RATP Dev, Keolis : comment les deux opérateurs vont se partager le gâteau des transports en commun à Lyon

On savait déjà depuis quelques semaines que le géant francilien RATP était pressenti comme finaliste pour gérer, aux côtés de l'opérateur historique Keolis, le marché des transports en commun lyonnais, et notamment le lot comprenant le métro. Ce jeudi, l'autorité organisatrice des transports en commun lyonnais, Sytral Mobilités, a procédé au vote des futurs délégataires pour la gestion et l'exploitation du réseau TCL, à partir du 1er janvier 2025. Avec comme prochaine étape, des enjeux de répartition des missions et des ressources humaines qui seront à venir pour organiser ce nouveau réseau.
(Crédits : DR Sytral Mobilités)

C'est un chantier titanesque qui attend désormais tant l'autorité organisatrice des transports en commun lyonnais, Sytral Mobilités, que les deux candidats jusqu'ici pressentis pour l'attribution des contrats qui scindent désormais en deux le marché des transports collectifs lyonnais.

Lire aussi Transports en commun : à Lyon, Keolis devrait partager une part du gâteau avec la RATP

Car depuis février 2022, le président EELV de l'autorité organisatrice des transports, Sytral Mobilités, Bruno Bernard avait annoncé son ambition de découper en deux lots (un mode lourd et un mode léger), et donc plusieurs délégataires, le réseau des Transports en commun lyonnais (TCL), qui enregistre 532.000 abonnés par mois sur un total de 1.400.000 habitants.

Lire aussi Et de deux... RATP Dev aussi finaliste pour le contrat des navettes fluviales lyonnaises

Pour rappel, le francilien RATP Dev qui s'aventure de plus en plus au-delà du périphérique parisien, avait créé la surprise en devenant finaliste, coup sur coup, du marché dédiée aux modes lourds (métro, tramway) des transports en commun lyonnais, mais également d'un autre lot, plus petit mais néanmoins emblématique, pour la gestion de la première navette fluviale lyonnaise.

Une nouvelle étape confirmée avec le vote

Réunis en conseil d'administration, les élus de Sytral Mobilités ont donc été invités à voter pour l'attribution de ce nouvel allotissement. L'occasion pour Bruno Bernard, de rappeler que le choix « d'étudier l'allotissement des transports en commun lyonnais faisait suite à un rapport de la chambre régionale des comptes, de 2019, qui demandait de le faire. » Après un an de travail, le conseil d'administration avait choisi de remettre sous contrôle public la relation usager et les parcs relais mais aussi de scinder la gestion des transports en commun lyonnais en deux lots avec un mode lourd et un mode léger.

Pour expliquer le choix final, le président de Sytral Mobilités a cité les sept objectifs majeurs qui ont guidé l'appel à projets et l'analyse des offres : le renforcement de la qualité de service, la garantie d'un service unifié aux voyageurs, l'optimisation de la performance, la préservation des compétences, le maintien de la capacité d'investissement...

Au final, les dossiers reçus -au nombre de deux pour le mode lourd (Keolis et RATP Dev) et de trois pour le mode léger (avec Transdev en sus)- ont fait l'objet de six mois de négociation. Qui se sont traduits par 145 réunions et ont permis à Sytral Mobilités d'obtenir « une meilleure qualité technique des offres, une optimisation du coût et une adéquation des offres avec ses besoins », s'est félicité Bruno Bernard.

Le choix s'est opéré sur quatre critères, préalablement décidés dans le dossier de consulation des entreprises (DCE) : la satisfaction des usagers, la qualité et la continuité du service (20%), la responsabilité sociale, la gestion durable du service et la sécurité (20%), la performance d'exploitation (15%) et sur le coût global pour Sytral Mobilités (45%).

« Ceux-ci ont permis de faire émerger deux opérateurs : Keolis pour le réseau de bus et trolleybus avec une offre à 1,616 milliard d'euros sur 6 ans (269 millions d'euros par an) et RATP Dev pour le mode lourd avec une délégation de 10 ans pour un montant de 2,025 milliards d'euros », a révélé Bruno Bernard.

Des coûts difficiles à comparer avec ceux du dernier contrat de délégation de service public, datant de 2016, en raison de l'important développement du réseau de transport et de l'intégration de la gestion du Rhône Express au contrat.

Le président de Sytral Mobilités a néanmoins affirmé que le coût global des allotissements correspond à 0,1% près aux estimations préalablement réalisées, soit moins de 5 millions d'euros. Et s'est même aventuré à avancer que cette mise en concurrence serait financièrement bénéfique. « Lors des renouvellements précédents, un saut des coûts d'environ 5% avait été constaté. On peut donc estimer qu'il y a probablement une économie annuelle de l'ordre de 25 à 30 millions d'euros pour le Sytral. »

La décision, pour les deux lots, a été votée à l'écrasante majorité avec trois élus n'ayant pas pris par au vote, une abstention et un vote contre sur un collège de 38 élus. Une décision qualifiée d'historique par certains élus, rappelant au passage la détention de cette gestion par Keolis depuis plus de 30 ans.

