Proposition de loi sur les PFAS : les industriels vent debout ; la CGT dénonce du « chantage » à l'emploi

Amandée par le camp présidentiel, allié aux députés LR et RN, la proposition de loi sur l'interdiction des PFAS dans certains produits de consommation a été adoptée en première lecture ce jeudi à l'Assemblée nationale. Si les cosmétiques, certains textiles et les farts (de skis) sont bien concernés, la mention des ustensiles de cuisine a, quant à elle, été supprimée du texte. En Auvergne-Rhône-Alpes, où l'entreprise Tefal (groupe SEB) fabrique notamment certaines poêles utilisant un PFAS, la question revêt un écho tout particulier. D'autant que les cartes des connaissances en la matière ne cessent d'être rebattues.
Usine Tefal de Rumily, en Haute-Savoie.
Usine Tefal de Rumily, en Haute-Savoie. (Crédits : Groupe SEB)

[Article publié le jeudi 04 avril 2024 à 17h38 et mis à jour à 19h39]

Lieu des premières alertes en 2020, terrain d'investigations scientifiques et réglementaires depuis plus de trois ans, et désormais théâtre de divergences entre le monde économique, la société civile et les pouvoirs publics : le Rhône et la région Auvergne-Rhône-Alpes sont scrutés dans le scandale des pollutions massives aux substances chimiques dîtes « perfluorées », ou « polluants éternels ».

Ces molécules artificielles, dont 5.000 ont été répertoriées dans le monde selon l'OCDE, sont depuis environ quatre ans dans le radar de nombreux acteurs (lanceurs d'alerte, associations, collectivités territoriales et médias), mais aussi des autorités sanitaires nationales (ARS, DREAL) et européennes.

Lire aussi Polluants éternels (PFAS) : face à une proposition de loi écologiste, le gouvernement dégaine son plan

Car un voile se lève : après des décennies de production, d'utilisation et de rejets, notamment dans le Rhône depuis la plateforme chimique d'Oullins-Pierre-Bénite, mais aussi autour d'Annecy et de Rumilly (Haute-Savoie) - et où se situe notamment une usine de production de poêles Tefal (groupe SEB) - la pollution aux PFAS et ses conséquences sanitaires (perturbateurs endocriniens, cancers) étaient ce jeudi matin discutées à l'Assemblée nationale.

Ce, à travers une proposition de loi portée par le député écologiste de Gironde Nicolas Thierry, par ailleurs adoptée fin mars à l'unanimité en commission. Son objectif alors : interdire à partir du 1er janvier 2026 « la fabrication, l'importation, l'exportation et la mise sur le marché à titre gratuit ou onéreux » de « toutes les substances per- et polyfluoroalkylées » contenues dans certains produits : les cosmétiques, les farts (des skis), les textiles (hors tenues de sécurité) et... Les ustensiles de cuisine.

Présenté ce jeudi aux députés, le texte, largement amendé par le camp présidentiel, a été adopté à l'unanimité en première lecture et doit désormais passer devant les sénateurs. Pour autant, les échanges ont conduit à la suppression de l'alinéa sur les ustensiles de cuisine, sur amendements du camp présidentiel, allié aux Républicains et au Rassemblement national. Une alliance qui aurait « cédé aux lobbyings de SEB, au détriment de la santé des Français » selon les députés Ecologistes, à l'initiative du texte.

Tefal où le « chantage à l'emploi »

Car ce secteur d'activité utilise en effet ces substances très résistantes à la chaleur. Et n'a pas hésité à montrer sa grogne en fin de semaine dernière, en amont des débats. Le président du groupe SEB, Thierry de La Tour d'Artaise, se déclarait ainsi, dans un entretien publié dans La Tribune Dimanche, « exaspéré par le manque d'analyse scientifique qui sous-tend cette proposition de loi ».

Quitte à faire jouer l'argument des emplois : « trois mille » seraient menacés, à Rumilly (Haute-Savoie) et à Tournus (Saône-et-Loire) :

« Confondre des composants qui n'ont rien à voir entre eux aboutit à un non-sens. Mais là où l'Union européenne adopte une démarche scientifique dans la durée pour analyser tous les enjeux, cette proposition de loi fait l'inverse », tançait l'ancien directeur-général.

