Pollution aux perfluorés (PFAS) : l'extension de l'usine Daikin près de Lyon soulève à nouveau des questions

Alors que les substances chimiques perfluorées (PFAS), dont certaines sont reconnues cancérogènes, sont désormais scrutées au sud de Lyon (Rhône) par les riverains, les collectivités territoriales et l'Etat, le chimiste Daikin a ouvert, ce mois de février 2024, une extension de son usine de production de polymères. Une nouvelle unité qui inquiète certains acteurs, à l'heure où la Préfecture de Région recommande également de ne pas consommer l'eau, les fruits et les légumes produits à 500 mètres autour d'une autre usine de production chimique : Arkema. Point de situation.
La Vallée de la Chimie, située au sud de Lyon, concentre déjà de nombreuses usines de production chimique, dont 18 sont classées Seveso.
La Vallée de la Chimie, située au sud de Lyon, concentre déjà de nombreuses usines de production chimique, dont 18 sont classées Seveso. (Crédits : Laurence Danière-Métropole de Lyon)

C'est une nouvelle étape dans un dossier aux multiples imbrications : la Préfecture de Région vient de confirmer l'extension de l'usine de production de polymères Daikin, située dans la Vallée de la chimie, au sud de Lyon. L'entreprise, spécialisée dans la fabrication de polymères, utilisés dans l'industrie automobile, le textile ou encore la plasturgie, a en effet lancé, en début d'année, une nouvelle unité de production de polymères additivés, dite « pre-compound », sur son site de Pierre-Bénite (Rhône).

Cette production, auparavant opérée aux Pays-Bas et désormais délocalisée dans le Rhône, vient ajouter des additifs sous forme de poudres aux polymères actuellement produits en France par le groupe japonais, par chauffage et par mélange. Elle impliquerait, dans un nouveau bâtiment de 1.440 m2, contigu au site actuel, une production de 9 tonnes de polymère additivé par jour, soit 1.500 tonnes par an, à ajouter aux 2.000 tonnes annuelles déjà produites par ce site. Ce qui ne manque pas de faire réagir certains acteurs, puisque Daikin prévoit, pour cela, d'utiliser des substances chimiques faisant partie de la famille des PFAS, dont certains sont classés cancérogènes par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), organe de l'OMS.

En effet, « 4 des 5 additifs (utilisés par cette nouvelle unité) sont classés CMR (cancérogènes, mutagènes, toxiques pour la reproduction) », dont deux de catégorie 1B, « qui répondent à la définition des substances extrêmement préoccupantes potentielles », indique la DREAL dans son rapport d'inspection datant de 2023, sans préciser leur nature exacte, car protégés par le secret industriel.

Une utilisation qui interroge aussi certains acteurs sur leur rejet dans l'environnement, là où le sud de Lyon est déjà concerné par une large pollution à certains perfluorés : près de 166.000 personnes reçoivent de l'eau du robinet en partie contaminée par des PFAS dans la Région, avait indiqué en janvier l'Agence régionale de santé.

« L'utilisation de ces substances n'est pas interdite ni restreinte à ce jour, mais ces substances font l'objet de discussions à l'échelle européenne avec des évolutions possibles dans les années à venir du classement de leur dangerosité et des conditions dans lesquelles elles pourront être utilisées et mises sur le marché », ajoute la DREAL.

Des rejets aériens

Cette autorisation intervient aujourd'hui sous le contrôle des autorités. La Préfecture de Région a ainsi ordonné, dans un arrêté du 1er février dernier, l'interdiction de rejets de PFAS dans l'eau par Daikin depuis sa nouvelle unité, mais aussi la restriction des rejets aériens, à raison de 23 kg/an pour ces substances, sur les 1,5 tonnes de rejets de composés organiques volatiles (COV) autorisés pour cette nouvelle unité. Soit une valeur « très restrictive » de 1mg/Nm3 au maximum, indiquent les services de l'Etat, qui ajoutent demander un plan de substitution à l'industriel dans les trois ans.

Soit « des exigences bien supérieures à celles de la réglementation nationale et européenne, au nom du principe de précaution », complète la Préfecture.

À ce titre, la direction de Daikin Chemical France indique seulement que « pour mettre en œuvre ce projet », l'entreprise « a eu recours aux meilleures techniques disponibles prévues par la réglementation européenne pour en minimiser les émissions ».

Mais cette nouvelle reste « à contre-sens » selon Thierry Mounib, président de l'association Bien Vivre à Pierre-Bénite, créée il y a 35 ans, initialement contre un projet de troisième autoroute sur la commune : « Nous l'avons appris il y a quelques jours. J'ai été étonné que nous n'en ayons été informé qu'à l'ouverture de l'atelier. Puis, quand on lit l'arrêté préfectoral, c'est là que l'on s'étonne vraiment », regrette le riverain.

« Il est indiqué qu'à défaut de solution palliative dans ces délais pour Daikin*, à la fois techniquement et économiquement, l'industriel devra démontrer cette impossibilité. Ce qui laisse la porte ouverte à une reconsidération de la substitution. Cela nous a beaucoup choqué.