Quid de la répartition des moyens humains et matériels ?

Une fois l'étape du vote passée, reste cependant un enjeu de taille, qui suscitait déjà l'inquiétude des salariés de Keolis depuis plusieurs mois : à savoir, comment va se répartir concrètement la gestion quotidienne de ce réseau, et également les 4.600 salariés jusqu'ici attribués uniquement à Keolis ?

Pour rappel, craignant que l'allotissement des transports lyonnais n'aboutisse à « des logiques les plus libérales, au service des appétits financiers des multinationales du transports » ainsi qu'à « une détérioration de la qualité et la continuité du service public »près d'un tiers des salariés de Keolis avaient choisi de faire grève lors de l'annonce du président Bruno Bernard, début 2022.

De son côté, Bruno Bernard, défendait une toute autre logique : que l'opérateur actuel Keolis ne se retrouve plus en situation de « monopole privé » sur ce marché, qui dénombre près de 1,8 million de voyages quotidiens sur les lignes de tram, bus et métro lyonnais. Avec l'objectif de s'ouvrir également à « de meilleures innovations, de meilleurs coûts » ainsi qu'un renforcement du service.

Mais rien n'avait encore été dévoilé concernant la mise en musique de cette volonté d'allotissement, et la manière dont chaque opérateur pourrait concrètement jouer sa partition au sein d'un réseau tentaculaire qui dessert 72 communes, 4 lignes de métro, 7 lignes de tramway, et plus de 100 lignes de bus et trolleybus ainsi que deux funiculaires.

Et si quelques pistes ont été révélées pour rassurer les salariés et les usagers, tout reste encore à accorder à la note près au cours des huit prochains mois qui séparent la remise des clés du métro et des tramways lyonnais à RATP Dev. En effet, si une collaboration étroite est bien prévue, dans les contrats, entre les opérateurs, la question reste de savoir comment celle-ci s'opèrera concrètement, notamment le cas du remplacement d'un métro à l'arrêt par un bus qui fait, lui l'objet d'une clause contractuelle.

Des réunions, qui débuteront dès le 29 mars permettront de mettre en place les briques de cette entente qui devra se faire avec efficacité. Car dans les nouveaux contrats, la part du risque que prend l'opérateur ne portera plus sur les recettes mais la qualité de service. Ce qui signifie que la fréquence des pannes et les défaillances sur le réseau qui n'engendraient pas, jusqu'à aujourd'hui, de malus pour l'opérateur, pourraient lui coûter cher demain.

« Jusqu'à présent, la part variable des rémunérations est liée aux recettes usagers, c'est ce qui fait le risque pour l'opérateur avec un système de bonus-malus. A partir de 2025, c'est la qualité et la fiabilité de service qui fera le bonus ou le malus de l'opérateur. Pour le mode lourd, c'est 7,5 millions d'euros par an qui pourront être additionnés ou soustraits et pour le lot bus 12,5 millions d'euros par an », a pointé le président de Sytral Mobilités.

Mais il s'agit surtout d'aller plus loin sur le sujet en améliorant la qualité globale du service, déjà présentée comme « très bonne ». Marie-Ange Debon et Hiba Farès, présidente respective des directoires de Keolis et RATP Dev, ont toutes deux pointés l'intégration dans leur contrat de 130 et 220 engagements opérationnels. Avec un enjeu particulièrement fort pour Keolis sur le recrutement et la formation des salariés et notamment des conducteurs de bus. Mais aussi le développement de la mobilité durable avec l'intégration de technologie et donc de formation en interne.

Du côté de RATP Dev, l'enjeu premier est de rassurer sur cette arrivée en territoire lyonnais. Si l'entité est déjà présente à Annemasse et Vienne, la complexité du réseau est néanmoins toute autre. « Tout va bien se passer. Le changement se fera sans changement », a insisté Hiba Farès, reprenant les propos d'une élue. Avant d'annoncer un objectif de « plus de 20% de progression de voyage, 20 % d'énergie verte et locale, une progression de la satisfaction des voyageurs.»

Des jalons qui seront scrutés dans le temps et en collaboration par Sytral Mobilités, en charge des investissements. Une cartographie de l'état actuel du réseau et des investissements nécessaires sera d'ailleurs réalisée au cours des mois à venir. De quoi donner à RATP Dev des pistes de travail pour atteindre ses promesses, et ce, avec des contraintes parfois structurelles.

Le président de Sytral Mobilités a également martelé, à deux reprises, la protection d'un socle social pour les salariés de Keolis qui opèreront demain sous l'autorité de RATP Dev.