Car le nœud de l'affaire concerne l'imbrication entre les études scientifiques (certaines livrées, d'autres en cours) et les différents niveaux de politiques publiques : à l'échelle locale d'abord (la Préfecture de la Région Auvergne-Rhône-Alpes étant précurseur, via la mise en application d'arrêtés de limitation et d'interdiction des rejets de ces substances à l'attention des chimistes Arkema et Daïkin dès 2022). Mais aussi à l'échelle française et européenne, où des discussions sont en ce moment menées dans le sens d'une interdiction de ces substances.

Cela, sans valeur toxicologique de référence à ce jour. Tout en considérant l'immense diversité des PFAS : si les substances dites « monomères » (dont fait partie le PFOA, interdit depuis 2009 dans l'Union européenne) sont en effet considérées comme nocives (notamment cancérogènes) ; la dangerosité des substances « polymères », plus volumineuses et plus stables, jugées « sans consensus scientifique » par l'OCDE, commence tout juste à être soulevée et débattue.

C'est notamment ce qu'indique le député du Rhône Cyrille Isaac-Sibille (RE) dans son rapport au gouvernement sur le sujet : « Les PFAS polymères génèrent de nombreuses interrogations, car il y a peu de connaissances scientifiques sur leur dégradation (chimique ou physique), plus précisément sur leur devenir dans l'environnement et sur leur capacité à se dégrader en PFAS non-polymères ou en microplastiques, notamment sur une durée significative ».

Des enjeux qui questionnent le périmètre de la proposition de loi, comme le soutiennent plusieurs chercheurs dans une tribune publiée le 3 avril dans Le Monde, demandant  « que les PFAS soient gérées comme une classe chimique unique, au nom de leur persistance et de leurs risques démontrés ou potentiels sur la santé humaine et environnementale ». Allant jusqu'à dénoncer « une réinterprétation fallacieuse (des industriels) de la position de l'OCDE sur les polymères ».

Lire aussiLoi sur les « polluants éternels » (PFAS) : la direction et les salariés de SEB vont manifester

Car l'argument du « consensus scientifique » sur ces derniers, comme étant « probablement moins dangereux » comme l'a indiqué ce matin le ministre de l'Industrie Rolland Lescure devant les parlementaires, est notamment mobilisé par SEB pour défendre ses activités : le seul PFAS utilisé par l'usine Tefal de Rumilly est le PFTE, faisant partie de cette catégorie des molécules « polymères », encore assez peu connue.

Production des PFAS : le gouvernement souhaite s'aligner sur l'Europe

Ce matin, au sortir d'une longue semaine notamment marquée par la mobilisation de certains salariés de Tefal devant le palais Bourbon, les députés ont ainsi commencé à passer le texte et ses amendements au crible. Avec, comme principaux points de désaccords, les questions du sens d'une initiative nationale plutôt qu'européenne, de sa date d'entrée en vigueur, mais aussi la définition des PFAS et les secteurs d'activités ciblés.

Si les Verts, notamment soutenus par la France insoumise, souhaitaient aller vers une restriction de la fabrication et de l'usage de l'ensemble de ces substances, la majorité a priorisé l'encadrement des rejets, tout en s'alignant in fine sur le calendrier de Bruxelles quant à une potentielle interdiction.

En effet, après avoir été saisie par cinq Etats européens en 2021 (récemment soutenus par la France), l'Agence européenne des produits chimiques (Echa) prépare en ce moment un projet d'interdiction des PFAS, pour un horizon aujourd'hui envisagé à 2027 ou 2028. En plus de l'entrée en vigueur en 2026 de la nouvelle réglementation européenne sur l'eau, fixant pour la première fois des seuils maximum de rejets pour 20 PFAS.

Un échéancier jugé encore lointain par certains parlementaires. « Aucun PFAS n'échappe à la question du fait que ce sont des substances préoccupantes. Il y a un enjeu sanitaire à aborder la question par famille, et non pas substance », clame ainsi Nicolas Thierry, rapporteur de la proposition de loi pour le groupe Les Ecologistes.

À ses côtés, figure aussi la députée de la 3e circonscription du Rhône, Marie-Charlotte Garin : l'élue épingle notamment la position du député Renaissance Cyrille Isaac-Sibille (cité précédemment), auteur d'un rapport d'information de 18 recommandations sur les PFAS, remis à l'ex-Première ministre Elisabeth Borne en janvier dernier. L'accusant notamment, par voie de communiqué, de « se faire le portevoix des industriels dans le débat (...) en proposant par exemple des exceptions qui affaibliraient considérablement la portée de la loi », notamment en proposant d'exclure les ustensiles de cuisine du champ de l'interdiction. Ou encore en proposant de distinguer, dans le texte de loi, les PFAS monomères des PFAS polymères, malgré les soupçons de dangerosité relevés dans son rapport concernant ces derniers.