En effet, l'extrait de l'arrêté préfectoral en question stipule qu' « à défaut, Daikin devra démontrer dans le même délai l'impossibilité technico-économique de cette substitution et l'absence d'impact sanitaire et dans l'environnement de ces substances compte tenu de l'état des connaissances à la date de transmission ».

Tout en s'appuyant sur la mission d'information conduite par le député du Rhône Cyril Isaac-Sibille (Renaissance), Thierry Mounib rappelle que la principale recommandation reste « d'arrêter dès que l'on peut de produire et d'utiliser des PFAS. Au lieu de cela, nous continuons à autoriser des ateliers avec de nouveaux PFAS, inconnus ».

Et d'ajouter : « Nous avions l'impression d'avoir gagné une bataille, car Arkema devait stopper l'utilisation d'un premier PFAS connu en fin d'année. Mais nous nous apercevons que finalement, c'est Daikin qui ouvre un nouvel atelier avec trois autres PFAS. C'est infernal. »

Fruits, légumes, eau et œufs contaminés autour d'Arkerma

Cette nouvelle production intervient justement alors que la Préfecture vient également de livrer les conclusions de son 11e comité de suivi des élus concernant la pollution de l'environnement aux perfluorés. Réunion qui lui a permis de livrer les derniers résultats de ses prélèvements autour du site d'Arkema, à Pierre-Bénite.

Ainsi, 35 PFAS ont été analysés sur plus de 125 prélèvements réalisés dans des jardins et dans les sols de 15 sites sensibles (écoles, collèges, parcs), au sein de deux périmètres : l'un, d'un rayon inférieur à 500 m autour de l'usine Arkema, et l'autre, plus large.

« Les résultats montrent une présence de PFAS dans les sols, les fruits et légumes et l'eau de pluie ou de puits privés utilisée pour l'arrosage des jardins dans le périmètre de 500 mètres autour de l'usine Arkema », relève aujourd'hui la Préfecture de Région.

Dans ce contexte, l'Etat recommande de « ne pas consommer les fruits et légumes produits dans les jardins potagers de ce secteur », et de « ne pas utiliser l'eau des puits privés, ni les eaux pluviales, et ce quel qu'en soit l'usage ».

Au-delà de 500 mètres, la Préfecture ajoute qu'une « réflexion plus approfondie en terme de recommandations générales est menée en lien avec les autorités nationales ».

Des réactions politiques tous azimuts

Sur la scène politique, le dossier a retenu toute l'attention du député de la circonscription, Cyril Isaac-Sibille (Renaissance), qui venait de remettre un rapport à l'ancienne Première ministre Elisabeth Borne, début janvier. Il y émet 18 recommandations au gouvernement, dont « l'interdiction des rejets industriels » et « l'arrêt de la production et de l'utilisation des PFAS ».

Mais aussi « faire adopter par l'Union européenne une définition large de la famille des PFAS : toute molécule contenant plus d'une liaison carbone-fluor, incluant 2 sous-familles : celle des monomères et celle des polymères ».

Du côté de l'opposition également, le député LFI-Nupes Gabriel Amard, ainsi que ses collègues du groupe LFI-NUPES, ont annoncé le 12 février dernier le dépôt d'une proposition de résolution européenne visant à interdire l'usage des polluants éternels.

En s'appuyant sur le fait que l'Agence européenne pour l'environnement (AEE) affirme que « les polluants éternels peuvent entraîner des problèmes de santé tels que des lésions hépatiques, des maladies thyroïdiennes, de l'obésité, des problèmes de fertilités et des cancers », ces députés demandent à ce que « l'application du principe de pollueur-payer doit se faire sans ambiguïté ».

Ce que demande aussi la Métropole de Lyon, qui investit notamment pour l'adaptation de la station de pompage de l'eau potable de Ternay, pour alimenter le sud de la collectivité. Son vice-président à la prévention des risques, Pierre Athanaze, que nous interrogions à ce sujet en novembre dernier, pointait ainsi « deux responsabilités » : « Il y a celle de l'industriel et celle de l'Etat. Maintenant, qui doit payer cette dépollution des eaux ? Le pollueur, ou bien les habitants ? »

Et ce, dans l'attente de l'entrée en vigueur de la réglementation européenne sur le sujet de l'eau dans l'Hexagone, à horizon 2026 : à savoir, des restrictions de rejets aqueux de 20 molécules, sur les quelque 4.000 PFAS aujourd'hui identifiées dans le monde, mais aux caractéristiques différentes et aux niveaux de connaissances encore très hétérogènes.

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Commentaire 1
à écrit le 09/03/2024 à 10:29
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Arkema et Daikin n'ont plus qu'á partir pour la Corée du Nord , les acheteurs et la France seront gagnant sur tous les fronts: coûts , produits à moitié prix, pollutions, loin d'ici, grèves et remous sociaux inutiles exportés au loin de ce pays dans ...

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