Pollution aux PFAS : la Préfecture du Rhône renforce la pression sur Arkema, sans convaincre les riverains

Deux jours après les perquisitions des sites Arkema et Daikin dans le cadre d'une information judiciaire pour « mise en danger de la vie d'autrui » dans l'affaire des PFAS, dits « polluants éternels », la Préfecture du Rhône a dévoilé ce vendredi deux nouveaux projets d'arrêtés à l'attention d'Arkema. L'un d'eux vise à avancer le calendrier de réduction des rejets en PFAS dans le Rhône, tandis que l'industriel a lancé une nouvelle unité de production nommée « eLynx », « sans utilisation de surfactant fluoré », indique la Préfecture. Point d'étape.
La Préfecture du Rhône a annoncé vouloir avancer le dernier pallier de restriction des rejets de PFAS du chimiste Arkema dans le Rhône, depuis son site de Pierre-Bénite. L'interdiction des rejets reste, elle, fixée au 31 décembre 2024.
La Préfecture du Rhône a annoncé vouloir avancer le dernier pallier de restriction des rejets de PFAS du chimiste Arkema dans le Rhône, depuis son site de Pierre-Bénite. L'interdiction des rejets reste, elle, fixée au 31 décembre 2024. (Crédits : DR/Arkema)

Le dossier de la pollution de la vallée de la chimie aux « polluants éternels » connaît un nouveau rebondissement ce vendredi : désormais, la Préfecture du Rhône annonce bientôt publier deux nouveaux arrêtés restrictifs à l'attention de l'usine Arkema de Pierre-Bénite, accusée de pollution de l'environnement à travers ses rejets passés et présents de PFAS dans le Rhône.

Pour rappel, ces molécules chimiques fluorées, particulièrement imperméables et résistantes à la chaleur, sont utilisées dans la fabrication des revêtements antiadhésifs : ustensiles de cuisine (poêles), certains textiles (comme les combinaisons anti-inflammables), cosmétiques, farts etc. Aujourd'hui estimées entre 5.000 et 18.000 dans le monde, ces substances se divisent en plusieurs sous-familles, dont le niveau de connaissance sur les comportements et les risques n'est pas homogène.

Les PFAS dits « monomères », à l'instar du PFOA (interdit dans l'UE en 2009), sont les plus dangereux (cancérogènes, perturbateurs endocriniens). Tandis qu'il n'existe pour l'heure pas de consensus scientifique autour des PFAS dits « polymères », encore produits et utilisés aujourd'hui.

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C'est notamment le cas à Pierre-Bénite (Rhône), au sud de Lyon, où le chimiste Arkema rejette encore aujourd'hui un PFAS dans le Rhône : le « 6:2 FTS ». En septembre 2022, après les révélations de plusieurs enquêtes journalistiques sur la contamination aux PFAS autour de la « vallée de la chimie », la Préfecture du Rhône a publié un arrêté préfectoral établissant pour la première fois la restriction progressive des rejets de perfluorés depuis l'usine d'Arkema (le premier site en France concerné par ce type de mesures) : - 65 % en mars 2023, puis - 73 % en décembre 2023 et - 80 % en septembre 2024. Mais aussi une échéance : l'interdiction totale de rejets aqueux de PFAS par Arkema au 31 décembre 2024.

Le calendrier de restrictions avancé

Désormais, au terme d'une semaine marquée par plusieurs rebondissements sur le plan judiciaire comme politique, notamment via les perquisitions des sites industriels de Daikin et d'Arkema, la Préfecture de Région et du Rhône va plus loin : elle déclare en effet travailler au renforcement du calendrier de restriction du chimiste français. Ce, en avançant le prochain pallier de réduction (- 80 %), initialement fixé en septembre prochain, à « une application immédiate », dès la publication de l'arrêté, pour l'heure annoncée début mai, à l'issue d'une « phase contradictoire avec l'exploitant ».

« Il conférera une application immédiate au dernier palier de réduction des rejets en PFAS dans l'eau, initialement prescrit à l'échéance de septembre 2024, garantissant que le niveau déjà obtenu sera maintenu et encore abaissé ces prochains mois », indiquent en effet les services de l'Etat dans un communiqué.

Par ailleurs, la date d'interdiction des rejets, fixée au 31 décembre 2024, reste inchangée. « Arkema a confirmé lors du CODERST du 11 avril que l'entreprise était en capacité de respecter cette échéance », indique en effet la Préfecture, qui précise que le site industriel « respecte d'ores et déjà le palier de septembre 2024 ».

Une nouvelle unité « sans surfactant fluoré » : « eLynx »

Ce nouveau délai intervient alors que l'usine a déjà considérablement réduit ses rejets. Dès novembre 2022, deux mois après la publication du premier arrêté, Arkema a réduit en quelques semaines ses rejets chimiques, atteignant sans problème les premiers paliers de restrictions. Ce, grâce à la mise en place d'un système de traitement de l'eau par charbons actifs, réduisant largement ses rejets chimiques.

D'où les interrogations de certains habitants, qui ont pris le dossier à bras le corps : « L'échéance, c'est l'entreprise qui la donne, pas la Préfecture », réagit en effet Thierry Mounib, président de l'association Bien vivre à Pierre-Bénite. « J'en veux pour preuve qu'Arkema déclarait déjà arrêter les rejets de PFAS à fin 2024, avant même la publication du premier arrêté ! ».