La CGT demande de la transparence

Car le spécialiste des cocottes minutes et des autocuiseurs, SEB, assure ne pas être en capacité d'adapter son outil productif en moins de deux ans. Un argument remis en cause par les Verts, dont un membre estime « qu'il en allait de même avec l'interdiction du tout-Téflon. SEB a déjà des solutions ».

Il n'empêche, la question des emplois et de la compétitivité enflamme les débats dans un secteur jugé prioritaire par la majorité et la droite (là où une action vers ceux du textile, de la cosmétique semble plus largement admise). « SEB n'est pas capable de modifier ses outils de production en deux ans », réaffirmait ce matin le député Renaissance des Hauts-de-Seine, Pierre Cazeneuve.

Quoi qu'il en soit, le débat prend de l'ampleur, notamment sous le prisme épineux du « chantage à l'emploi ». Le 2 avril, ni une, ni deux, la CGT Auvergne-Rhône-Alpes réagissait dans un communiqué intitulé : « Le syndicalisme ne sera pas complice d'une nouvelle tragédie sanitaire, sociale, économique et environnementale ».

Pour sa déléguée générale, Agnès Naton, les « doutes » autour des PFAS polymères, dont le PFTE, doivent être levés : « Chaque semaine, des études tombent et convergent vers la nocivité de ces substances », citant l'exemple de l'extension de l'usine Daikin, au sud de Lyon, utilisant une nouvelle substance perfluorée et rejetant du gaz chargé d'une molécule, le bisphénol A fluoré, comme l'ont révélé cette semaine France 3 Auvergne-Rhône-Alpes et Médiacités.

« Nous demandons déjà qu'il y ait une transparence au sein des entreprises. Ces produits sont-ils dangereux ou non ? L'entreprise se doit de prévenir et garantir la santé de ses salariés. Il y a donc un premier problème, qui est de déterminer la dangerosité ou non des produits, pour ensuite voir ce qu'il y a à faire pour préserver la santé des salariés, avant même de parler de la question de l'emploi ». Avant d'ajouter qu'« en cas de doute, supprimons ces éléments polluants ! ».

Quant à la question des moyens alloués aux industries pour ces transformations : « Cela a à voir avec les choix stratégiques de l'entreprise. Comme on dit : ceux qui font sont aussi ceux qui savent ».

« Des solutions existent : Tefal produit bien des poêles et des casseroles en inox, même si l'essentiel de la production vient de Chine. De même, ils ont une activité autour de la céramique. Cela ne vaut-il pas la peine que Tefal mise sur la R&D ? », ajoute Agnès Naton, pointant par ailleurs la possibilité d'un effet cascade « efficace » : celui de la « sanction du consommateur ».

Mercredi, la veille de la présentation du texte en première lecture, des salariés de Tefal se sont par ailleurs rendus à Paris, appuyés par certains syndicats, dont CFE-CGC et FO. Ils y ont notamment rencontré une délégation du groupe Les Ecologiste (dont les députés Nicolas Thierry (Gironde), Marie-Charlotte Garin (Rhône), Cyrielle Chatelain (Isère) et Charles Fournier (Indre-et-Loire).

La CGT Auvergne-Rhône-Alpes, pour sa part, invite à faire cause commune. Elle déclare par ailleurs travailler à une cartographie des risques dans la Région, sur la base des travaux menés par la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). Une initiative qui se conjugue d'ailleurs à des actions locales : l'Union départementale du Rhône fait par exemple partie de « l'Alliance écologique et sociale » du département, qui a déposé un référé contre l'usine Arkema de Pierre-Bénite, près de Lyon, en 2023. Référé finalement rejeté par la Justice en novembre dernier.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 2
à écrit le 05/04/2024 à 8:55
Signaler
"Si les cosmétiques, certains textiles et les farts (de skis) sont bien concernés, la mention des ustensiles de cuisine a, quant à elle, été supprimée du texte" Notons quand même que le luxe est un gros lobby français qui sait évoluer en acceptant de...

à écrit le 04/04/2024 à 21:12
Signaler
il faut faire NAME AND SHAME avec ces syndicalistes sur qui ils sont ou ils sont et ce qu'ills pensent, c'est une strategie de gauche donc c'est tolerant et donc c'est non penalement reprehensible, vu que les juges independants donc de gauche compren...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.