Consommation d'eau dans la microélectronique : Soitec industrialise le recyclage de l'eau pure

Dans le Grésivaudan (Isère), la société Soitec, qui fabrique des substrats pour le secteur de la microélectronique, met en œuvre depuis fin 2023 une nouvelle ligne de récupération des eaux pures utilisées en quantité dans son procédé de fabrication. Grâce à cette nouvelle architecture, dont le principal enjeu a été d'identifier en continu un certain nombre de molécules, ce spécialiste des semi-conducteurs entend augmenter de 19 à 35 % la part d'eau recyclée pour la fabrication de ses « wafers ». Au passage, Soitec tente de se positionner comme l'un des leaders en la matière dans son secteur.
Soitec consomme chaque année 1,2 million de mètres cubes d'eau pour la production des substrats dans ses quatre usines de Bernin (Isère).
Soitec consomme chaque année 1,2 million de mètres cubes d'eau pour la production des substrats dans ses quatre usines de Bernin (Isère). (Crédits : Soitec)

Prouesse d'innovation, ou défi avant tout industriel ? La nouvelle technologie mise en place par le fabricant de substrats pour la microélectronique, Soitec, afin de recycler l'eau pure utilisée dans ses process, intéressera en tout cas probablement ses voisins. Car cette nouvelle ligne de traitement de l'eau, la première en Europe dans le secteur de la microélectronique, permettra dès cette année à l'industriel de passer de 19 à 35 % d'eau recyclée sur le total des quantités utilisées, alors même que son activité est très gourmande en la matière, avec 1,2 million de m3 prélevés chaque année pour ses quatre usines situées à Bernin (Isère).

En effet, les plaques de silicium auxquelles se greffent les puces électroniques, fabriquées par le groupe isérois basé dans le Grésivaudan, consommaient en 2015 jusqu'à 2 litres d'eau par centimètre carré, indique Cyril Menon, directeur général adjoint en charge des opérations. « En 2023, nous sommes passés à 1 litre par cm2, et ambitionnons de franchir ce plancher en 2024, grâce à cette innovation ».

Lire aussi« Soitec poursuivra sa croissance, tout en réduisant sa consommation de ressources naturelles » (Cyril Menon, Directeur général adjoint en charge des opérations)

1 litre d'eau par centimètre carré

Déjà, entre 2020 et 2023, la société a réduit de 30% son utilisation de l'eau par unité produite, en actionnant plusieurs leviers : la sobriété et l'efficacité, en « 30 actions », mais aussi grâce cette nouvelle innovation, lancée fin 2023. L'entreprise se fixe désormais comme objectif, notamment grâce à elle, de réduire à nouveau ses prélèvements d'eau de 30% d'ici à 2030.

En effet, si une partie des eaux pures sont déjà recyclées, à hauteur de 19% (en petite partie dirigée vers des usages non industriels, la majorité vers le bassin de prélèvement initial), cette re-dilution était limitée. Toute la difficulté, lors de la conception de cette nouvelle ligne de traitement, était d'ajouter une sécurité face au risque de contamination chimique.

« La nouveauté, c'est la ségrégation des éléments chimiques, leur détection. Le principal sujet a été d'installer l'ensemble du monitoring et ces automatismes », ajoute Cyril Menon.

« L'enjeu était de bien ségréguer les éléments chimiques »

Développée en interne pendant deux ans, grâce notamment au renforcement de l'équipe d'ingénieurs dédiés à ce sujet, cette nouvelle ligne consiste avant tout en des tuyaux supplémentaires et des tests de qualité réalisés en temps réel. En effet, des sondes de conductivité, directement reliées aux bassins de collecte des eaux de process, viennent mesurer dans un premier temps la conductivité de ces eaux, qui ne doivent contenir que très peu d'ions, beaucoup moins que l'eau potable. En cas d'irrégularité des valeurs, les conduites se ferment et dirigent l'eau vers le centre de retraitement classique.

En revanche, si le test est réussi, l'eau se dirige alors vers une cuve, où trois autres paramètres sont évalués : la température, le PH et le Carbone organique total (TOC). Si eux aussi s'avèrent conformes, et que la dernière étape - le filtrage au charbon - est franchie, l'eau est alors redistribuée dans le circuit commun, pour être repurifiée et réutilisée dans le procédé industriel.

Soitec dévoile une nouvelle ligne de traitement de l'eau pure, pour passer de 19 à 35 % de recyclage en quelques mois.

