Perfluorés : ces deux enquêtes qui placent la Vallée de la Chimie dans l'oeil du cyclone

Depuis les révélations d'un reportage de France 2 il y a quinze jours évoquant de forts dépassements de seuil de substances suspectées d'être cancérigènes, le dossier des perfluorés empoisonne la scène lyonnaise, et notamment, celle de sa Vallée de la Chimie. Après l'inquiétude des riverains -concernant en particulier l'influence de ces substances sur le lait maternel-, les contrôles réalisés par la Préfecture du Rhône, et une plainte contre X déposée par le maire de Pierre-Bénite, c'est désormais au tour de la branche lyonnaise de l’ONG Notre Affaire à Tous de saisir la justice, en ciblant cette fois, dans une nouvelle étude, les industriels Arkema et Elkem Silicones.
L'ONG estime notamment qu' au regard des infractions répétées et des risques environnementaux, industriels et sanitaires graves auxquels, les deux industriels Arkema et Elkem exposent les habitants du Grand Lyon et nécessitent une procédure d'urgence afin de faire cesser toutes pollutions illégales.
L'ONG estime notamment qu' "au regard des infractions répétées et des risques environnementaux, industriels et sanitaires graves auxquels", les deux industriels Arkema et Elkem "exposent les habitants du Grand Lyon" et nécessitent une "procédure d'urgence" afin de "faire cesser toutes pollutions illégales". (Crédits : DR/métropole de Lyon)

C'est un feuilleton qui pourrait durer plusieurs mois, et qui entache déjà l'image de l'une des plus grandes plateformes chimiques de France. Le 12 mai dernier, un reportage de France 2 ("Vert de rage") réalisé en collaboration avec Envoyé spécial avait jeté un pavé dans la mare en dévoilant la présence de substances perfluorées (PFAS) dans les environs de plusieurs sites industriels de Pierre-Bénite (Rhône) dans l'eau, l'air et le sol, à la suite de prélèvements réalisés et envoyés à un laboratoire néerlandais.

Pour rappel, cette famille de composants dits "éternels" regroupe en réalité près de 4.730 composés synthétiques qui sont utilisés par l'industrie chimique pour leurs propriétés anti-adhésives, anti-tâches, hydrofuges ou anti-graisse, au sein de différents produits du quotidien (cosmétiques, électroménager, etc). Ils sont suspectés d'avoir un impact sur la santé, notamment d'être cancérigènes (les PFAS avaient entre autres fait l'objet du film Dark Waters en 2019 qui filmait le le combat d'un avocat contre le chimiste DuPont, produisant le Téflon). Mais en France, une partie de ces composants perfluorés ne font toujours pas l'objet de normes et ne sont donc pas recherchés systématiquement lors des contrôles environnementaux menés par les DREAL.

La Préfecture du Rhône rappelait d'ailleurs qu'une directive européenne (2020/2184) concernant la qualité des eaux de consommation, est justement en cours de transposition à ce sujet et devrait ainsi permettre un introduction des PFAS au sein même des analyses sanitaires de l'eau de consommation d'ici à 2026.

Reste que, selon l'enquête menée durant un an par le journaliste de l'émission, Martin Boudot, son équipe aurait retrouvé des taux de perfluorés "records" au sein même des biberons préparés par les riverains.

De premières plaintes et contrôles à la mi-mai

L'ensemble des échantillons relevés dépassent les valeurs de référence : dans l'air, le taux de PFOA (un perfluoré de la famille des PFAS) serait ainsi 8 fois supérieur aux valeurs de l'ONU, tandis que dans les sols, ils dépasseraient de 83 fois les normes néerlandaises en l'absence de référence français. La moyenne de PFAS présente dans le lait maternel s'avère également deux fois plus importante que les taux constatés au Pays-Bas (160,7 nanogrammes par litre et par kilo, contre 70,7 ng/kg).

L'Agence européenne de l'environnement (EEE) estimait elle même que les perfluorés "peuvent entraîner des problèmes de santé tels que des lésions hépatiques, des maladies thyroïdiennes, de l'obésité, des problèmes de fertilité et des cancers".

Suite à cette première enquête, le maire de Pierre-Bénite avait déjà déposé une plainte contre X, tandis que la Préfecture du Rhône avait décidé de prendre deux arrêtés afin de mener une nouvelle série de contrôles inopinés et renforcés à l'égard notamment des rejets liquides des groupes Daikin et Arkema, s'engageant dans le même temps à "rendre compte régulièrement de la situation".

Contrôles à l'issue desquels elle déclarait avoir mené un contrôle inopiné des rejets de Daikin le 18 mai dernier, qui vient en complément des contrôles précédents des points de rejets d'Arkema le 23 mars et le 28 avril dernier, ainsi que du contrôle des eaux du Rhône et du canal usinier du 5 mai.

Pour sa part, l'ARS Auvergne Rhône-Alpes avait annoncé la mise en place d'un dispositif de surveillance de l'eau d'ici l'été intégrant les PFAS "par principe de précaution", notamment "pour l'eau d'alimentation, issue des champs captants de Grigny et Ternay", mais ne recommandait pas, en l'attente, de procéder à des restrictions de la consommation de l'eau d'alimentation pour ce ce secteur.

Avec, en même temps, une autre recommandation beaucoup plus large et formulée ainsi :  "Selon l'Organisation mondiale de la santé, l'allaitement maternel est bénéfique pour les nourrissons et est recommandé de façon exclusive jusqu'à 6 mois".

De son côté, le président EELV de la Métropole de Lyon, dont la collectivité chapeaute justement une mission dédiée à l'aménagement de la Vallée de la Chimie, avait quant à lui jugé "ce constat préoccupant pour la santé habitants de la métropole", et "alerte sur les pollutions chimiques liées aux activités passées et présentes dans la Vallée de la Chimie", tout en rappelant que des actions ont été prises depuis juillet 2020 sur le périmètre du Grand Lyon, dans le but des réduire les pollutions chimiques.