« Nous avons recensé l'ensemble des acquis sociaux (grille indiciaire de rémunération, protection sociale complémentaire, etc) et nous les avons intégrés au sein des DCE comme un prérequis, a assuré Bruno Bernard. Leur non respect pourra constituer un motif de résiliation du contrat à la charge du délégataire», c'est-à-dire sans frais.

Ces droits sociaux sont donc garantis pour les salariés de Keolis, dont les 1.600 personnes qui rejoindront RATP Dev au 1er janvier 2025, et tous ceux qui seront recrutés après cette date par les deux entités. Ce qui n'empêchera pas les futures négociations salariales de conduire à des changements ultérieurs dans les contrats des salariés de RATP Dev et Keolis. L'éventualité d'un alignement du socle social des futurs salariés lyonnais de RATP Dev à celui de Paris, évoquée par un journaliste, a été balayée d'un revers de la main.

Sytral Mobilités s'est également engagé à compenser, pendant deux ans, la reprise d'ancienneté, par un opérateur, d'un salarié de l'autre lot. Une procédure portée dès le début de la procédure d'allotissement qui permettra ainsi à des conducteurs de bus, actuellement sous Keolis, de devenir conducteur de métro auprès de RATP Dev sans perdre ce bagage.

L'enjeu de l'automatisation du métro

Un autre enjeu de taille, l'automatisation du métro, avait déjà cristallisé les tensions durant la phase d'appel d'offres. Car depuis l'automatisation du de la ligne B en juin 2022, les lyonnais avaient rencontré un certain nombre de pannes ayant fait la manchette de la presse locale, et accru les tensions entre l'exécutif du Sytral et la direction régionale de Keolis. Celui-ci rappelant notamment à l'époque que c'était la société Alstom qui avait été mandatée pour assurer l'automatisation des métros lyonnais.

Lire aussiAutomatisation du métro lyonnais : après les pannes répétées, un enjeu à venir pour les candidats à l'exploitation ?

Comme nous le rappelions déjà au sein de nos colonnes, le métro lyonnais dont la RATP prendra bientôt la gestion est déjà équipé de systèmes automatisés : toutefois, les lignes A et C disposent encore d'un système prévoyant un conducteur. Or, un projet d'automatisation totale est toujours dans les cartons de Sytral Mobilités, avec pour la ligne A, un horizon jusqu'ici fixé à 2032. La ligne D, déjà automatisée depuis 1991, devrait également connaître une renouvèlement de son système. Soit autant de défis qui se présenteront au nouvel exploitant, RATP Dev, qui a déjà, dans son escarcelle, automatisé les lignes 1 et 4 du métro parisien, aura la lourde tâche de s'atteler à celles du métro lyonnais.

« Tous les travaux et projets de modernisation et de nouvelles lignes sont portés par Sytral Mobilités. C'est Sytral qui investit, qui décide, qui va porter ce projet. Nous les accompagnons. Ces projets sont inscrits et vont continuer », a précisé Arnaud Legrand, directeur d'offres mode lourd chez RATP Dev et directeur pressenti du lot mode lourd, RATP Dev à Lyon.

Cette modernisation du réseau, et l'amélioration qui en découlera, sont quant à elles, très attendues par les Lyonnais qui seront tout aussi, si ce n'est plus critiques que Sytral Mobilités et jugeront sur pièce, une collaboration et une gestion qui suscitent encore des interrogations.

Une navette fluviale également au menu pour RATP Dev
Autre symbole soumis au vote du conseil d'administration de Sytral mobilités ce jeudi : une délégation de service public (DSP) de 42 millions d'eu­ros, qui prévoit l'exploitation de la première navette fluviale lyonnaise de transports de passagers, entièrement intégrée au réseau TCL. Et sur ce volet également, c'est le francilien RATP Dev qui a raflé la mise.

Le nouvel entrant, qui avait installé un nouveau bureau sur le marché lyonnais dès la fin 2022 pour se préparer aux appels d'offres à venir, exploite déjà, avec sa filiale CTRL, cinq lignes maritimes à Lorient (Morbihan.) Il a également remporté en juillet 2023 le contrat d'exploitation et de maintenance du « Réseau Mistral » de la ville de Toulon avec son partenaire local Suma pour une durée de 6 ans. Celui-ci comprend notamment 132 lignes de transports (dont 10 maritimes) sur l'ensemble de ses 12 communes.

A Lyon, le contrat qui vient d'être voté prévoit de relier, à travers une nouvelle liaison fluviale de 6 km sur la Saône, les quartiers de l'Industrie à Vaise dans le 9ème arrondissement et le quai saint Antoine, en l'espace d'un quart d'heure. Voire même de poursuivre ensuite, sur certains horaires, le trajet jusqu'au quartier de Confluence. Avec, en ligne de mire, une mise en service progressive « à partir de juin 2025, avec l'objectif d'atteindre une fréquence de 15 minutes en heures de pointe à horizon avril 2026 ».

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.