Rien de très stupéfiant, donc, lors de la visite du site. Pourtant, l'évaluation de la prise de risque chimique, d'un point de vue industriel, a bien constitué le nœud de l'affaire afin de mettre en place ces nouvelles barrières. « C'est parce que nous avons déjà réussi à réutiliser toutes les eaux possibles sur le site que nous pouvons aujourd'hui prendre ce type de risque », soulève Cyril Menon.

Cette combinaison de mesures nouvelles et industrialisées permet désormais à Soitec de réutiliser une partie des eaux jusqu'alors rejetées en aval. D'où l'argument phare de l'entreprise, qui vient d'inaugurer, en septembre dernier, son quatrième site de production à Bernin : « produire plus, sans consommer plus d'eau », à raison de 1,2 million de m3 d'eau par an, prélevée aujourd'hui par Grenoble Alpes Métropole dans le champ captant de Vizille, à une dizaine de kilomètres.

Quant aux montants investis pour les 24 mois de R&D et la mise en place de la ligne, Soitec se montre discret : ils font partie de l'enveloppe de 30 millions d'euros consacrée à l'environnement, indique-t-elle dans son rapport financier.

La réutilisation des eaux usées traités comme piste de travail

Aujourd'hui, seuls les sites de Bernin 1 et 2 sont dotés de cette infrastructure, mais Soitec entend la déployer dès 2024 à Bernin 3 et Bernin 4, ainsi que sur son site de Singapour, qui utilise déjà 98 % d'eau usées retraitées pour nettoyer ses plaques de silicium.

A Bernin, cette question se pose d'ailleurs également. L'entreprise participe en ce sens aux réunions de « l'observatoire de l'eau », organisées depuis le printemps dernier par la communauté de communes du Grésivaudan, avec les services de l'Etat et d'autres collectivités territoriales. L'objectif : réfléchir à une application locale de la réutilisation des eaux usées, en l'occurrence traitées par Le Grésivaudan, qui a lancé en 2023 une étude sur la question du recyclage des eaux collectives.

Dans le Grésivaudan, la gronde monte sur les usages de l'eau

Et si l'eau du Grésivaudan venait elle aussi à manquer ? Près de Grenoble, l'arbitrage de ses usages constitue un enjeu de plus en plus sensible.

« Les deux industriels de la microélectronique (STMicroelectronics et Soitec) consomment chaque jour l'équivalent de la ville de Grenoble en eau, tous ses usages compris », pointe Anne-Sophie Olmos (EELV), vice-présidente de Grenoble Alpes Métropole, déléguée au cycle de l'eau.

La collectivité envoie « jusqu'à 29.000 m3 par jour » à son voisin, la communauté de communes du Grésivaudan, et « aux deux tiers vers la microélectronique », ajoute l'élue écologiste, qui se dit « attentive » à l'équilibre des consommations, qui ne doivent pas dépasser 50 % de la capacité de prélèvements du champ captant de la métropole .

STMicroelectronics mis en demeure

Parmi les principaux sites industriels alimentés par Grenoble, figure en premier lieu STMicroelectronics à Crolles (Isère), qui prévoit l'extension de son site afin de doubler sa production de substrats d'ici à 2028.

Il fait notamment l'objet de critiques et d'une opposition locale grandissante quant aux quantités d'eau consommées : l'usine a utilisé en moyenne 12.300 m3 d'eau potable par jour en 2022. Ses projections sont « de 19 000 m³ d'eau (potable et/ou industrielle) par jour à l'horizon 2027-2030 », indiquait la société en octobre dernier. Le 8 décembre, elle a été mise en demeure par plusieurs associations et collectifs de « respecter ses obligations environnementales ». Elle a trois mois pour apporter une réponse.

« Notre ambition de réduire l'utilisation d'eau potable en la substituant avec de l'eau « industrielle » (par exemple de l'eau réutilisée en sortie des stations d'épuration voisines), mais aussi en augmentant notre taux de recyclage, grâce à la réutilisation de nos eaux traitées, avec des infrastructures spécifiques installées dans notre nouvelle station de traitement des effluents liquides », ajoutait STMicroelectronics.

La société précise augmenter son taux de recyclage de l'eau, « avec un objectif de 49 % en 2023 (après 43 % en 2022) ». De plus, « l'ambition du site est de dépasser les 60% d'eau recyclée (avec la mise en place d'une unité de réutilisation de l'eau traitée) ce qui permettrait de limiter l'apport d'eau extérieure dans le process ».

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