Le résident se déclare ainsi « dans l'expectative », sachant qu'Arkema a lancé en parallèle une nouvelle gamme de son produit « Kynar », cette fois destiné au marché des batteries électriques : l'unité « eLynx », « qui ne relevait pas d'un arrêté d'autorisation, mais de prescription complémentaire », est en effet déjà en service confirme la Préfecture. Surtout, elle est « garantie sans surfactant fluoré » (PFAS), ajoutent les services de l'Etat.

« Cette nouvelle production sans surfactant et sans produit bioaccumulable va faciliter la reconversion des installations actuelles et a aussi une valeur de démonstrateur », soutient la Préfecture du Rhône.

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Pour Thierry Mounib, des questions restent tout de même en suspens : notamment l'absence de transparence quant aux substances utilisées : « Ce serait formidable de tout arrêter, de reconvertir les activités ! Mais peut-on les croire ? Les industriels ne jurent maintenant que par les PFAS chaînes courtes, polymères, en disant qu'ils ne sont pas dangereux. Utiliseront-il des PFAS de chaîne courte « nouvelle génération », qu'ils n'appelleraient pas PFAS ? »

« Quand on voit que la préfecture autorise l'ouverture des ateliers de Daikin, qui utilise trois ou quatre nouveaux PFAS que nous ne connaissons pas, et qui pollue beaucoup plus dans l'air que ce qu'on pensait jusqu'alors(cf enquête de France 3 Aura), nous avons de gros doutes concernant ses intentions vis-à-vis d'Arkema », ajoute le président de l'association créée il y a 35 ans, et regroupant aujourd'hui une quarantaine d'habitants d'Oullins-Pierre-Bénite.

Par ailleurs, la Préfecture annonce également « renforcer la surveillance des eaux souterraines sur et autour de la plate-forme industrielle Arkema-Daikin (un arrêté similaire a été signé pour l'exploitant Daikin) ». Ce, via un « renforcement » du réseau piézométrique et d'une « nouvelle étude approfondie » des eaux souterraines : « Les analyses concerneront les PFAS actuels, les PFAS historiques et les PFAS issus de leur dégradation ».

Une proposition de loi pour interdire les PFAS

L'enjeu de la définition exacte des PFAS dans la réglementation française (tant en matière d'usages que de rejets et de dépollution) - aujourd'hui non réglementée - était également au cœur des débats à l'Assemblée nationale le jeudi 4 avril : faut-il considérer les PFAS comme une seule et même famille dans la loi, ou distinguer les molécules ?

Le député écologiste de Gironde, Nicolas Thierry, a ainsi présenté une proposition de loi allant dans le sens d'une interdiction totale de l'ensemble du spectre des PFAS, à partir de 2026. Proposition adoptée à l'unanimité par la chambre basse pour un ensemble de produits (dont les textiles, les cosmétiques, les farts)... A l'exception des ustensiles de cuisine, après amendant de la majorité, soutenue par les députés LR et RN.

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La proposition doit désormais passer devant les sénateurs, a priori le 30 mai prochain. Une nouvelle étape déjà pressentie comme « difficile » selon plusieurs sources, favorables à une interdiction totale des PFAS.

Parmi les grands enjeux des débats, notamment portés par le camp présidentiel : l'alignement avec l'arrivée d'une réglementation européenne, en cours de préparation. Mais aussi les questions de « compétitivité » des entreprises, en prenant l'exemple du groupe SEB, qui a mené une vaste opération début avril contre l'adoption de la proposition de loi, notamment en faisant peser dans la balance la perte de « 3.000 emplois » à Rumilly (Haute-Savoie) et à Tournus (Saône-et-Loire).

Une donnée « maximaliste » selon le rapporteur de la proposition de loi, Nicolas Thierry. Le député a d'ailleurs déposé un signalement auprès du déontologue de l'Assemblée nationale cette semaine, dénonçant « de potentiels manquements au code de conduite applicable aux représentants d'intérêts » par le groupe SEB.

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En parallèle, la Métropole de Lyon mène de son côté une action en justice contre Arkema et Daikin, dans l'espoir de faire appliquer le principe de « pollueur-payeur ». La collectivité, dont les concentrations de PFAS dans l'eau potable de plusieurs communes « dépassent les seuils de la directive cadre européenne sur l'eau », estime les premiers travaux d'adaptation de ses stations d'assainissement entre 5 et 10 millions d'euros.

Sachant qu'elle prévoit également d'autres investissements : la mise en place d'une ligne de filtration de l'eau au charbon actif, au niveau de la station de pompage de Ternay, au sud de la Métropole, pourrait s'élever à environ 50 millions d'euros, déclarait à La Tribune Aura Pierre Athanaze, vice-président du Grand Lyon, en décembre dernier.

L'audience des deux chimistes devant le tribunal judiciaire de Lyon, initialement prévue le 9 avril dernier, a été renvoyée au 28 mai à la demande des avocats. Un laps de temps accordé par les magistrats à la défense, là où chaque semaine apporte son lot de nouvelles informations en la matière dans la « vallée de la chimie ».

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Commentaires 2
à écrit le 13/04/2024 à 2:55
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Arkema sait ce qui lui reste à faire ,délocaliser son usine de Pierre Bénite sous des cieux plus accueillants. La chimie n'a pas bonne presse en France mieux vaut investir en Asie et en Amérique du Nord. ExxonMobil montre la voie intelligente à sui...

le 14/04/2024 à 0:59
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Arkema a sa plus grosse usine de chimie des fluorés à Shanghai. Petit à petit Elle peut arrêter d'investir à Lyon et investir pour de nouvelles installations en Chine. Après cela on viendra se plaindre des délocalisations.

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