une marge brute de 47,6 %, une marge d'exploitation de 29,4 % et un résultat net de 1,10 milliard de dollars (soit une hausse de près de 131,8% au troisième trimestre).

Des résultats qui ont même dépassé les attentes du fabricant franco-italien sur ce troisième trimestre, puisque la demande a été nourrie par l'ensemble de ses gammes de produits : puces destinées au marché automobile, produits analogiques et capteurs MEMS, microcontrôleurs et circuits intégrés numériques...

Alors qu'en juillet dernier, STMicroelectronics avait affiché des objectifs annuels compris entre 15,9 milliards et 16,2 milliards de dollars (associés à une marge brute d'environ 47%) pour l'année 2022, sa direction en a profité pour confirmer, à ce stade, une prévision de chiffre d'affaires net portée à 16,1 milliards de dollars, ce qui représentera une croissance de 26,2% sur l'ensemble de l'année (avec une marge brute d'environ 47,3%).

Une bonne nouvelle pour le investisseurs, qui tranche cependant avec les récentes annonces amorcées par un autre concurrent de STMicroelectronics, l'américain Texas Instruments (TI), qui constatait quant à lui une faible demande sur le marché des ordinateurs personnels, associée désormais à un ralentissement de la demande du marché industriel, qui l'a contraint à revoir ses objectifs à la baisse.

Un contexte mondial en berne, mais...

Car après plusieurs mois d'euphorie alimentés par les conséquences de la crise sanitaire et la digitalisation des secteurs industriels, le contexte global du marché mondial des semi-conducteurs semble désormais s'orienter vers une période de ralentissement en raison de l'inflation.

Ainsi, selon les derniers chiffres livrés par l'association américaine de l'industrie des semi-conducteurs (SIA), les ventes mondiales de puces ont diminué de -2,3% en juillet dernier par rapport au mois de juin, atteignant un volume global de 49 milliards de dollars. Un chiffre qui représente toutefois encore une hausse de +7,3% par rapport à juillet 2021.

Même son de cloche chez le cabinet Gartner, qui note qu'en raison de la chute des ventes de PC et smartphones, le marché des semi-conducteurs devrait observer un premier ralentissement sur l'année 2022 (soit une croissance de 7,4% au lieu des 13,6% envisagés), avant de connaître même un recul de -2,5% en 2023. Et cela, en dépit de la croissance de la demande pour les marchés des datacenters et l'automobile, où la pénurie de composants n'est pas encore terminée.

La fin de l'euphorie certes, après plusieurs mois d'une croissance à la cadence soutenue, mais qui ne signerait pas pour autant la fin des bénéfices ni des débouchés pour les semi-conducteurs, estime Jean-Christophe Eloy, président directeur général du cabinet spécialisé dans la microélectronique, Yole Développement.

Car après les derniers mois où le marché aura connu "une croissance à la fois en nombre d'unités et en prix, puisque les prix ont bondi en moyenne de 20 à 30% en raison des pénuries et tensions en matière d'approvisionnements", l'heure est plutôt selon lui à un ralentissement du marché causé par l'inflation, plutôt qu'à une dégringolade des prix. En d'autres termes, les reins de l'industrie demeurent solides, et leur capacité à pouvoir continuer à proposer des prix élevés aussi, afin de contrer la hausse des prix de l'énergie, qui pénalise d'ailleurs surtout la production en Europe (représentant actuellement moins de 10% du secteur).

"D'autant plus que sommes toujours dans un contexte où la demande est plus forte que l'offre, puisque la pénurie des composants ne concerne plus 100% des produits, mais encore bien 70%", ajoute-t-il.

Pas d'impact sur les deux projets de créations d'usines

C'est pourquoi Jean-Christophe Eloy ne s'avoue pas inquiet pour les deux leaders isérois, qui viennent d'annoncer deux grands projets de créations d'usines, à Crolles pour l'unité conjointe de STMicroelectronics et Global Foundaries et à Bernin pour Soitec.

"Le contexte actuel n'est pas un facteur de risque, car ces nouvelles unités de production ne rentreront en service qu'en 2024-2025, à un moment où l'inflation sera derrière nous", estime l'analyste.

D'autant plus que si le marché des smartphones connaît actuellement un temps de pause, les nouvelles générations de téléphones compatibles avec la 5G pourraient à terme inciter au renouvellement du parc, "même si les utilisateurs changeront peut-être plutôt tous les trois ans plutôt que deux", en raison de l'inflation.

Autre relai de croissance pour l'industrie : la diversification, déjà amorcée par les deux géants des semi-conducteurs, vers de nouvelles générations de composants comme le carbure de silicium, devraient également leur permettre de gagner des parts sur de nouveaux marchés en développement, notamment dans l'électrification du secteur de l'automobile.

"On voit bien que Tesla a annoncé son meilleur trimestre de tous les temps depuis dix ans alors que STMicroelectronics est toujours son seul fournisseur pour la partie SiC, tandis que sa partie 3D sensing et imagerie reste orientée à la hausse dans les années à venir", confirme Jean-Christophe Eloy.

Selon lui, c'est donc surtout l'exercice 2023 qui devrait connaître une "croissance limitée", plutôt qu'une forme "récession" du secteur. "D'autant plus que l'inflation ne va pas durer des années non plus, on voit déjà que les banques centrales ont pris des mesures qui devraient produire des effets. On peut donc s'attendre à ce que quelques trimestres soient impactés, mais pas au delà". Avec des projections qui porteraient tout de même les revenus annuels générés par la filière des semi-conducteurs à 639,2 milliards de dollars pour l'année 2022, selon les projections du cabinet Gartner.

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