"La lutte contre le fléau sanitaire des pollutions industrielles doit avant tout passer par l'élargissement des normes et des réglementations nationales et européennes et un renforcement des contrôles que nous appelons de nos vœux de façon urgente", a ajouté Bruno Bernard.

Un second record qui vise à nouveau deux industriels du secteur

Mais cette semaine, c'est un nouvel épisode qui se profile puisque l'ONG Notre Affaire à Tous vient de dévoiler ses propres travaux qui, toujours sur la Vallée de la Chimie lyonnaise, épingleraient "le dépassement des seuils de pollution autorisés" par la réglementation des Installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE) par deux industriels précis, que sont les groupes Arkema et Elkem Silicones.

Cette fois, la méthodologie est quelque peu différente puisque l'ONG s'est appuyée sur un partenariat de "recherche-action" avec des étudiants en droit de Sciences Po Paris pour passer au crible, durant deux ans, les quelques 400 pages de rapports qui ont été produits entre 2017 et 2022 par les services de l'Etat, dont le portail Géorisques. Et après avoir épluché les données d'une poignée de 5 à 6 industriels, ils se sont concentrés sur les dépassements, jugés plus élevés des deux sites de production d'Arkema et d'Elkem, situés tous deux en zone Seveso.

Selon leurs recherches, près de 50 certificats de non-conformité et 5 mises en demeure ont en effet été délivrés à Elkem sur cette période, contre 66 non-conformités, 6 incidents majeurs, et huit arrêtés préfectoraux de mise en demeure par Arkema, comme le relève l'ONG. "Ce qui nous a frappé est que ces deux entreprises totalisaient plusieurs dizaines d'infractions chacune, et surtout que celles-ci n'étaient pas suivies de sanctions ou d'effets, puisqu'aucune mise en demeure ou fermeture temporaire ni analyse complémentaires n'a été demandée", souligne Marine Denis, porte-parole de l'antenne lyonnaise de "Notre Affaire à tous", née il y a tout juste deux ans.

En vertu de ces résultats, Notre Affaire à Tous vient de confirmer qu'elle avait saisi ce mercredi 1er juin la procureur du tribunal judiciaire de Lyon, avec l'aide du cabinet spécialisé en droit de l'environnement Kaizen, afin de lancer une procédure à l'encontre d'Arkema France et d'Elkem Silicones France, deux chimistes qu'elle soupçonne d'avoir "enfreint le droit à l'environnement".

L'ONG estime notamment que "au regard des infractions répétées et des risques environnementaux, industriels et sanitaires graves auxquels", ces deux groupes "exposent les habitants du Grand Lyon" et nécessitent une "procédure d'urgence" afin de "faire cesser toutes pollutions illégales" en vertu de l'article L. 216-13 du code de l'environnement. Elément sur laquelle la procureure de Lyon devra se prononcer, à priori d'ici la mi-juillet, afin de déterminer si elle saisit le juge des libertés.

"Ces polluants sont principalement présents dans l'eau qui est ensuite rejetée dans le Rhône, et comprennent pas exemple des chlorures et benzènes... Nous n'étions pas ciblés sur les perfluorés comme l'enquête de France 2, mais ces composants étaient présents dans les rapports concernant notamment Arkema, et un contrôle approfondi concernant leur présence avait déjà été demandé en 2017 par l'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail), sans qu'une suite n'ait été donnée", affirme Marine Denis à La Tribune.

C'est pourquoi ce mercredi, une association de riverains, Bien vivre à Pierre Bénite, ainsi que trois requérants individuels se sont joints aux deux demandes de référés qui ont été déposés à l'encontre d'Arkema et d'Elkem. "Nous demandons entre autres que des contrôles approfondis soient réalisés sur la population concernant cette question", affiche l'ONG.

Les premières réactions des industriels concernés

Interrogé le 31 mai dernier par le quotidien Le Progrès, le directeur du site Arkema de Pierre-Bénite, Pierre Clouzier, répondait que l'entreprise "respecte les réglementations en vigueur".

Du côté d'Elkem Silicones, contacté par La Tribune, Wendy Cots, directrice de la communication du groupe, précise n'avoir reçu à ce stade aucun élément concernant le contenu du recours. Et de préciser seulement que Elkem n'utilise pas de perfluorés au sein de son processus de production, et que le site de Saint-Fons, situé dans la Vallée de la Chimie, a fait l'objet de "20 inspections des services de l'Etat assez rigoureuses en l'espace de trois ans". "A chaque signalement d'anomalie, nous avons apporté des réponses et des actions concrètes, si bien qu'aujourd'hui, 92% des demandes ont été traitées".

Elkem affirme par ailleurs avoir annoncé un plan d'investissement de près de 285 millions d'euros sur ses deux sites français de Roussillon (Isère) et Saint-Fons (Rhône), "dont 35% est consacré à des investissements pour améliorer la performance énergétique et son impact sur l'environnement, tandis que 25% sont consacrés à des investissements nécessaires à la mise en conformité réglementaire."

Le premier volet de ce dossier avait cependant déjà fait réagir jusqu'au sommet de l'Etat dès la mi-mai puisque la ministre de la Transition écologique sortante, Barbara Pompili, avait déclaré, à la suite du reportage de France 2, avoir commandé une enquête sur l'entreprise Arkema suite aux révélations du reportage Envoyé Spécial, demandant également une "interdiction très rapide de la famille des PFAS au niveau européen", tout en s'engageant à "mettre en place des normes" concernant entre autres l'eau de consommation.

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